L'économie mondiale en difficultés
L'économie suisse reste fragile à cause des menaces de Trump

L'économie mondiale est confrontée à des distorsions. Celles-ci ne laissent pas présager de récession grave en Suisse pour l'instant. Seulement, des droits de douane massivement plus élevés pourraient changer la donne.
Publié: 31.07.2025 à 19:37 heures
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Le secteur industriel suisse souffre depuis longtemps.
Photo: Keystone
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Peter Rohner et Markus Diem Meier
Handelszeitung

Au vu du nombre croissant de rapports négatifs sur l'économie mondiale et de la guerre douanière menée par Donald Trump, un effondrement conjoncturel en Suisse ne serait pas surprenant. Pourtant, notre économie s'est jusqu'ici montrée résiliente dans un environnement devenu plus incertain. Contrairement à l'Allemagne, elle a échappé à la récession comme à la stagflation.

Même les droits de douane américains, déjà fortement relevés, n'ont pas encore laissé de traces visibles dans les chiffres du PIB. Bien au contraire! Pour anticiper les nouvelles barrières à l'importation, les entreprises américaines ont intensifié leurs achats au premier trimestre – juste avant le «Liberation Day» d’avril – notamment de voitures allemandes et de produits pharmaceutiques suisses.

Hausse des exportations

Cela a entraîné une flambée des exportations vers les Etats-Unis. A elles seules, les ventes pharmaceutiques suisses y ont bondi de 4,5 milliards de francs au premier trimestre, représentant près d’un tiers de toutes les exportations de biens.

Cette envolée du commerce, combinée à la bonne tenue du secteur des services, a permis à la Suisse d'afficher une croissance supérieure à la moyenne. En termes réels – c’est-à-dire corrigé de l’inflation – le PIB a progressé de 0,8% sur le trimestre, et de 2,1% par rapport à la même période de l’an passé. Mais ce n’est pas une raison de se réjouir. Les effets négatifs de cette forte poussée des exportations se font désormais sentir. Les entrepôts américains sont saturés, les entreprises ont fait le plein de matières premières et de produits intermédiaires.

Article tiré du journal «Handelszeitung»

Cet article a été publié pour la première fois sur le site handelszeitung.ch

Cet article a été publié pour la première fois sur le site handelszeitung.ch

Les exportations suisses se sont brutalement repliées, passant du sommet de mars – près de 28 milliards – à 21 milliards de francs par mois. Comme la hausse, cette chute s'explique principalement par les produits chimiques et pharmaceutiques. En mai, les exportations horlogères ont aussi chuté.

La Suisse attend Trump

La Suisse reste suspendue aux annonces des douanes américaines. S’ajoute une incertitude généralisée sur les déclarations souvent contradictoires de Trump: quelles menaces profère-t-il exactement? A quelles échéances? Cette confusion affecte aussi le moral des consommateurs, alors que la consommation reste le principal moteur de la demande intérieure. En avril, l’indicateur du climat conjoncturel publié par le Seco a chuté aussi brutalement qu'après le choc du franc en 2015. 

Même la croissance du PIB durant les mois d’hiver semble déjà marquer un tournant. La plupart des économistes s’accordent à dire que le deuxième trimestre sera négatif. Le verdict officiel tombera en septembre, mais les indicateurs hebdomadaires, comme ceux du Seco, montrent déjà une contraction. Le KOF (Centre de recherches conjoncturelles de l’EPFZ) prévoit un recul de 0,4% du PIB au deuxième trimestre, suivi d’un léger redressement au second semestre.

Si Donald Trump mettait ses menaces douanières à exécution, l'économie suisse en serait durement touchée.
Photo: AFP via Getty Images

Cela signifie qu’une mini-récession ne peut plus être écartée. «Selon la façon dont le recul s’étale sur deux trimestres, une récession technique est envisageable», estime Alexander Rathke, économiste au KOF. Les économistes parlent de récession technique lorsque le PIB baisse deux trimestres consécutifs, quelle qu’en soit l’ampleur. Cela ne signifie toutefois pas un effondrement généralisé avec faillites en chaîne et vagues de licenciements.

