Il y a dix ans, le Bataclan
Comment la France a vaincu les démons du 13 novembre 2015

Dix ans que la France s'interroge sur l'engrenage qui a conduit aux attentats du 13 novembre 2015 à Paris. Un bain de sang au Bataclan et sur les terrasses de plusieurs cafés. Les démons ont été vaincus. Mais à quel prix?
Publié: 10:57 heures
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Le 13 novembre 2015: 130 morts et de 413 blessés hospitalisés après les attentats islamistes en France.
Photo: AFP
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Richard WerlyJournaliste Blick

Ils se repassent en boucle les mêmes images. Celles du carnage. Celles de l’horreur. Celles de cette nuit qui les a transformés. Yvan Assioma et ses collègues policiers déployés dans la nuit du 13 novembre 2015 sur le site du Bataclan et des terrasses de café dévastés par les commandos de terroristes islamistes, redoutent de voir leurs démons resurgir dix ans plus tard. Car dans leur chair et dans leur tête, tout est resté gravé. «Dès que j’avais un moment de calme, une petite voix intérieure me rappelait: 'Et ton projet? Quand vas-tu parler de nous et raconter ce que nous avons vécu?'», se souvient ce Major de Police, auteur de «Nous avons l’honneur de vous rendre compte..» (Ed. Robert Laffont).

Ces images, pourtant, appartiennent à un passé que la France a tant bien que mal réussi à refermer depuis les premières explosions au Stade de France, ce vendredi fatal à 21h16. L’horreur qui s’ensuivit au Bataclan, cette salle de spectacle transformée en charnier en quelques minutes à coups de rafales de kalachnikovs par des terroristes formés en Syrie – dont plusieurs Français – semble disparue pour qui passe près de ces lieux devenus historiques. A Paris, devant le 50 boulevard Voltaire, seule une plaque vissée sur le grillage du square d’en face dit le cauchemar d’il y a dix ans. La vie a repris ses droits. Quelques centaines de mètres plus loin, La Belle équipe est de nouveau un bistrot prisé de ce quartier «bourgeois bohème», proche de La Bastille et de la place de la République.

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Les stigmates de l’horreur

Le seul endroit encore marqué par les stigmates de ces journées d’horreur est l’immeuble de la rue du Corbillon, à Saint Denis, où les derniers terroristes furent «logés» puis tués lors de l’assaut policier, le 18 novembre 2015. L’ensemble demeure soutenu par de lourdes poutres pour ne pas s’écrouler. Ce lotissement miteux doit être détruit. C’est là que les policiers d’élite, on le sait maintenant, firent pleuvoir un déluge de feu bien supérieur à ce qui était nécessaire pour éliminer le chef présumé des commandos, Abdelhamid Abaaoud, accompagné de son dernier complice, et de Hasna Aït Boulahcen, une cousine qui leur avait trouvé cette cache louée à un marchand de sommeil par la suite condamné, Jawad Bendaoud.

La France a surmonté l’horreur. Dix ans plus tard, telle est la leçon que veut retenir celui qui s’exprime souvent au nom des musulmans de France: le recteur de la Grande Mosquée de Paris, Chems-Eddine Hafiz. Cet avocat septuagénaire lit devant nous les premières phrases de son «Manifeste contre le terrorisme islamiste» publié en 2021: «J’appelle les théologiens et les politiques à s’unir pour faire face au défi de la «radicalisation» et de l’islamisme qui menacent la République et les musulmans»…

Dix ans plus tard, ses mots ont la forme d’une bouée. L’espoir de millions de Français, musulmans et non musulmans, y est accroché. Le 13 novembre 2015 a ouvert des plaies loin d’être cicatrisées. «Terreur et idéologie subversive du djihad en France sont bien documentées argumente l’anthropologue Florence Bergeaud-Blakker. Mais il reste une forme plus sournoise et moins visible: l’islamisation par la transformation matérielle, pratique, visible, sensible, d’une société.» En clair: La France s’est armée contre les terroristes. Mais reste-elle désarmée face à l’islam fondamentaliste qui, en lien avec le narcotrafic, gangrène les quartiers, les mosquées, les circuits de l’alimentation Halal?

