Jeudi après-midi à Sölden. Lara Gut-Behrami est assise aux côtés du président de la FIS, Johan Eliasch, lors du Race Talk. Et elle dégaine un discours brûlant. «Avant, une skieuse était en colère quand elle ne gagnait pas», lance-t-elle. Elle cite Anja Pärson (Suède), Janica Kostelic (Croatie), Tina Maze (Slovénie) — et se prend elle-même pour exemple.«Aujourd’hui, il est plus important d’être aimée», déplore-t-elle.
Vingt-quatre heures plus tard, elle est sur le podium. 1300 mètres plus haut, dans la zone d’arrivée du géant de Sölden, elle sourit depuis la troisième marche. «J’ai raté la première manche, j’ai skié trop joliment. On perd vite une seconde», explique-t-elle. Cinquième à mi-course, elle comptait alors 1’’54 de retard.
«Là, je me suis fâchée. La neige était facile. Dans la deuxième manche, je n’étais pas propre, mais j’ai attaqué – et c’est ce qui compte.» À l’arrivée, il lui manque 1’’11 sur la gagnante Julia Scheib (Autriche) et une demi-seconde sur Paula Moltzan (États-Unis).
L’ambition, lien entre Julia Scheib et Lara Gut-Behrami
Voir Julia Scheib remporter sa première victoire en Coupe du monde ne peut que réjouir Lara Gut-Behrami. Pas parce que l’Autrichienne met fin à neuf ans de disette en géant pour son pays, mais parce qu’elle lui ressemble. Julia Scheib, comme Lara Gut-Behrami, se méfie des médias et refuse de sourire simplement parce qu’on l’attend d’elle. Ce samedi, malgré les 15'900 spectateurs en liesse, la Styrienne reste de marbre.«Ce n’est pas celui qui sourit le plus qui est le plus heureux», lâche-t-elle sèchement. Avant d’ajouter: «Je ne suis pas toujours aussi calme, je peux être différente. Mais avec le calme, la vie est plus facile.» Son soulagement, en revanche, est immense: «Comme si mille kilos étaient tombés de mes épaules.»
Le talent de Julia Scheib, tout comme son ambition, est connu depuis longtemps — ambition qui lui a parfois joué des tours. À deux ans et demi, elle dévalait déjà les pentes en combinaison rose et bonnet vissé sur la tête. Peu après, elle annonçait à son père qu’elle voulait un jour gagner une Coupe du monde.
Mais contrairement à Lara Gut-Behrami, Julia Scheib n’avait rien d’insouciante lors de ses débuts sur le circuit, il y a huit ans. Réservée alors comme aujourd’hui, elle a pourtant tout connu: rupture des ligaments croisés à 17 ans, puis une seconde cinq ans plus tard, sans oublier la double épreuve du Covid et de la mononucléose. Elle confiera un jour avoir traversé«les heures les plus sombres qu’on puisse imaginer.»
Lara Gut-Behrami:«Non, ça ne va pas!»
Ce n’est pas tant les blessures qui rapprochent Julia Scheib de Lara Gut-Behrami, mais leur obsession du haut niveau. Julia Scheib ne veut pas seulement participer: elle veut gagner. Pour elle, la satisfaction est synonyme de stagnation. Rien d’étonnant à ce qu’après son triomphe à Sölden, elle déclare sans détour: «Mon objectif, c’est le globe de cristal en slalom géant.»
Un discours qui parle à Lara Gut-Behrami. Double lauréate du classement général, la Tessinoise comprend mal les athlètes qui se contentent de moins. «Je ne travaille pas pour être dixième. Ça m’agace quand des jeunes trouvent ça normal. Non, ce n’est pas ça!» s’agace-t-elle.«On s’entraîne tous les jours pour gagner. Je ne me lève pas pour finir 25e. Bien sûr, ça arrive, et je l’accepte. Mais être satisfait d’un top 15 unique, non, ce n’est pas bien.»
Julia Scheib, elle, signe à Sölden son 20e top 15 en carrière — mais reste loin d’être comblée. Et on comprend pourquoi: quand on dompte une pente à 68% comme elle l’a fait, on peut légitimement viser plus haut. L’une des clés de son succès? Martin Sprenger, son nouvel entraîneur technique. Ancien mentor de Nicole Hosp (Autriche) et d’Alexis Pinturault (France), il a su trouver les bons mots dès le départ.«Martin est un vrai pro. Il est disponible 24 heures sur 24, passionné, sans peur. Des comme lui, il n’y en a pas beaucoup», salue-t-elle.
Pas là pour faire des sourires
Et Lara, dans tout ça? Au début de sa carrière, contrairement à Julia Scheib, elle montrait encore ses émotions, bonnes ou mauvaises. Ces dernières années, elles se font plus rares. «Peut-être que c’est une autoprotection, quelque chose d’inconscient», glisse-t-elle.«Mais j’ai l’impression que tout est comme d’habitude.» Une chose est sûre: elle ne transpire pas «tous les jours à la salle pour descendre avec un drapeau et saluer la foule.»
Côté suisse, Lara Gut-Behrami évite de peu une claque collective. Camille Rast (15e), Vanessa Kasper (29e) et Wendy Holdener (30e) marquent quelques points, sans briller. Mais la Tessinoise refuse d’en rajouter. «Ce n’était qu’une course. Et on est trop gâtés en Suisse, avec des victoires et des podiums à répétition. Mais le ski, c’est d’abord une question de confiance totale. C’est la Coupe du monde, pas une course régionale: les autres ne dorment pas.»