De l'horreur au suicide
Survivants du Bataclan: le long combat contre le traumatisme

Deux survivants du Bataclan se sont suicidés des années après les attentats de 2015 à Paris. Guillaume Valette et Fred Dewilde ont lutté contre les séquelles psychologiques avant de succomber. Témoignages des proches.
Publié: 13:06 heures
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Dernière mise à jour: 13:17 heures
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Les plaies psychiques restent ouvertes après les attentats du Bataclan.
Photo: AFP
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AFP Agence France-Presse

Survivants de la salle de spectacle parisienne du Bataclan, le jeune chimiste Guillaume Valette et l'auteur de BD Fred Dewilde se sont battus plusieurs années contre le poison des attentats avant de se suicider, emportés par de profondes blessures psychiques. «Jamais je n'oublierai le bruit de ces mitraillettes», avait confié Guillaume à ses parents, se souviennent encore Arlette et Alain Valette, huit ans après la mort de leur fils.

Âgé de 31 ans, il a mis fin à ses jours dans l'établissement psychiatrique où il était hospitalisé, deux ans après le 13 novembre 2015 et les attentats de commandos islamistes à Paris et dans la localité proche de Saint-Denis qui ont fait 130 morts et plus de 350 blessés.

Ce vendredi-là, au concert du groupe Eagles of Death Metal au Bataclan, il y a d'abord eu l'effroi, les tirs de kalachnikov et les cris des blessés lors de l'assaut le plus meurtrier, avec 90 morts.

Des symptômes du psychotrauma

Après cette tragédie, «Guillaume a perdu son sourire», expliquent à l'AFP ses parents. Atteint de trouble de stress post-traumatique (TSPT), il continue de travailler mais «somatise ses angoisses», dit son père. Hypervigilance, cauchemars et reviviscences à répétition, peur de sortir: des symptômes caractéristiques du psychotrauma illustrés dans plusieurs ouvrages du dessinateur Fred Dewilde.

Avec ses crayons, il s'est engagé pour «faire comprendre à l'autre cet incommunicable qu'est la souffrance intérieure, qui isole dans le désespoir les victimes, qui les désocialise et aggrave la rupture de vie», raconte à l'AFP sa compagne, Marianne Mazas.

Ce pilier de l'association de victimes Life for Paris s'est lui aussi suicidé, en mai 2024, neuf ans les attentats. «L'illustration dramatique de ce que cause ce poison qui est très long, qui est très insidieux, qui est parfois très invisible», souligne Marianne Mazas. Une troisième victime des attentats s'est donné la mort en 2021. Mais à ce stade, «le lien n'a jamais été fait de manière claire avec le 13-Novembre par la famille», explique Arthur Dénouveaux, président de Life For Paris.

Multiplié par huit

Des années après, s'ils ne sont «pas correctement soignés», les traumatismes graves de ce type «restent aussi intenses et provoquent la même détresse», pointe le psychiatre à l'hôpital Avicenne, près de Paris, et au Cn2r (Centre national de ressources et résilience), Thierry Baubet. «Ce n'est pas comme un mauvais souvenir dont la force va s'atténuer avec le temps».

D'après ce spécialiste, le TSPT multiplie par huit le risque suicidaire par rapport à la population générale. Les victimes de guerre, d'attentats ou encore d'accidents nécessitent donc une prise en charge médicale adaptée, ce dont Guillaume Valette n'a «pas bénéficié», estiment ses parents.

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«Il a été victime de l'attentat et il a été victime de l'organisation de la psychiatrie, car il ne pouvait pas aller où il y avait vraiment les spécialistes», selon Alain Valette. Son épouse dit même profondément regretter son hospitalisation, évoquant l'absence de psychiatre pendant plusieurs mois, un sentiment de solitude: «Je leur ai confié et ils me l'ont rendu mort, mon fils.»

«En 2015, il n'y avait pas suffisamment de personnes formées à la prise en charge des psychotraumas», observe Thierry Baubet. Depuis, l'État a créé des centres régionaux spécialisés et le Cn2r, source d'information pour les victimes, leurs proches et les professionnels. Dans certaines régions de France, il est cependant toujours «compliqué de trouver des soins», déplore Thierry Baubet, pointant un manque de psychiatres et des «structures publiques saturées».

«Jamais trop tard»

Autre obstacle souvent rencontré par les victimes: devoir affronter «la peur de ne pas être compris», souligne le soignant. «Aujourd'hui encore, il y a des victimes du 13-Novembre qui vont mal et qui ne sont pas allées chercher des soins. Et le message important, c'est qu'il n'est jamais trop tard», assure-t-il.

Des thérapies cognitivo-comportementales ou psychothérapies par mouvement oculaires (EMDR) sont généralement proposées aux patients, et peuvent considérablement améliorer leur qualité de vie, estime Thierry Baubet. «On peut ne plus avoir de symptômes. Ou quasiment plus. Ou garder une légère hyper-vigilance qui n'empêche pas de vivre, d'aimer, de prendre du plaisir», décrit-il.

Après sa mort, les parents de Guillaume Valette se sont démenés pour que leur fils soit reconnu 131e victime décédée des attentats. Aux côtés de celui de Fred Dewilde, son nom est gravé sur les plaques commémoratives du 13-Novembre. 

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