Après la Fête de la musique
Paris devient la capitale la plus violente et sale d'Europe

Violences ou rixes filmées et largement diffusées sur les réseaux sociaux. Amas de détritus et déchets après la nuit festive de la Fête de la musique. Le spectacle sème la stupéfaction à l'étranger. Paris, capitale poubelle?
Publié: 23.06.2025 à 14:44 heures
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Dernière mise à jour: 23.06.2025 à 17:10 heures
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La traditionnelle Fête de la musique du 21 juin a été marquée cette année à Paris par le retour de la vasque olympique dans le jardin des Tuileries.
Photo: AFP
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Richard WerlyJournaliste Blick

Ce constat, aucun correspondant d’un média étranger à Paris n’aime le dresser. Et pourtant: un an après la fièvre positive et le succès indéniable des Jeux olympiques d’été 2024, ce week-end a de nouveau alimenté le cliché d’une capitale française en passe de devenir la plus violente et la plus sale d’Europe.

Il suffisait, dans la nuit de samedi 21 à dimanche 22 juin, de se retrouver à proximité du quartier de Chatelet-Les Halles ou de République pour être abasourdi par le spectacle. Violences urbaines. Dégradations de mobilier public (une fois encore). Mer de déchets et d’immondices en tout genre. Est-ce exagéré de parler de naufrage parisien?

Piqûres de jeunes femmes

La réponse tient d’abord en deux chiffres en ce début de semaine post-Fête de la musique: environ 145 jeunes femmes victimes de piqûres (par aiguilles) et 89 interpellations d’individus par la police (375 en France)! En clair: la sécurité des personnes n’est plus assurée lorsque des rassemblements de grande ampleur se déroulent à Paris, ville de 2,1 millions d’habitants dont la nouvelle police municipale compte – sur le papier – 2400 agents, et la police nationale environ 27'000.

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Jugez plutôt les motifs invoqués dimanche 22 juin par le parquet, pour justifier les interpellations et l’envoi en comparution immédiate de nombreux suspects devant un juge: «Violences volontaires, notamment sur (personne dépositaire de l’autorité publique), vols, ports d’arme prohibée, dégradations volontaires, vente à la sauvette, pillages de magasins, agressions sexuelles, coups de couteau et jets de projectiles»

Epidémie de violences

Les piqûres? Cette épidémie de violences contre des jeunes femmes est le résultat d’appels lancés sur les réseaux sociaux. 14 hommes suspectés d’avoir piqué des fêtards dans toute la France ont ainsi été placés en garde à vue. Des seringues, des aiguilles, des cure-dents ou des canifs ont été utilisés. Six personnes ont par ailleurs été poignardées durant la nuit musicale caractérisée par une affluence monstre dans les quartiers centraux de la ville comme le Canal Saint-Martin, Châtelet ou Saint-Germain.

Les violences? Elles ne sont pas nouvelles, malheureusement. Le samedi 31 mai, à l’issue de la finale de la Ligue des Champions remportée 5 buts à zéro par le Paris Saint-Germain (PSG) contre l’Inter de Milan, des affrontements avaient opposé des prétendus supporters aux forces de l’ordre, notamment sur les Champs-Elysées. Des rixes dont les protagonistes sont souvent connus. Un rapport publié début février sur la délinquance parisienne liste 45 bandes répertoriées au plan de prévention et de lutte contre les violences urbaines, dont 17 sont particulièrement actives. 98 affrontements étaient de leur fait en 2024. 

Des violences enracinées dans le milieu scolaire: «Environ 20% des affrontements dans l’agglomération parisienne (Paris, Seine-Saint-Denis, Hauts-de-Seine, Val-de-Marne), soit 1 sur 5, touchent un établissement scolaire. Ce sont le plus souvent des lycéens ou des individus qui ne sont pas déscolarisés» avait expliqué, lors de la publication du rapport, le préfet de police Laurent Nunez.