130 morts, 413 blessés

La France de 2025 voit, lorsqu’elle se retourne sur les 130 morts et 413 blessés du 13 novembre 2015, ce qui a déraillé, et ce qu’elle ne voulait pas voir. Huit hommes, passés par la Syrie, ont semé cette nuit-là l’horreur, plongeant Paris dans la terreur jusqu’aux premières heures de l’aube. Cinq étaient de nationalité française, dont l’unique survivant aujourd’hui emprisonné à vie après ses condamnations à perpétuité en France et en Belgique: Salah Abdeslam. 

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Ismaël Omar Mostefaï, l’un des trois kamikazes du Bataclan, avait été condamné huit fois lorsqu’il était mineur. Samy Aminour, 28 ans, banlieusard parisien, était parti deux ans faire le jihad en Syrie. L’itinéraire des terroristes à travers l’Europe, l’interpellation ratée d’Abbaoud en Grèce, les frontières passoires, les ratés des gendarmes qui, dans la nuit du 13 novembre, laissent repartir le Bruxellois Abdesslam et ses complices venus le ramener en Belgique (où il sera arrêté à Molenbeek en mars 2016)… Tout cela a été passé au cribble. Et maintenant?

Entre mémoire et avenir

«La bataille se joue entre la mémoire et l’avenir. Nous ne sommes plus désarmés, mais sommes nous protégés?» interroge un policier qui a «traité» Sonia, l’amie de Hasna Aït Boulahcen, à l’origine de la localisation d’Abaaoud en fuite, d’une planque près du boulevard périphérique parisien au taudis de Saint Denis. Sonia a publié un livre «Témoin» (Ed. Robert Laffont). Puis elle a disparu. Elle vit aujourd’hui en France, loin de Paris, sous une nouvelle identité. Le cinéma a même fait un film de l’enquête: «Novembre» avec Jean Dujardin. Reste un mystère demeure, jamais élucidé: qui, en Syrie, fut le véritable commanditaire de ces actes barbares destinés à provoquer, dans la France laïque, une forme de «choc de civilisation» après le massacre de la rédaction de Charlie Hebdo quelques mois plus tôt, le 7 janvier 2015.

Qui a donné l’ordre? Le procès V13, organisé dans une salle spéciale de l’historique palais de justice de Paris, sur l’île de la Cité, entre septembre 2021 et mai 2022, n’a pas fourni cette réponse. Salah Abdeslam, tantôt provocateur, tantôt refermé sur lui-même, est resté muet. La France sait que la guerre avait été déclarée contre elle par Daech, l’Etat islamique. Mais qui? Dix ans plus tard, alors que la Syrie est désormais aux mains des régimes émanant d’anciennes milices djihadistes, avec son président Ahmed al-Charaa hier affilié à Al Qaïda, l’opacité demeure.

Dans les camps du Kurdistan

Dix ans. Dans les camps du Kurdistan irakien et syrien, cette décennie a vu des bambins devenir presque adolescents. Certains sont rentrés en France, discrètement, dans le sillage de leurs mères djihadistes aussitôt emprisonnées et destinées à être jugées. Ils sont les enfants de la folie islamiste. Ils sont ce que la République, avec ses six millions de citoyens musulmans, doit encore réussir à surmonter. Ses gamins ou ados, de retour dans l’hexagone, sont souvent confiés à leurs grands-parents. Certains ne parlent que l’arabe. Ils n’ont jamais connu leurs pères, internés ou le plus souvent morts au combat, ou sous les bombes de la coalition anti Daech.

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L’heure des «revenants»

Le journaliste David Thomson a en décembre 2016, consacré un livre passionnant à ces «revenants», ces ex-combattants de l’islam salafiste revenus en France ou sortis de prison, après exécution de leurs peines. Sa conclusion? «Une triple menace demeure. Celle des retours d’éléments formés militairement et missionnés pour tuer. Celle des «revenants» déçus, mais non repentis, capables de passer à l’acte violent individuellement. Et celle des sympathisants restés en France et pénétrés par ce discours». En a-t-on fini aujourd’hui avec ces menaces? Pas sûr du tout, malgré l’explosion des effectifs des services de sécurité, la surveillance électronique, la coopération policière européenne.

