Deux expertes donnent leurs conseils
Plusieurs femmes brisent le silence sur la culpabilité liée au manque de désir sexuel

Beaucoup de femmes se sentent mal lorsqu'elles refusent les avances sexuelles de leur partenaire. Mais pourquoi un tel tabou? Deux expertes réagissent aux résultats de notre dernière enquête sur la vie intime des femmes.
Publié: 17.06.2025 à 21:38 heures
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Dans notre enquête, plusieurs femmes se sont livrées sur leurs expériences intimes.
Photo: Shutterstock
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Alexandra Fitz et Karen Schärer

«En tant que femme, on se sent toujours un peu redevable, on se sent mal parce qu'on ne veut pas blesser l'autre.» Cette déclaration a été faite par une femme de 50 ans dont la relation dure depuis trois décennies.

Nous avons posé des questions intimes à des femmes âgées d'environ 30 à 55 ans vivant une relation hétérosexuelle de longue durée. Qui est le plus souvent à l'origine des rapports sexuels? Les femmes refusent-elles parfois les avances sexuelles de leur mari? Comment se sentent-elles à ce sujet? Une soixantaine de femmes ont répondu à notre enquête anonyme.

Un déséquilibre qui retombe sur les femmes

Elles sont 34 à avoir indiqué que leur partenaire prenait plus souvent l'initiative du rapport sexuel. A l'inverse, 12 d'entre elles considèrent prendre davantage l'initiative, tandis que 6 autres estiment que c'est équilibré.

Certaines racontent ne plus avoir de relations sexuelles, d'autres expliquent avoir des rendez-vous sexuels fixes. Et lorsque les femmes refusent les avances de leur mari, certains se montrent compréhensifs, mais ce n'est pas toujours le cas. Certaines femmes avouent recevoir des reproches.

Dans de nombreux couples, l'atmosphère est donc pesante dans la chambre à coucher. Cette situation est potentiellement préjudiciable aux deux. Mais souvent, ce sont les femmes qui se retrouvent avec une mauvaise conscience.

«Si je le repousse, je me sens coupable»

Dans la loi, rien n'indique que le sexe fasse partie d'un mariage. Mais jusqu'en 1992, la chambre à coucher était pour ainsi dire une zone de non-droit qui donnait beaucoup de pouvoir aux hommes: un viol dans le cadre du mariage n'était jusqu'alors pas punissable en Suisse. Ce n'est qu'à partir de 2004 que celui-ci est devenu un délit officiel qui devait être poursuivi d'office.

Cependant, l'idée que les femmes doivent répondre aux besoins sexuels de leur époux est toujours très répandue dans les esprits. Un exemple relayé par la «NZZ» est frappant. En 2008, un juge a fait comprendre à une plaignante, qui dénonçait un viol conjugual, que la sexualité faisait partie intégrante d'un mariage intact.

Malheureusement, cette idée s'est également installée dans l'esprit de nombreuses femmes. Deux tiers de celles qui ont répondu à l'enquête avouent avoir mauvaise conscience lorsqu'elles ne répondent pas aux avances sexuelles de leur partenaire.

Une femme de 45 ans, qui partage le lit du même homme depuis 25 ans, témoigne: «Je me sens sous pression parce que je sais que le sexe le calme et lui fait du bien et que, de ce point de vue, je suis responsable de sa régulation.» Une autre femme, âgée de 37 ans et mère d'un enfant de deux ans, écrit: «Si je le repousse, je me sens coupable, car c'est sans doute ainsi que l'on inculque aux femmes que les hommes ont droit au sexe.»

«Plus facile de laisser faire»

A quelle fréquence les femmes peuvent-elles avoir des rapports sexuels sans désir avec leur partenaire? La psychothérapeute et sexologue Dania Schiftan sait, par le biais de ses consultations, que l'autodétermination dans la chambre à coucher est parfois difficile. La pression sociale est bien plus difficile à ôter qu'une bretelle de soutien-gorge.

Des croyances telles que l'idée qu'un homme aurait forcément besoin de sexe ou qu'il pourrait quitter sa femme si elle ne satisfait pas ses désirs, font que certaines femmes se disent qu'il est «plus facile de le laisser faire», explique Dania Schiftan. Elles se mettent donc à la disposition de l'homme sur le plan sexuel, même si elles n'en ont pas envie.

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Je trouve que c'est problématique que les femmes donnent leur corps sans plaisir
Dania Schiftan, psychothérapeute et sexologue
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«Je trouve que c'est problématique que les femmes donnent leur corps sans plaisir. Mais c'est particulièrement grave pour celles qui souffrent et qui le font quand même», dit Dania Schiftan. La thérapeute constate: «Le manque de plaisir est devenu pour moi le thème principal des femmes dans les relations longues.»

Un sujet encore très tabou

Le besoin sexuel de l'homme est considéré comme la norme. Cela implique donc que si une femme ne veut pas faire l'amour, c'est qu'il lui manque quelque chose. Une femme de 36 ans répond ainsi: «Je pense parfois que quelque chose ne va pas chez moi.»

La gynécologue et sexologue Eliane Sarasin a observé le même constat. Il n'est pas rare que ses patientes abordent le sujet du manque de désir en sortant d'une consultation gynécologique. Mais elles en parlent vite, comme si le sujet n'était pas important ou honteux. «On parle de dysfonctionnement sexuel nécessitant un traitement lorsque le manque de désir sexuel dure six mois ou plus et que la femme le ressent comme un fardeau», explique Eliane Sarasin.