Déchets et saleté

Les déchets et la saleté? Deux explications sont avancées. La première est la gestion problématique du ramassage d’ordures par une municipalité débordée par l’affluence touristique et la densité de la population. Avec plus de 20'000 habitants au km2, Paris est considérée comme la seconde ville la plus dense d’Europe pour ses quartiers centraux, avec Barcelone, et la septième au monde. Ce que le boom touristique actuel ne fait que renforcer.


La seconde explication est celle de l’irresponsabilité collective. Diame, un éboueur parisien très suivi sur TikTok, ponctue régulièrement ses vidéos de commentaires sur le thème: «C’est de pire en pire», pointant les comportements individuels. «Les mauvaises habitudes ont la vie dure. Preuve en est avec les piles de cartons et détritus qui s’accumulent au pied des bennes de tri pourtant vides. De quoi relancer un éternel débat: Paris est-il de plus en plus sale? Mais surtout, sommes-nous de plus en plus irrespectueux?» titrait en février dernier le quotidien «Le Parisien». Au fil des sondages, entre 75 et 84% des Parisiens trouvent leur ville sale, citant comme principaux problèmes les rats, les rues jonchées de détritus et les monuments tagués.

Les «embrouilleurs»

Qui sont les émeutiers violents, ou les protagonistes des rixes? Les récentes comparutions immédiates postérieures à la nuit de feu consécutive à la victoire du PSG pointent une jeunesse masculine désœuvrée issue de l’immigration, mais aussi des jeunes sans casier judiciaire, parfois socialement intégrés, décidés d’en découdre pour s’affirmer. Le sociologue Marwan Mohamed, auteur de l’enquête «Y’a embrouille» (Ed. Stock) a fouillé leur passé et leur itinéraire. Il pointe néanmoins en priorité les élèves «décrocheurs» par l’institution scolaire qu’ils qualifient de «démobilisés». «Ils ont pour la plupart des problèmes d’absentéisme; ils ont dû changer d’établissement pour raison disciplinaire; et certains disent avoir subi leur orientation vers des filières professionnelles. L’échec scolaire est donc une caractéristique massive du profil des adolescents faisant partie du vivier mobilisable par les conflits […] ils ont une disponibilité biographique à l’embrouille».

Décrochage scolaire

Point saillant à Paris, capitale entourée de banlieues populaires, les «embrouilleurs» sont «majoritairement des garçons, mineurs, issus de familles modestes, nombreuses, plus souvent monoparentales, habitant des logements souvent surpeuplés dans des quartiers où la ségrégation spatiale est à la fois sociale, raciale et scolaire». Et d’accuser l’école «qui fabrique la délinquance, car les «échecs précoces provoquent des blessures narcissiques et génèrent pour certains un besoin permanent de compensation ou, du moins, un besoin légitime de reconnaissance, de dignité et d’un statut social reconnu […]. L’embrouille permet également de lutter contre l’ennui, de rompre la monotonie; elle apporte un supplément de vitalité sociale et alimente le flux des histoires à raconter, des récits, des rumeurs et des ragots jouant – pour une partie des habitants – un rôle essentiel dans l’entretien des liens sociaux».

Rien n’est sanctionné

L’autre raison souvent évoquée est l’impunité dont bénéficient les «embrouilleurs violents». Les peines prononcées en comparution immédiate, conformes à la loi, sont souvent des travaux d’intérêts généraux ou des peines avec sursis. Les amendes ne sont pas immédiatement prélevées sur les comptes en banque. Une «culture d’impunité» s’est donc installée, dénoncée début 2025 par des professeurs du lycée professionnel Maria-Deraismes, situé dans le nord de Paris. Dans un communiqué, ceux-ci ont dénoncé «un degré de violence atteint inédit, alors que l’établissement souffre déjà d’un climat d’enseignement particulièrement tendu depuis plusieurs années. Depuis quelques années, les actes de violences physiques et verbales ne sont pas sanctionnés».

Leur conclusion? «Cela a laissé place à une impunité totale des élèves qui pensent qu’ils n’auront pas de compte à rendre à la justice. Cette réalité est devenue insoutenable pour les personnels et les élèves».

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