Georges Ibrahim Abdallah, dont la cour d'appel de Paris a ordonné la libération jeudi, est un ex-militant libanais propalestinien, condamné à la perpétuité en 1987 pour complicité dans l'assassinat de deux diplomates et emprisonné depuis 40 ans. «L'itinéraire que j'ai suivi a été commandé par les atteintes aux droits de l'Homme perpétrées contre la Palestine», se défendait-il devant les juges. Il martelait être «un combattant, pas un criminel».
Georges Abdallah a salué la «mobilisation» de ses soutiens, déterminante à ses yeux, lors d'un entretien dans sa cellule avec une députée auquel l'AFP a pu assister. Dans sa cellule de 11m2 tapissée d'un portrait de Che Guevara et d'affiches en faveur de la cause palestinienne, le détenu de 74 ans qui doit être libéré le 25 juillet, a affirmé que ce n'était pas la durée de son incarcération qui a finalement permis d'obtenir une libération.
«Le temps passé derrière les barreaux concernant les prisonniers politiques ne pèse pas, vous passez cinq ans, vingt ans, trente ans, quarante ans, ce n'est pas ça la cause de la sortie en fait», a estimé le militant. «La sortie est suscitée par une dynamique globale: si le détenu politique ou militant qui est en prison arrive à s'inscrire dans la dynamique des luttes dehors, c'est la mobilisation des hommes et des femmes dehors qui le fait sortir. C'est essentiellement grâce à ça», a-t-il ajouté.
En fin d'après-midi jeudi, devant la prison de Lannemezan, quelques dizaines de partisans s'étaient rassemblés pour célébrer la décision de la cour d'appel de Paris.
En lien avec plusieurs groupes
Né le 2 avril 1951 à Koubayat (nord du Liban) dans une famille chrétienne maronite, cet homme au regard clair et à la barbe drue milite à 15 ans au Parti populaire syrien, formation favorable à une «Grande Syrie» incluant Liban et Palestine. Blessé pendant l'invasion du Liban par Israël en 1978, il adhère au Front populaire de libération de la Palestine, mouvement communiste et anti-impérialiste de Georges Habache. L'instituteur taciturne fonde ensuite, avec ses frères et des cousins, les Fractions armées révolutionnaires libanaises (FARL).
Il a déjà des contacts avec des mouvements considérés comme terroristes: Action directe (France), Brigades rouges (Italie), le Vénézuélien Carlos et Fraction Armée rouge (Allemagne). Groupuscule marxiste pro-syrien et anti-israélien, les FARL revendiquent cinq attentats, dont quatre mortels en 1981-1982 en France.
Une arrestation jamais vue
Les conditions de l'arrestation d'Abdallah sont inédites. Le 24 octobre 1984, il entre dans un commissariat de Lyon, demandant à être protégé des tueurs du Mossad qu'il dit sur ses traces. Il est alors détenteur d'un passeport algérien, après avoir eu des passeports maltais, marocain et yéménite, utiles pour ses nombreux voyages (Yougoslavie, Italie, Espagne, Suisse, Chypre...).
Mais la DST comprend vite que l'homme au français parfait n'est pas un touriste mais Abdel Kader Saadi, «nom de guerre» d'Abdallah. Dans un de ses appartements à Paris, on découvre un arsenal dont des pistolets mitrailleurs et des postes émetteurs-récepteurs.
Condamné en 1986 à Lyon à quatre ans de prison pour association de malfaiteurs et détention d'armes et d'explosifs, il est jugé l'année suivante par la cour d'assises spéciale de Paris pour complicité dans l'assassinat en 1982 de deux diplomates, l'Américain Charles Ray et l'Israélien Yacov Barsimentov, et la tentative d'assassinat d'un troisième en 1984. Abdallah nie, réaffirme qu'il n'est «rien qu'un combattant arabe» mais est condamné à la perpétuité, l'avocat général ayant requis dix ans d'emprisonnement.
Dans ses mémoires, Georges Kiejman, avocat des parties civiles, évoque un accusé se conduisant «comme le terroriste militant qu'il disait ne pas être». «Il insultait tout le monde, nous traitait de 'porcs' et de 'sales impérialistes', il a dû être expulsé de la salle d'audience».
Son avocat, Me Jacques Vergès, voit dans le verdict «une déclaration de guerre». Un comité de soutien est aussitôt créé, demandant sa «libération immédiate». Devenu un des plus anciens détenus de France, emprisonné à Lannemezan (sud-ouest), il n'a jamais exprimé le moindre regret.
«Un prisonnier politique»
«Il va bien intellectuellement. C'est un militant, il reste sur ses positions, lit beaucoup et se tient très au courant de ce qui se passe au Moyen-Orient. On lui écrit du monde entier», disait en 2022 à l'AFP son avocat Me Jean-Louis Chalanset. Depuis 1999, année où il est devenu libérable, toutes ses demandes de libération conditionnelle ont été rejetées sauf une, en 2013, mais sous réserve qu'il soit expulsé, ce que ne met pas en oeuvre le ministre de l'Intérieur d'alors, Manuel Valls.
Au fil des ans, son sort émeut et mobilise des militants proches du Parti communiste français et de l'extrême gauche, qui accusent les gouvernements successifs d'acharnement et le considèrent comme «un prisonnier politique». Des municipalités communistes le font même citoyen d'honneur et, régulièrement, des manifestations ont lieu devant sa prison.
«Georges Ibrahim Abdallah est victime d'une justice d'Etat qui fait honte à la France», dénonçait en octobre l'écrivaine Annie Ernaux, prix Nobel 2022 de littérature. «J'ai une forme de respect pour lui» désormais et «le braillard de la cour d'assises est devenu un intellectuel réfléchi», même si, «enfermé dans une certitude respectable mais dogmatique, il ne fait rien pour faciliter sa libération», estimait pour sa part Me Kiejman en 2021.