La femme ne manque pas nécessairement de quelque chose lorsqu'elle ne ressent pas de besoin sexuel. La plupart du temps, la source du problème est la différence de désir au sein du couple. «De nombreuses femmes ayant des problèmes de désir se sentent tellement acculées, souvent aussi par leurs propres attentes ou celles de leur partenaire, qu'elles ne peuvent même plus penser à leurs désirs, poursuit Eliane Sarasin. Souvent, elles se sentent coupables et responsables des éventuelles tensions dans la relation.»

Deux fonctionnements différents

Les femmes entre 40 et 50 ans sont le plus souvent concernées par ces problématiques. Les raisons du manque de désir peuvent être biologiques, sociales ou psychologiques. Il s'agit même souvent d'un mélange de ces facteurs. Eliane Sarasin en énumère une partie: les maladies en général, les troubles hormonaux ou les changements, mais aussi l'épuisement, le stress, une vie bien remplie, des enfants en bas âge toujours collés à soi, de grands enfants qui sont réveillés jusqu'à point d'heure la nuit, des charges mentales, des soucis, le sentiment de devoir satisfaire tout le monde, etc.

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Lorsque la vie devient difficile, la sexualité est souvent l'une des premières choses que les femmes jettent par-dessus bord
Eliane Sarasin, gynécologue et sexologue
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Une femme de 37 ans, mère de deux enfant de respectivement 2 et 5 ans, écrit dans notre questionnaire: «Je suis fatiguée, il pense que je suis toujours fatiguée. Le moral est au plus bas.» Eliane Sarasin sait que «lorsque la vie devient difficile, la sexualité est souvent l'une des premières choses que les femmes jettent par-dessus bord.» Les hommes fonctionnent généralement différemment: «Les hommes ont généralement ce besoin bien plus ancré que les femmes.»

Et si on regardait du côté des hommes?

Il est donc important de distinguer qui de la femme ou de son partenaire est réellement porteur d'une éventuelle souffrance. La femme manque-t-elle vraiment elle-même du désir qu'elle a perdu ou est-ce davantage les tensions dues à l'insatisfaction du partenaire qui sont au premier plan?

La psychothérapeute Dania Schiftan apporte encore un autre point de vue: si la femme n'a pas envie de faire l'amour, cela signifie qu'elle n'en profite pas forcément. «Si l'on se contente de participer au sexe et que l'on ne sait pas du tout comment le sexe devrait être pour nous plaire, il est plus intelligent de la part du corps de dire: laisse tomber.» La sexologue affirme également qu'il est normal que le sexe ne soit plus du tout un sujet dans un couple. «Ce n'est pas à moi de le juger», ajoute-t-elle.

Du point de vue de la sexologie, il n'y a pas de règle sur la fréquence des rapports sexuels dans un couple, et la régularité des rapports sexuels ne doit pas être le garant d'une relation heureuse. «Ce qui est important, c'est que le couple trouve une approche de l'intimité et de la sexualité qui convienne aux deux», explique Eliane Sarasin.

Le sexe comme moyen de se réguler

Du point de vue des expertes, avoir des relations sexuelles n'est donc pas une obligation. Et pourtant, les femmes passent à côté de quelque chose si elles ne s'explorent pas elles-mêmes en tant qu'être sexuel. Un voyage qu'elles peuvent d'ailleurs très bien entreprendre seules.

Dans ses livres, Dania Schiftan guide les femmes à découvrir leur corps, à s'exercer, à se sensibiliser. «Je montre comment les femmes peuvent transformer le sexe pour qu'il devienne une ressource.» Dania Schiftan prend le sport comme comparaison. Les personnes qui courent régulièrement manqueront de quelque chose si leur jogging est annulé. «Le sport sert à se réguler. Le sexe peut également permettre de se réguler.»

Cela peut sembler évident, mais que se passe-t-il si l'envie de faire l'amour en couple ne se manifeste pas malgré tout? «Dans ce cas là, n'ayez pas de relations sexuelles!», s'exaspère Dania Schiftan.

Personne ne doit se sentir coupable

Il est donc important de prendre conscience que les hommes et les femmes fonctionnent différemment. L'homme est plutôt linéaire, la femme plutôt circulaire. Pour beaucoup d'hommes, le désir sexuel vient en premier et l'excitation arrive ensuite. En revanche, chez de nombreuses femmes, le désir et l'excitation ne viennent que pendant le rapport sexuel. 

Comme Eliane Sarasin et Brigitte Leeners l'expliquent dans un article spécialisé, le désir sexuel fait partie d'un processus circulaire pour de nombreuses femmes. Elles s'engagent souvent dans une rencontre sexuelle sans en avoir envie en premier lieu, mais plutôt par désir de proximité ou pour préserver leur relation. 

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Qu'il s'agisse d'une excursion, d'un repas ou d'un rapport sexuel, on peut toujours faire demi-tour et l'interrompre
Dania Schiftan, psychothérapeute et sexologue
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Et lorsqu'on se rend compte qu'on s'est engagé dans un rapport qui ne nous plaît pas, ce n'est pas un problème de l'interrompre de sang-froid, estime Dania Schiftan. «Qu'il s'agisse d'une excursion, d'un repas ou d'un rapport sexuel, on peut toujours faire demi-tour et l'interrompre.» Celui qui ne se laisse pas cette possibilité, et n'écoute ainsi pas ses besoins, finira par vouloir se protéger et ne plus du tout s'engager dans la même situation.

C'est pourquoi il vaut mieux interrompre la relation lorsque l'envie n'est pas là. Et ce, sans mauvaise conscience, sans se sentir coupable. «Les femmes n'ont pas à se défendre si elles n'ont pas envie. Elles ne sont pas non plus responsables des émotions de leur partenaire. Ce serait une prétention exagérée.»

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