La monnaie américaine n'a jamais été aussi basse
Le dollar va-t-il encore baisser par rapport au franc?

Le franc suisse a eu le vent en poupe au premier semestre. Et il devrait continuer son ascension… contrairement au dollar. Les prévisions pour le billet vert sont en effet inquiétantes du point de vue suisse.
Publié: 03.07.2025 à 22:21 heures
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Le franc suisse n'est pas seulement cette année l'une des monnaies les plus fortes du monde.
Photo: keystone-sda.ch
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Thomas Marti
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Le franc suisse et la couronne suédoise figurent parmi les monnaies les plus performantes du premier semestre 2025. Commençons par le franc. La devise suisse s’est fortement appréciée par rapport aux principales monnaies du G10, avec une progression notable face au dollar américain (+14,6%), au dollar canadien (+8,4%), au dollar australien (+7,8%), au dollar néo-zélandais (+5,1%) et au yen japonais (+4,6%).

Cette envolée au cours du premier semestre s’explique notamment par le statut de valeur refuge du franc suisse, recherché en raison des incertitudes liées à la politique douanière des Etats-Unis et aux tensions géopolitiques au Moyen-Orient. Contre l’euro, la monnaie suisse s’est également renforcée de 0,7%. 

La couronne suédoise portée par l’industrie de défense

De son côté, la seule devise du G10 à avoir reculé est la couronne suédoise, qui a cédé 2%. Pourtant, depuis mars, la devise suédoise, tout comme l’euro, a bénéficié du lancement du gigantesque programme d’investissement allemand dans l’armement et les infrastructures, d’un montant d’environ 1000 milliards d’euros.

La progression de la couronne n’a rien d’étonnant: la Suède abrite de grands fabricants de matériel militaire et possède d’importantes ressources naturelles aux enjeux géostratégiques croissants. Le pays fournit à lui seul 90% des réserves européennes de minerai de fer et 5% des réserves mondiales.

L'euro en mauvaise posture

Mais tout n’est pas au beau fixe pour la couronne, et cela pourrait avoir des conséquences négatives sur l'euro. Michael Sarve, responsable de la stratégie actions chez la banque Nordea, met en garde contre la récente faiblesse de l’indice des directeurs d'achat dans le secteur manufacturier suédois. Un indicateur qui, historiquement, a souvent servi de baromètre avancé pour la zone euro. Il s’interroge donc sur un éventuel recul similaire à venir dans l’indice PMI de la zone euro.

Si ce scénario se concrétisait, l’euro pourrait de nouveau perdre du terrain face au franc suisse, après une brève phase de stabilité. Les analystes d’UBS envisagent ce risque, notamment dans le contexte du conflit douanier américain. Si celui-ci pousse la Banque centrale européenne (BCE) à abaisser davantage ses taux, tout en stimulant des flux vers le franc, l’euro pourrait tomber sous son plancher historique de 0,92 franc.

Dans une hypothèse de résolution du conflit commercial, les investisseurs pourraient revenir vers les actifs risqués, ce qui tirerait l’euro vers le haut. UBS prévoit alors une remontée à 0,95 franc à moyen terme. Mais à plus long terme, la tendance reste à la baisse.

Selon Nikolay Markov, économiste chez Pictet Asset Management, l’euro pourrait atteindre 0,84 franc, en tenant compte du taux de change pondéré par les échanges commerciaux. Le taux de change pondéré par les échanges commerciaux ou taux de change effectif est la valeur de la monnaie d'un pays par rapport à la monnaie d'un partenaire commercial. Il est calculé à partir des taux de change avec les partenaires commerciaux, les pondérations dépendant de l'activité commerciale respective.

«Des chiffres extrêmes»

Le billet vert, qui a connu un premier semestre noir, n’échappe pas à cette dynamique. Après un premier semestre difficile, il devrait continuer à s’affaiblir face au franc. Nikolay Markov prévoit un taux de change de 0,68 franc pour un dollar d’ici fin 2029, en données pondérées. Claudio Wewel, stratège en devises chez J. Safra Sarasin, table sur un niveau de 0,73 franc à l’horizon 2026.

George Saravelos, responsable de la recherche en devises chez Deutsche Bank, alerte quant à lui sur l’ampleur du déséquilibre américain. Le ratio entre le PIB et les investissements nets atteint -95%, contre une norme historique de -60%. Pour revenir à ce niveau, le dollar devrait se déprécier de 30 à 35% par rapport à son cours actuel. Cela correspond également, selon l'expert, à la correction nécessaire pour rééquilibrer la balance courante. «Ces chiffres sont certes extrêmes, mais ils illustrent la gravité du problème actuel de financement américain.» En francs, une telle baisse ferait chuter le dollar à environ 0,52.

La BNS a les mains liées

Mais une autre raison explique la faiblesse actuelle du dollar. La Banque nationale suisse (BNS) se retrouve dans une situation délicate. Le Département du Trésor américain a récemment placé la Suisse, avec huit autres pays, sur une «liste de surveillance» en matière de pratiques monétaires, ce qui limite la marge de manœuvre de la BNS pour intervenir sur le marché.

La chute du dollar constitue un casse-tête pour la BNS. En 2010, face à une situation comparable (baisse de 35% du dollar en 18 mois), la BNS avait instauré un taux plancher de 1,20 franc pour l’euro, alors également affaibli. Cette décision avait permis un rebond de 60% du dollar en un an. Mais aujourd’hui, la BNS ne dispose plus de cette flexibilité, notamment en raison de l’importance toujours élevée de son bilan.

Vers un rebond du dollar?

Malgré des perspectives moroses à long terme pour le dollar, un rebond inattendu reste possible. Les hedge funds et les spéculateurs détiennent en effet des positions courtes record sur la paire dollar/franc. Si les tensions géopolitiques s’apaisent ou qu’un accord douanier est trouvé, ces positions pourraient être débouclées, entraînant une reprise soudaine du billet vert. Dans le passé, de tels retournements ont provoqué des hausses de 20% ou plus du dollar, comme en 2004, 2008, 2011, 2014 ou encore 2021.

Mais ces rebonds ne changent rien à la tendance à long terme de la dépréciation de la devise américaine. Depuis 2000, le dollar a perdu 55% de sa valeur face au franc. Rien que depuis la crise du Covid en 2020, il a cédé 22%. L’endettement américain en est une cause majeure: fin 2024, il atteignait 121% du PIB, contre 57% en 2000. La Suisse, elle, affiche un taux d’endettement stable et bas, autour de 38%.

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