«L'avantage de l'économie suisse est qu'elle est très flexible»
Le pape de l'économie Jan-Egbert Sturm s'exprime sur la politique douanière de Trump

L'économie suisse fait preuve de robustesse malgré les défis mondiaux. Interview de Jan-Egbert Sturm de l'EPFZ sur l'importance de la consommation, les coûts du conflit douanier et sur le niveau de croissance possible cette année.
Publié: 30.06.2025 à 18:00 heures
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Jan-Egbert Sturm: «L'incertitude est un poison pour l'économie. Nous ne savons pas, par exemple, ce qui se passera le 9 juillet».
Photo: Philippe Rossier
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Christian Kolbe et Philippe Rossier

Lors de la séance photo dans le téléphérique Polybähnli de Zurich, Jan-Egbert Sturm laisse son regard se perdre au loin. Une image qui reflète bien l’incertitude actuelle entourant l’économie mondiale, plus opaque qu’elle ne l’a été depuis longtemps.

Pourtant, le spécialiste de la conjoncture et directeur du Centre de recherches conjoncturelles (KOF) de l’EPFZ ne se laisse pas déstabiliser par les aléas économiques. Habitué à travailler avec des scénarios, il s’impose depuis des années comme une pointure de l’économie suisse grâce à la précision de ses prévisions.

Jan-Egbert Sturm, avez-vous déjà connu des périodes aussi turbulentes que celles que nous vivons actuellement?
J'ai commencé à enseigner à Zurich en 2005. A l'époque, des collègues d'autres disciplines me plaignaient car l'économie politique – et surtout la macroéconomie – passait pour une matière ennuyeuse. Mais la crise financière est arrivée en 2007, suivie de la crise de la dette dans la zone euro, du Covid-19 et de la guerre en Ukraine. Du jour au lendemain, la macroéconomie est devenue plus captivante que jamais.

Le deuxième mandat de Donald Trump doit être l'apothéose pour vous, conjoncturistes...
C'est clair que l'on ne s'ennuie pas en ce moment. Le deuxième mandat de Donald Trump a déjà entraîné d'énormes changements. Au cours des cinq premiers mois de sa présidence, le monde s'est complètement transformé sur le plan politique et économique. Ces transformations étaient certes déjà perceptibles, et Trump en est en partie le résultat. Mais il contribue à les accentuer et à accélérer le rythme. L’ampleur du changement est d’ores et déjà saisissante.

En économie, on connaît la figure du «destructeur créatif», qui balaie l’ancien pour faire émerger du neuf. Cela s'applique-t-il au président américain?
Nous ne pouvons pas dire actuellement que Trump est un tel destructeur au sens donné par Joseph Schumpeter. Il a déjà détruit une partie de la confiance dans le processus politique et créé également beaucoup d'incertitude. Comme par le passé, c'est à nouveau la loi du plus fort qui prévaut. L'ordre fondé sur des règles, qui s'est développé depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, s'érode. Du point de vue suisse, c'est très inquiétant. En tant que petite économie ouverte, nous devons savoir quelles sont les règles du jeu et qu'elles présentent une certaine fiabilité.

Où se situe exactement le problème?
L'incertitude est un poison pour l'économie. Nous ne savons par exemple pas ce qui va se passer le 9 juillet, quels droits de douane vont réellement être appliqués et à combien ils s'élèveront. Il y a un manque de prévisibilité, les plans d'investissement restent en stand-by par prudence, car les entreprises ne savent pas quelles règles s'appliqueront au marché américain. Cette réticence est un frein à l'évolution conjoncturelle – tant au niveau mondial que suisse.

Cela signifie que ce n'est pas le franc fort qui pose problème, mais le manque de prévisibilité?
La Suisse a toujours été secouée par les vagues de l'économie mondiale...

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L'avantage de l'économie suisse est qu'elle est très flexible, que les entreprises doivent sans cesse se réinventer et peuvent, si nécessaire, se tourner vers d'autres débouchés
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...mais nous avons appris à surfer dessus?
Oui, même si les vagues viennent maintenant d'une autre direction. L'avantage de l'économie suisse est qu'elle est très flexible, que les entreprises doivent sans cesse se réinventer et peuvent, si nécessaire, se tourner vers d'autres débouchés. Même si ce n'est certainement pas facile pour de nombreuses entreprises, le franc fort s'est souvent révélé être un bon camp d'entraînement pour l'économie suisse. A cela s'ajoutent un marché intérieur robuste et un marché du travail flexible.

La Suisse est considérée comme le pays le plus compétitif du monde, notamment parce que l'Etat et l'économie sont considérés comme très efficaces. Pourtant, nous avons l'impression que la bureaucratie augmente de jour en jour.
C'est vrai, la bureaucratie a également augmenté en Suisse. Du point de vue de l'économie, peu de gens le souhaitent. Mais en comparaison internationale, nous sommes toujours bien placés. Le monde est devenu plus complexe. La politique tente de répondre à cette complexité par de nouvelles règles. Celles-ci s'ajoutent aux règles existantes et c'est ainsi que la bureaucratie s'accroît.

En Suisse, les taux d'intérêt sont désormais à zéro, dans quelle mesure les taux d'intérêt négatifs sont-ils envisageables?
Pour l'instant, il n'y a pas de menace de taux d'intérêt négatifs. Si, après le 9 juillet, on en reste seulement à ces droits de douane de base de 10%, une légère reprise de l'économie devrait s'amorcer en Europe et surtout en Allemagne, alors la BNS n'aura pas besoin de baisser davantage les taux d'intérêt. En revanche, si l'économie mondiale devait connaître des bouleversements plus importants, les choses seront différentes.

Que pourrait-il se passer?
Trump pourrait s'en tenir aux droits de douane initiaux du «jour de libération». Cela pourrait coûter à la Suisse 17,5 milliards de francs de valeur ajoutée en 2026. Cela représenterait 2000 francs par habitant.

Espérons que nous n'en arriverons pas là. Qu'est-ce que cela signifie pour l'économie suisse?
Selon nos prévisions, celle-ci devrait croître de 1,4% cette année. C'est légèrement inférieur à la croissance potentielle d'environ 1,5%. Nous ne devrions retrouver ce niveau que l'année prochaine. Outre l'économie d'exportation, la consommation en Suisse reste importante en tant que pilier de l'économie intérieure. Le taux d'épargne en Suisse est élevé, les gens peuvent bien absorber les fluctuations à court terme. Le moral des consommateurs est encore bon et contribue largement à la stabilité de l'économie suisse.

Tant que les gens ont un emploi. Quelle est la situation sur le marché du travail?
La faiblesse conjoncturelle actuelle due au conflit douanier laisse présager une légère hausse du taux de chômage à 3%. Toutefois, les évolutions démographiques font que les entreprises sont généralement réticentes à licencier. Certes, les entreprises sont moins nombreuses à signaler un manque de personnel comme problème, mais cet indicateur se situe toujours à un niveau historiquement élevé.

Et qu'en est-il des salaires?
Actuellement, nous prévoyons un renchérissement des prix intérieurs d'environ 0,5% en 2026. Avec la hausse de la productivité, les salaires devraient donc augmenter d'environ 1% l'année prochaine.

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