Lac de Constance
Comment les corégones pourraient retrouver les eaux profondes

Certains fragments du génome d'une espèce éteinte de corégone du lac de Constance ont persisté chez les espèces actuelles, rapportent des chercheurs de l’Institut de recherche sur l’eau (Eawag). Cela pourrait aider ces poissons à recoloniser les eaux profondes.
Publié: 24.02.2022 à 17:59 heures
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Dernière mise à jour: 24.02.2022 à 18:02 heures
L’une des quatre espèces de corégones existant jadis dans le lac de Constance - Coregonus gutturosus (en bas à droite) - a disparu il y a environ quarante ans.
Photo: Eawag/Oliver Selz

Les services de la pêche du lac de Constance prélèvent depuis un siècle environ des échantillons d’écailles de corégones. Ce travail avait pour objectif de déterminer l’âge des poissons et leurs taux de croissance, a indiqué jeudi l’Institut de recherche sur l’eau (Eawag) dans un communiqué.

David Frei, du département Écologie & évolution des poissons de l’Eawag, s’est servi des tissus adhérant aux écailles pour extraire du matériel génétique et analyser le génome de corégones qui peuplaient le lac de Constance il y a 90 ans.

Diminution drastique des espèces de corégones

À la suite de l’eutrophisation (pollution entraînant une prolifération d'algues) de ce lac au cours des années 1950, l’une des quatre espèces de corégones endémiques a disparu. Les chercheurs ont séquencé le génome de cette espèce – Coregonus gutturosus – ainsi que des échantillons, anciens et actuels, des trois espèces de corégones qui peuplent encore le lac de Constance.

Il existait plus de 30 espèces de corégones endémiques aux grands lacs préalpins suisses, mais cette diversité a considérablement diminué avec l’eutrophisation des lacs. Un tiers environ des espèces de corégones alpins a disparu en l’espace de quelques décennies seulement, note l’Eawag.

Les espèces les plus touchées par ces changements ont été celles qui se reproduisaient en eaux très profondes, dont Coregonus gutturosus. L’eutrophisation causant un manque d’oxygène dans les profondeurs, leur population n’a cessé de diminuer et l’espèce a été refoulée vers des profondeurs moindres, où elle était côtoyée par d’autres espèces.

Le rapprochement des sites de reproduction a pu faciliter des croisements. En conséquence, des espèces qui s’étaient adaptées à différentes niches écologiques et différenciées se sont trouvées génétiquement mélangées, donnant lieu à un phénomène d’inversion de la spéciation. Cette inversion, où deux espèces se fondent en une seule, est précisément un facteur qui peut conduire à l’extinction d’une espèce.

Des fragments de génome prometteurs

En comparant les génomes des corégones, les chercheurs ont constaté que les différences entre espèces ont fortement diminué suite à l’eutrophisation. Les croisements ayant eu lieu ont cependant préservé des fragments de génome de l’espèce éteinte au sein du génome des espèces encore vivantes de nos jours.

Les chercheurs présument que des adaptations de Coregonus gutturosus aux eaux profondes pourraient, en partie, demeurer parmi ces fragments. Il n’est pas impossible selon les auteurs que l’héritage génétique de l'espèce puisse faciliter la reconquête des eaux profondes du lac de Constance par les corégones.

Grâce aux efforts communs entrepris par les pays riverains dans le domaine de la protection des eaux, la teneur en nutriments du lac de Constance a considérablement diminué et les habitats en eaux profondes sont de nouveau accessibles aux corégones.

Un retour dans les eaux profondes?

Un projet en cours devrait permettre de déterminer si les fragments de génome Coregonus gutturosus jouent un rôle dans la recolonisation du milieu profond. Il s’agira, pour les chercheurs, d’étudier si les corégones vivant en eaux profondes portent des fragments spécifiques au génome de l’espèce éteinte.

Si l’hypothèse se confirme, une reconsidération des approches en matière de protection des espèces s’imposerait: la préservation des populations hybrides serait alors bien plus importante qu’on ne le supposait jusqu’ici, conclut l’Eawag.

Ces travaux, publiés dans la revue «Nature Ecology & Evolution», ont été menés dans le cadre du projet «SeeWandel: la vie dans le lac de Constance – hier, aujourd’hui et demain», qui étudie l’impact de la diminution des nutriments, du changement climatique, des organismes invasifs et d’autres facteurs. La présente étude fait partie de treize projets auxquels participent sept instituts de recherche situés en Allemagne, en Autriche, au Liechtenstein et en Suisse.

(ATS)

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