Un Lausannois au cœur du scandale de la CAN
«Pour les Comores, c’est plus une victoire qu’une défaite»

Joueur du Stade Lausanne Ouchy, Rafidine Abdullah a pris part au match de folie livré par l'équipe comorienne à la CAN. La modeste sélection a été éliminée par le Cameroun en huitième de finale, au terme d'une soirée de toutes les polémiques.
Publié: 25.01.2022 à 20:59 heures
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Dernière mise à jour: 26.01.2022 à 07:31 heures
Le Lausannois Rafidine Abdullah (numéro 13, au centre), au duel avec le Bernois Moumi Ngamaleu.
Photo: AFP
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Ugo CurtyJournaliste Blick

La planète football ne parle plus que des Comores. Sa modeste équipe nationale a été éliminée par le Cameroun en 8e de finale de la Coupe d’Afrique des Nations (CAN) lundi soir (2-1). Décimés par le Covid, puis désavantagés par le règlement, les Comoriens ont été obligés de jouer sans leur gardien.

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C’est le défenseur de métier Chaker Alhadhur qui a enfilé les gants, son numéro 3 scotché sur son maillot de portier, comme pour un tournoi de foot des talus. Les «Cœlacanthes» – surnoms tirés d’un étrange poisson des profondeurs – ont même frôlé l’exploit malgré un carton rouge reçu dès la 5e minute de jeu…

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Une soirée que ce petit pays, dont la taille de la population est légèrement supérieure à celle du canton de Berne, n’oubliera jamais. Deux «Lausannois» ont participé à cette aventure héroïque, première participation des Comores à la CAN. Rafidine Abdullah et Mohamed Abdallah évoluent au Stade Lausanne Ouchy, le deuxième club de la capitale olympique qui évolue en Challenge League (deuxième division suisse).

Ancien joueur de l’Olympique de Marseille, Rafidine Abdullah était titulaire face au Cameroun lundi soir à Yaoundé. Il décroche son téléphone au lendemain de ce match insensé. La nuit n’a pas suffi à chasser toutes les émotions qui s’entrechoquent encore dans sa tête.

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Rafidine, est-ce que vous avez réalisé ce qui vous est arrivé lundi soir?
Ce match et notre parcours dans cette CAN resteront comme quelque chose d’historique. Nous avons tout donné malgré les injustices. Quoi qu’il arrive, nous voulions sortir la tête haute. On savait que ça allait être très dur. Nous devions jouer pour nous, nos familles, tout le peuple des Comores. Sur le papier, l’affiche était déséquilibrée. Ce match a été un scandale. Si nous avions pu lutter à armes égales… mais bon, c’est le destin. C’était écrit.

Votre gardien n’a pas été autorisé à jouer malgré un test négatif au Covid le matin du match. Une décision qui vous a désavantagés et provoqué beaucoup de réactions.
Ces changements de règlements, ces magouilles, c’est moche ce qu'il s’est passé. C’est dommage parce que le Cameroun est une grande nation du football. Nous avons encore du mal à digérer cette soirée. C’est un mélange de rage, de déception et de fierté qui s'entremêlent. Les petites nations seront toujours désavantagées malheureusement. L’argent est un outil puissant. Le plus fort fait ce qu’il veut. Pas qu’en Afrique d’ailleurs.

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Est-ce que c’est aussi vrai que l’escorte de la police camerounaise a abandonné votre bus avant le match, vous laissant plantés dans les embouteillages?
(Rires) Non, les images ont été tirées hors de leur contexte. L’escorte était présente mais malgré cela, nous avons été pris dans les embouteillages. Vu que nous étions en retard, nous avons dû commencer à nous changer dans le bus et faire certains soins avec les physios. Les protocoles liés au Covid sont très stricts et nous sommes arrivés avec une dizaine de minutes de retard. Mais c’était loin d’être le plus gros scandale de la soirée.

Votre histoire a touché des fans de football partout sur la planète.
Je ne suis pas sur les réseaux, mais l’engouement a été fou, oui. J’ai reçu plein de messages. Tout le monde était pour nous en Europe et en Afrique. L’équipe a ressenti cette fierté et ce soutien. Même si la frustration prime, c’est plus une victoire qu’une défaite.

Rafidine Abdullah (à gauche) et ses coéquipiers saluent leurs supporters après leur morceau de bravoure.
Photo: AFP

Qu’est-ce que le football représente aux Comores?
Aux Comores, et en Afrique de manière générale, le football représente beaucoup. Tout le monde vibre pour l’équipe nationale, des enfants aux plus anciens. Malgré les difficultés du quotidien, tout s’arrête quand il y a des matches. C’est jour de fête! Forcément, il y a une certaine pression de devoir faire honneur à cet amour et cette passion. Mais nous sommes habitués en tant que professionnels. Nous devons surtout garder en tête la notion de plaisir. C’est un jeu et c’est par le jeu que nous pouvons offrir du bonheur au peuple.

Cette CAN, c’était le plus grand moment de votre carrière?
Oui. Même si en tant que Marseillais, j’ai pu jouer à l’OM, au Vélodrome devant un public mythique. Mais là, c’était encore autre chose. Nous étions portés par quelque chose de plus grand encore. Tout le monde pensait qu’on était perdus après les deux premiers matches. Nous n’avons jamais baissé les bras. Notre but contre le Cameroun, c’était irréel. On y a cru jusqu’au bout.

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On a senti qu’il y avait un supplément d’âme dans votre équipe.
Absolument. Durant notre stage de préparation en Arabie saoudite, nous avons pu effectuer le pèlerinage de la Mecque. La quasi-totalité de l’équipe est musulmane. Partager en équipe ce moment spirituel, qui est un aboutissement pour les fidèles, nous a unis à jamais. Nous n’étions pas des coéquipiers sur le terrain, mais des frères. Notre aventure allait bien au-delà du football.

Avant de retrouver Lausanne et le championnat suisse, est-ce que vous aimeriez ajouter encore quelque chose sur cette soirée?
C’est juste, je rentre mercredi en Suisse. Oui, j’aurais aimé avoir une pensée pour les événements tragiques qui ont eu lieu avant le match (ndlr: un mouvement de foule devant le stade a provoqué la mort de huit personnes). Au-delà du résultat et du football, je tiens aussi à dédier une pensée et faire part de ma tristesse pour les victimes de la bousculade et leurs proches. Cela me fait mal au cœur de voir un tel drame autour d’un match.

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