Je dois dire que le show effectué par Gianni Infantino et Donald Trump lors du tirage au sort de la Coupe du monde m’a laissé assez froid. J’ai vu que beaucoup de monde s’est énervé à ce sujet, dont mon ami Robin Carrel dans les colonnes du Matin, mais ce cirque, personnellement, a plutôt tendance à me faire marrer.
Bien sûr que je trouve ça un peu ridicule, mais je ne me sens pas «pris en otage» en tant qu’amateur de football, parce que mon plaisir, personnellement, ne se trouve pas là dans une salle de spectacle remplie de VIP. Je suis allé une fois à la cérémonie du Ballon d’Or et ces trois heures passées au Châtelet m’ont convaincu de ne jamais y retourner, ou alors avec une très très bonne raison (une interview de Hristo Stoïchkov ferait l’affaire, j’avoue).
Alors, le tirage au sort de la Coupe du monde, le champagne-caviar en costard-cravate, merci, je passe mon tour. Le foot, c’est en pull à capuche sinon rien (la vie en général aussi).
Chacun vit le football comme il l'entend
Le vrai plaisir lié au football, il se trouve ailleurs, et c’est à chacun de nous de décider où il se cache. Est-ce lors d’une soirée avec ses amis après le boulot devant la télévision et un match de Champions League? Est-ce en famille, en amenant sa fille ou son fils au stade le dimanche? Est-ce en partageant des bières avec les copains à la buvette du fote après l’entraînement de 4e ligue? Est-ce tout seul devant sa télévision, grand écran au pied du lit, et commentaires d’Alain Rohrbach, le meilleur d’entre nous? Ou de manière plus accessoire, le foot c’est une fois tous les quatre ans à Ouchy pour un match de Coupe du monde de la Suisse au milieu de milliers d’autres personnes et basta, je préfère largement le hockey, Malley c’est plus sympa que la Tuilière?
La beauté du football est précisément là: il existe des millions de manières différentes de l’apprécier, ce qui n’est pas le cas des autres sports, bien moins exposés et universels. Si vous aimez le volleyball (chacun ses névroses), vous n’avez pas vraiment d’autre choix que celui de vous rendre à la salle pour y partager votre passion, par exemple.
Bon, tout ça pour en arriver où? Au prix des places de la Coupe du monde. Là, j’avoue, je suis outré. Parce que je sais les sacrifices qu’ont fait mes parents pour me faire vivre le Mondial 1994 aux Etats-Unis. J’avais 12 ans et mon père et ma mère avaient économisé chaque franc pendant plus de six mois pour me permettre de m’envoler avec mon père en direction de Detroit y assister à Suisse-Roumanie et Suisse-Etats-Unis. Un souvenir inoubliable, le voyage d’une vie pour un petit garçon malade de football. Et ça me rend triste de me dire que même dans un pays riche comme la Suisse, il sera impossible pour le petit garçon de 2026 de meuler ses parents comme je l’avais fait voilà trente ans.
Et encore, on est en Suisse!
Pourquoi? Parce que les prix commencent à fuiter. En plus de l’avion (moins cher qu’à l’époque) et des hôtels qui gonflent leurs prix, un supporter de la Nati devra payer, s’il a de la chance, 140 dollars pour les quelques places de catégorie inférieure à disposition pour le match contre le Qatar. Les autres tarifs «supporters» pour ce match: 380 dollars en «standard» (!!!) et 450 en «Premier». Pour le deuxième match: 180-400-500. Et pour le match contre le Canada: 265-500-700.
On continue le musée des horreurs: impossible d’entrer dans le stade à moins de 235 dollars pour le 16es de finale, à moins de 295 pour les 8es, 680 pour les quarts, 920 pour les demi-finales et je vous le mets quand même pour rigoler 4185 dollars pour la finale! Oui, vous faites bien la même gueule que moi lorsque je les ai découvert hier.
Autant dire que si votre gosse à Noël vous demande comme cadeau de l’envoyer à la Coupe du monde parce qu’il a été bien sage à l’école, offrez-lui plutôt une sortie au kebab ou même une playstation, ça fera moins mal. Et encore: on est en Suisse! Imaginez les autres pays, même sans parler d’un Congolais ou d’un Ghanéen qui a malheureusement d’autres priorités qu’un match de football dans sa vie. Non mais franchement ça me donne le tournis. Ces prix sont injustifiables, d'autant que ce n'est pas là que la FIFA fait son bénéfice, mais bien sur les droits télévisés et les partenariats.
Une trahison faite au football, bien pire que des pitreries sur scène
Et ça, je dois dire, c’est une bien plus grave trahison faite au football que des pitreries sur scène. Qu’on ne me parle pas de loi du marché et de l’offre et de la demande. Je ne découvre pas le capitalisme aujourd’hui, merci, mais là, ce n’est même plus une régulation du marché qu’il faut, mais bien un retour sur terre. Si les supporters ne peuvent plus se déplacer et soutenir leur équipe, quelle est la véritable nécessité d’une Coupe du monde?
Si les peuples ne peuvent plus se rassembler entre eux et des supporters suisses et canadiens se retrouver avant le match et fraterniser, alors à quoi sert un tournoi mondial? A vendre des publicités pour les gens restés devant leur télévision? Devenir des moutons prêts à être tondus, c’est ça notre utilité en tant qu’amateur de football? J’aime pas être grossier dans mes messages envers vous, excusez-moi d’avance, mais je ne peux pas conclure ce message autrement qu’avec un vibrant: ben merde alors.
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