François Hollande était président de la République lors des attentats du 13 novembre. Il avait dû retenir ses larmes, le 27 novembre, dans la cour pavée des Invalides, devant les images des 130 morts du Bataclan, alors que leurs noms défilaient sur le grand écran et qu’un poignant «Quand on a que l’amour» de Jacques Brel, disait l’effroyable douleur.

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Emmanuel Macron, qui lui a succédé depuis mai 2017, s’est rendu plusieurs fois sur les lieux en compagnie de la maire socialiste de Paris, Anne Hidalgo. Mais aucune commémoration officielle, aucune plaque, aucun geste public ne peut remplacer ses fleurs que, chaque jour ou presque, des anonymes déposent encore devant le Bataclan. Nadia est enseignante d’origine algérienne. Elle m’avoue être musulmane pratiquante. Elle a deux filles, auxquelles elle a préféré dire la vérité: «Nous devons assumer ces terroristes comme vous, les chrétiens, devaient assumer certains crimes commis dans le passé. On ne reconstruit rien sur du sang mal effacé et une responsabilité jamais admise».

Une plaie toujours vive

La plaie du 13 novembre est toujours vive. D’autres blessures ont ajouté à la douleur ressentie par la société toute entière: l’attentat de Nice du 14 juillet 2016, les attentats contre le métro et l’aéroport de Bruxelles, le 22 mars 2016, la décapitation du professeur Samuel Paty le 16 octobre 2020. «Le pays a dû se livrer à une autopsie de l’indicible qui n’est pas terminée» juge Claude Moniquet, expert du contre-terrorisme et des réseaux islamistes.

La donne politique a changé aussi. Le Rassemblement national (droite nationale populiste) est aux portes du pouvoir en France. L’assaut du Hamas contre Israël, le 7 octobre, a ravivé les pires fractures. La défense légitime de la Palestine a, trop souvent, couvert un regain préoccupant et condamnable d’antisémitisme. La France, le pays de Voltaire qui a donné son nom au Boulevard du Bataclan, voit sa liberté, sa démocratie et sa laïcité chahutées, agressées, abîmées. Le pays tient. Mais le rempart contre l’intégrisme islamiste est lézardé. La République et la laïcité sont sans cesse testées.

«Nous voulons vaincre pour être justes» clamait Georges Clemenceau, à la fin de la Première guerre mondiale. Dix ans après, la nation la France demeure ébranlée par le séisme du 13 novembre 2015. Les terroristes du Bataclan et des cafés parisiens, comme ceux qui leur ont succédé, ont été vaincus. Mais la justice peut-elle dissiper la peur et sécher les larmes?

Dix ans d’enquête, de recoupements, d’interrogations, d’arrestations, et de victoires malheureusement ternies par de nouveaux échecs. 80 projets d’attentats ont été déjoués en France depuis le 13 novembre 2015. La preuve que les services de sécurité, au niveau européen – Suisse incluse – remportent au quotidien de nombreuses batailles contre le terrorisme islamiste. Mais la guerre continue. Avec, toutefois, un changement majeur: le renversement de la dictature de Bachar al Assad en Syrie en décembre 2024. Désormais au pouvoir, les ex djihadistes sont condamnés à régler leurs comptes.

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Risque d'inflitrations

47 djihadistes français sont aujourd’hui détenus dans des camps en Irak et au Kurdistan. En 2024, avant la prise du pouvoir à Damas par la milice HTC d’Ahmed Al Charaa (armée par la Turquie), 220 musulmans venus de France combattaient sur le sol syrien, aux côtés d’environ trois mille étrangers que le nouveau régime veut désarmer. Le risque d’infiltrations, de vengeances et de nouveaux attentats en Europe demrue donc réel, même si les contrôles aux frontières de l’espace Schengen n’ont plus rien à voir avec ceux d’il y a dix ans.

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