Sur l’année en cours, le PIB suisse devrait tout de même progresser légèrement. Les prévisions des banques et des instituts de recherche tablent sur une croissance comprise entre 1,1% et 1,4%. Les données récentes, comme le climat de consommation, signalent même une reprise depuis le creux d’avril. 

Le problème est la faiblesse chronique

Mais l'absence de chute conjoncturelle n'est pas la même chose qu'une évolution économique solide. Même avec les taux de croissance positifs enregistrés jusqu'à présent et attendus à l'avenir, l'économie suisse n'exploite pas tout son potentiel. «Cela fait maintenant un certain temps que nous nous trouvons dans une phase de croissance faible», explique Alexander Rathke.

Depuis la fin du boom post-Covid, on investit peu. C'est surtout l'industrie qui en souffre. Cela se reflète dans l’indice des directeurs d’achats, qui reste sous le seuil de croissance depuis trois ans. La valeur ajoutée en pâtit. «L’industrie reste le maillon faible», confirme Fredy Hasenmaile, chef économiste chez Raiffeisen.

Si la situation économique ne se porte pas encore trop mal, c’est grâce à la robustesse de la demande intérieure et à la bonne tenue du secteur des services. Le secteur de la construction bénéficie aussi du soutien des taux d’intérêt bas, en particulier depuis que la Banque nationale suisse a abaissé son taux directeur à zéro face aux craintes conjoncturelles. 

Mais il y a peu de raisons de croire à une reprise rapide des investissements. L’incertitude douanière freine les projets, les entreprises repoussent les nouveaux projets aux calendes grecques. On espérait que la fin du délai de négociation en juillet clarifierait les règles du jeu, explique Alexander Rathke. Mais ce calendrier a de nouveau été repoussé.

En raison de la faiblesse de l'inflation et de la force du franc, la Banque nationale, dirigée par Martin Schlegel, a déjà abaissé son taux directeur à zéro.
Photo: Keystone

Dans ce contexte, les exportateurs suisses ne peuvent guère espérer une reprise franche. Les Etats-Unis combinent des droits de douane élevés avec un dollar affaibli, ce qui renchérit les produits suisses pour les clients américains et ampute les bénéfices des entreprises. 

En parallèle, la croissance américaine ralentit. La Chine aussi traverse une phase difficile: crise immobilière persistante, consommation atone, fuite de capitaux. Et les mesures gouvernementales peinent à redonner un élan à l’économie mondiale – et donc à l’industrie exportatrice suisse.

Espoir en l'Allemagne

Un peu d’espoir nous vient d’Allemagne. La crise de croissance de notre voisin, qui a pénalisé l’industrie suisse ces trois dernières années, semble atteindre son terme. Grâce à un gouvernement désormais actif, une stratégie d’investissements et d’endettement a été lancée, redonnant un peu de confiance aux entreprises. L’indice IFO du climat des affaires a progressé six mois d’affilée depuis son point bas de décembre. «L’économie allemande commence à reprendre confiance», note le dernier rapport de l’IFO.

Les plans du nouveau gouvernement dirigé par Friedrich Merz soutiendraient également l'économie suisse.
Photo: imago/Mike Schmidt

Mais l’ambiance ne suffit pas à enclencher une reprise. Les observateurs restent prudents: «L’économie allemande a peut-être touché le fond», relativise Alexander Rathke. Les effets du programme fiscal ne se feront sentir qu’à la fin de l’année. Quant aux PME suisses, elles ne ressentent pas encore d’amélioration. D’après une enquête de Raiffeisen, la moitié des entreprises exportatrices signalent encore une baisse de la demande allemande. Seul un quart s’attend à une embellie au second semestre.

Même si la Suisse échappe pour l’instant à une crise, la situation reste fragile. Tout nouvel événement négatif sur la scène économique mondiale – comme une escalade de la guerre commerciale – pourrait aisément faire basculer cet équilibre précaire.

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