Entre génie et folie
Elon Musk conduit-il Tesla droit dans le mur?

Elon Musk joue un jeu dangereux avec sa richesse. Deux scénarios très différents sont envisageables pour l'avenir de Tesla.
Publié: 06:16 heures
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Elon Musk pourrait devenir le premier milliardaire du monde.
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Arthur Konrad
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Elon Musk est «l'homme au trillion de dollars». Pas encore tout à fait, mais tout de même: il est le premier homme à qui l'on a promis mille milliards de dollars pour diriger une entreprise. Une questions se pose donc à tous les adeptes de BD: Elon Musk serait-il plus riche que Picsou?

Ce qui est certain, c'est que des obstacles se dressent entre l'homme le plus riche du monde et cette fortune inimaginable, à commencer par des petites clauses à lire en bas de son contrat. 

Les chiffres à atteindre ne semblent pas si utopiques à première vue. Un million de robotaxis sur les routes, un million de robots Optimus vendus et 20 millions de voitures vendues en dix ans – ce qui fait deux millions d'unités par an. A titre de comparaison: en 2024, le groupe VW en difficulté a vendu 4,8 millions de voitures et se situe aujourd'hui à moins d'un vingtième de la valeur boursière actuelle de Tesla.

Multiplier la valeur boursière par huit

C'est là que les choses deviennent intéressantes. L'obstacle le plus important est sans nul doute la multiplication par huit de la capitalisation boursière, objectif majeur de Tesla. Cela semble tout à fait absurde si l'on considère que la firme joue déjà dans une ligue à part. Mais si Elon Musk parvient à franchir ces difficultés, il se placera dans la lignée des hommes les plus audacieux de l'Histoire. Elon Musk ne serait pas seulement encore plus riche, il serait pour ainsi dire le Neil Armstrong du capitalisme.

Cette comparaison peut sembler exagérée, mais Tesla a été dès le premier jour une communauté de foi plus qu'une entreprise commerciale. C'est pourquoi les objectifs hors sol sont aussi existentiels pour le modèle Musk. Et en effet, la Model S a été une sorte de miracle. Tesla a ouvert la voie, et depuis, rien n'est plus comme avant dans l'industrie automobile. Mais la Model S est maintenant sur le marché depuis 13 ans. Et depuis, il n'y a plus eu de réelles innovations.

Les modèles X, 3 et Y ont apporté les quantités nécessaires, mais ne sont en fait rien de plus que les évolutions du coup de génie dont la firme d'Elon Musk s'est fait l'auteure la première fois. 

Certes, Tesla s'est développé. Toutefois, la domination totale du marché des voitures électriques, attendue et anticipée par les boursiers, n'a jamais été atteinte – elle ne le sera probablement jamais. Les choses se gâtent pour Tesla, et ce, sur plusieurs fronts.

Conseiller Trump a coûté cher

Il a fallu du temps pour que les constructeurs européens sortent de leur état de choc après le miracle de la Model S. Ils n'ont pas été en mesure d'en profiter. 

Mais maintenant, ils sont prêts à se battre, surtout les Allemands, dans toute leur envergure et leur excellence habituelle. Et c'est précisément sur ce point que Tesla a toujours été défaillante. Lorsque les voitures électriques étaient encore nouvelles et excitantes, les clients passaient outre. Mais aujourd'hui, les critiques concernant la qualité et le service client se multiplient et posent problème pour les chiffres de vente.

Musk a mené campagne pour Trump et a été son conseiller.
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En parlant de chiffres de vente, parlons de l'engagement politique d'Elon Musk. Son travail de conseiller auprès du candidat puis président américain Donald Trump a eu un impact sur le chiffre d'affaires de Tesla: une étude menée par des économistes de l'université de Yale estime que jusqu'à 1,2 million de ventes ont été perdues.

Le plus gros problème à venir sera toutefois, et de loin, le raz-de-marée des constructeurs chinois. Ils repoussent les progrès technologiques à un rythme effréné et enthousiasment leurs clients nationaux. En Europe et en Chine, les part de marché de Tesla s'effondrent.

Les échecs s'accumulent

Cette évolution nous amène aujourd'hui à la politique des modèles. Les constructeurs automobiles traditionnels fonctionnent avec des cycles de renouvellement d'environ sept ans, les cycles des Chinois sont encore plus brefs. 

La Model S est fabriquée pratiquement sans changement depuis 13 ans, même la Model 3 a déjà dépassé le cycle normal, X et Y ne sont que des dérivés à toit surélevé. Tous les modèles suivants ont été un désastre. Jusqu'à aujourd'hui, la conduite autonome ne fonctionne pas comme espéré et met même parfois des vies en danger.

Et puis il y a le cybertruck. Cette machine est à peu près aussi excentrique et avant-gardiste que la Leyat Helica de 1921, une berline à six places propulsée par une hélice d'avion. Un sprint jusqu'à 100 km/h digne d'une Ferrari SF90, mais un poids mort de trois tonnes. Avec sa carrosserie en acier inoxydable résistante aux balles et au design «Star Wars», chaque contact laisse une empreinte durable.

Et puis il y a l'échec du groupe cible: les pick-ups sont la catégorie de véhicules la plus importante aux Etats-Unis. Mais les acheteurs ont, eux, tendance à rester terre à terre. Et la communauté des nerds n'est pas assez grande et a une orientation politique différente.

En conséquence, la production de cybertrucks n'est même pas exploitée à un dixième de sa capacité. Même la nouvelle édition du Roadster annoncée pour l'année prochaine risque d'être un spectacle plutôt qu'une source de revenus. Tesla a raté la tendance actuelle la plus brûlante en matière de voitures électriques, à savoir la course à un modèle bon marché.

«Too big to fail»?

Peu de nouveaux modèles, des problèmes de qualité, une concurrence croissante. Dans l'ensemble, Elon Musk semble avoir perdu le plaisir de construire des voitures. Pour n'importe quel autre constructeur, il en faudrait moins pour que le cours de la bourse s'effondre.

Ce n'est pas le cas de Tesla. Les gros investisseurs ont gagné beaucoup d'argent grâce à l'envolée des cours. Tesla est-elle pour autant «too big to fail»? Comme l'a montré le vote sur la ronde des salaires de mille milliards de dollars, 75% des actionnaires se contentent de ravir Elon Musk, lequel est perçu comme le sauveur d'une communauté quasi-religieuse. Mais dans les faits, la conduite autonome n'est pas au point, le robot-taxi repose sur une base technique douteuse, et l'utilité du robot Optimus reste encore à prouver.

Pour tous les sceptiques, Elon Musk a l'air d'un joueur de bonneteau extrêmement rapide et intelligent, qui a toujours réussi à déguerpir avant l'arrivée de la police. Ce petit jeu fonctionnera-t-il encore dans dix ans? C'est là l'une des questions les plus passionnantes de notre Histoire économique récente.

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