Soyez honnêtes, ça vous arrive tout le temps à vous aussi de demander au serveur si c’est possible d’enlever le sésame ou la feta dans le plat que vous venez de choisir. Rassurez-vous, vous n’êtes pas un cas unique. A en croire les chefs, rares sont les commandes qui ne sont pas assorties d’une spécificité. Sauce à part, ingrédient retiré, version végétarienne…Entre l’intitulé du plat sur la carte et le rendu dans l’assiette, il y a parfois un écart important car de plus en plus de clients n'hésitent pas à réclamer une offre quasi sur mesure.
Une tendance que les professionnels de la restauration observent avec philosophie. «C’est presque quotidien, note Philippe Heim, à la tête de Céleste, un café, bar restaurant et cave à vin qui a ouvert en novembre dernier à Vevey. On me demande hyper souvent d’enlever le fromage frais quand il y en a ou bien de servir du pain sans gluten».
Le gluten, toujours détesté
Un constat confirmé par Nasser Jeffar, le chef du restaurant Attar à Genève. «Ce qui revient très souvent, quasiment tous les jours, c’est effectivement le gluten et les produits laitiers que les gens ont tendance à beaucoup moins consommer.» Chez Matière, nouveau restaurant de cuisine «locale et généreuse» au cœur de Plainpalais, on constate les mêmes réflexes. «Il n’est pas rare qu’on nous prévienne en amont, au moment de la réservation, souligne Freddy Garanjoud, co-propriétaire des lieux et maître de la cuisine. Une fois, on a reçu une longue liste des allergies et intolérances des convives. D’ailleurs, prévenir en amont c’est plutôt bien, ça nous permet de nous adapter. Quand la demande est faite au dernier moment, ça peut déséquilibrer un plat donc on prévient le client qu’il prend le risque de goûter à quelque chose de moins bon.»
Pour Philippe Heim, les demandes à la volée ne constituent pas un problème insurmontable. «On fait de la préparation minute, donc ça ne nous demande pas beaucoup d’efforts pour nous adapter. Je peux composer une assiette en version végane assez rapidement, car la carte a suffisamment d’options. Et ça me fait plaisir de faire plaisir. En plus j’essaie toujours d’être ouvert et sympathique et, dans ce cas là, les gens sont cools et pas capricieux.»
Changer des plats oui…mais dans certains limites
La plupart des restaurateurs interrogés sont dans le même état d’esprit. Ces professionnels du service ne se braquent pas face à l’évolution de nos pratiques alimentaires. «Quand je fais ma carte, j’anticipe les demandes les plus courantes. J’ai sept plats végétariens en permanence, car je sais que plein de gens mangent de moins en moins de viande», confie Nasser Jeffar.
Ancien chef à l'hôtel du Rhône, il a connu des clients très exigeants. Aujourd’hui, les demandes sont moins fréquentes et il n’a donc pas de mal à les prendre en compte. «Ça ne me choque pas qu’on souhaite changer un ingrédient. Il ne faut pas oublier qu'on est là pour faire plaisir aux gens. Je ne souhaite pas imposer ma recette ou ma vision du plat. Mon but est de satisfaire les clients et de faire tourner mon restaurant. Il faut s’adapter pour fidéliser», poursuit-il avec sagesse.
Cette compréhension des professionnels suppose le respect de quelques principes de base. «Ça peut devenir pénible quand les gens retiennent les serveurs pendant des heures pour des détails, ne sont pas polis ou déroulent une liste de demandes compliquées à transmettre en cuisine. Là, je m’agace un peu!»
Raisons de santé ou caprices de stars?
Vous le saurez pour la prochaine fois où vous passerez commande avec l’envie de bousculer la liste des ingrédients: mieux vaut le faire avec le sourire et en se montrant un tout petit peu flexible face à certaines nouveautés ou aux créations proposées. «Ma mère est intolérante au lactose, donc je comprends tout à fait, relève Freddy Garanjoud. Mais parfois, je trouve que ces demandes relèvent plus du desiderata ou du régime, voire carrément du manque d’ouverture, que d’une raison de santé. Et ça peut créer une forme de barrière ou de distance.»
Anthony Gachet, du restaurant HC, partage lui aussi cette frustration face au manque de curiosité de ses clients. «Il y a les allergies et intolérances, évidemment, mais parfois il y a aussi des fausses idées sur le gluten ou le lactose, juste parce les gens ont une image déformée de certains produits. Quand il n’y a pas un enjeu de santé, il faut aussi apprendre à se laisser guider et à goûter les plats pour retrouver le vrai goût d’un pain au levain, plus digeste que ceux chargés en gluten. J’aime bien échanger et discuter avec les clients pour mieux faire accepter les produits, je trouve que ça fait partie du métier.»
On dégaine le smartphone avant la fourchette
Un métier qui s’adapte aux évolutions sociétales. Ça nous démangeait de demander à tous ces cuistots leur avis sur la présence des téléphones à table. Est-ce que ça aussi ça les saoule de nous voir dégainer nos portables pour immortaliser les entrées sans avoir pris le temps de les goûter? Que celui qui ne l’a pas déjà fait leur jette la première pierre…Eh bien, là encore, les restaurateurs sont patients et compréhensifs.
«Neuf fois sur dix, la première chose que les gens font quand on pose les assiettes sur la table, c’est de dégainer leur téléphone et de prendre une photo. Avec l’équipe, ça nous fait rire, raconte Nasser Jeffar d’Attar. Mais on a aucun problème avec ça puisque ça fait de la pub au restaurant.» Un avis partagé par Anthony Gachet, ravi de retrouver toutes ces photos sur les réseaux sociaux. «Voir les gens se précipiter pour prendre un cliché peut faire peur mais c’est positif. Chaque post sur Instagram est une incroyable caisse de résonance pour nous donc ça ne me gêne absolument pas.»
Vous voilà rassurés ? Vous n'êtes donc pas d’odieux et grossiers personnages. Enfin n'abusez pas trop non plus.