Arts occultes en plein boom
Les sorcières romandes sont sur TikTok

Sur des réseaux sociaux comme Instagram et surtout TikTok, de plus en plus de jeunes femmes se revendiquent «sorcières». Loin de n'être qu'un effet de mode, l'ésotérisme 2.0 est une nouvelle manière de s'affirmer et de questionner la société.
Publié: 23.06.2021 à 05:47 heures
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Dernière mise à jour: 23.06.2021 à 09:28 heures
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Valentina San MartinJournaliste Blick

Le chapeau pointu et le balai, tels sont les accessoires qui ont longtemps fait partie de l’attirail de toute sorcière qui se respecte. Mais voilà, nous sommes en 2021 et les temps ont changé. Les sorcières du XXIe siècle, elles, préfèrent Instagram ou TikTok.

Certaines sont même suivies par des milliers de personnes sur le réseau social chinois, rien que ça. Quant au hashtag #witch, il cumule 7,6 milliards de vues, #witchesoftiktok ou encore #babywitch, pour celles qui débutent en décomptent 1,8 milliard. En cliquant dessus, on trouve des tutoriels pour réaliser des sorts, des recettes de potions magiques, des vidéos sur l’étude de la magie et même des adresses de boutiques où acheter des herbes et autres ingrédients mystérieux. Bref, on est sur de la bonne sorcellerie 2.0.

Des sorcières qui vous veulent du bien

Photo: Selenya/Canva

Attirée par les arts occultes depuis l’adolescence, Selenya s’est ensuite rapprochée du Wicca, une religion néopaïenne qui célèbre les cycles de vie, les festivals saisonniers et affirme l’existence du surnaturel. De longs cheveux acajou, des yeux marron en amande, on est bien loin de la méchante vieille femme bossue au nez crochu. Esthéticienne de formation, la Genevoise de 35 ans est active depuis deux ans sur Instagram et depuis environ six mois sur TikTok.

Explications sur l’utilité de certains objets et vidéos de son autel à la gloire d’Hécate, la reine des sorcières, Selenya utilise surtout TikTok comme vitrine à travers laquelle elle partage son quotidien de sorcière. Faire appel aux services personnalisés de la Genevoise coûte entre 90 et 250 francs. Trouver l’amour, harmoniser son couple ou améliorer ses finances font parties des requêtes qu’elle reçoit le plus souvent. Toutefois, la jeune femme suivie par presque 2000 personnes refuse toutes sollicitations en lien avec la magie noire: «Hors de question de faire revenir un ex ou demander que la malchance s’abatte sur une personne», avertit la jeune femme.

Photo: mellysweetlight/Canva

Un peu à l’image des sœurs Halliwell de la série «Charmed», Mélanie 32 ans, souhaite répandre le bien. La Neuchâteloise se fait d’ailleurs appeler MellySweetlight sur les réseaux. Passionnée d’astrologie et de cartomancie, elle confie que c’est sa grande empathie qui l’a attirée vers les énergies magiques: «Le tarot est une manière d’accompagner les gens, de les aider à trouver leur voie». La jeune femme explique avoir été «appelée» par les arts occultes à l’adolescence: «Tout a commencé lorsque je suis allée voir un médium pour lui demander si j’allais réussir mon CFC. C’est lui qui a reconnu mon don. Par la suite, j’ai appris que ma mère avait refusé le secret et que ma grand-mère était guérisseuse en Uruguay».

Inscrite sur TikTok depuis avril dernier, la jeune femme propose des tirages généraux et gratuits. «En fait j’utilise TikTok pour me lancer et me faire un nom dans le milieu. D’ici quelque temps, j’espère pouvoir vendre des accessoires en lien avec ma passion pour les énergies magiques».

Photo: Witchsaloon/Canva

La vente d’accessoires, Deborah vient tout juste de s’y mettre. Après avoir été active durant deux ans sur les réseaux, la Biennoise de 28 ans a décidé de créer sa petite entreprise au début du mois de juin. «Je me suis longtemps sentie différente. M’exprimer sur les réseaux sociaux m’a aidée à m’assumer en tant que femme et sorcière», nous confie-t-elle. Sur TikTok, Deborah propose surtout du tirage de cartes gratuit ou sur dons et quelques astuces de sorcières. Mais c’est surtout sur Instagram qu’elle gère son business.

Potions, grimoires et outils magiques, il y en a pour tous les goûts. Toutefois, entre passion rémunérée et grosse arnaque, il n’y a qu’un pas. Un peu à l’image de son métier d’informaticienne, Deborah se veut pragmatique: «Des escrocs, il y en a partout et dans tous les domaines. D’autant plus qu’aujourd’hui on trouve n’importe quoi sur les réseaux. Il convient donc de rester prudent». Mais comment savoir si on a affaire à une personne malveillante? «Du moment qu’on incite le client à dépendre de ses services ou qu’on promet des miracles, il faut se méfier», signale la jeune femme.

Arts occultes et arnaques: ce que dit la loi

Certes les arnaques dans le milieu ésotérique, le tout à travers un écran, sont une réalité. Cependant, comme le précise Nicolas Capt, avocat en droits des médias et des technologies, les activités liées aux arts occultes ne sont pas réglementées pour elles-mêmes, contrairement à certains métiers. «Pas besoin d’un diplôme en divination pour vendre ses services de médium, par exemple. De plus, il ne s’agit pas en soi d’une activité illégale selon le droit suisse». Dès lors, n’importe qui peut demander de l’argent en échange de rituels présentés comme magiques, tant que l’activité est exercée dans le respect du cadre légal applicable.

Et si d’aventure un tel était victime d’une escroquerie, cela resterait difficile à prouver. «On peut bien sûr déposer une plainte pénale, mais il faudrait démontrer que l’arnaqueur a usé d’astuces pour arriver à ses fins», précise l’avocat.

Certes les arnaques dans le milieu ésotérique, le tout à travers un écran, sont une réalité. Cependant, comme le précise Nicolas Capt, avocat en droits des médias et des technologies, les activités liées aux arts occultes ne sont pas réglementées pour elles-mêmes, contrairement à certains métiers. «Pas besoin d’un diplôme en divination pour vendre ses services de médium, par exemple. De plus, il ne s’agit pas en soi d’une activité illégale selon le droit suisse». Dès lors, n’importe qui peut demander de l’argent en échange de rituels présentés comme magiques, tant que l’activité est exercée dans le respect du cadre légal applicable.

Et si d’aventure un tel était victime d’une escroquerie, cela resterait difficile à prouver. «On peut bien sûr déposer une plainte pénale, mais il faudrait démontrer que l’arnaqueur a usé d’astuces pour arriver à ses fins», précise l’avocat.

Les magasins ésotériques: de l’étrange au prisé

S’il a longtemps été cantonné au rang du kitsch, du bizarre ou du douteux, l’ésotérisme connaît donc un renouveau notamment grâce à une génération habituée aux réseaux sociaux. Cet engouement pour les sciences occultes, le gérant de la boutique ésotérique Rector Lucis à Lausanne l’a bien constaté.

Depuis environ un an, il observe un rajeunissement de la clientèle et de plus en plus de monde dans son magasin, y compris des ados, voire des préados. «Il s’agit souvent de groupes et lorsque je tends l’oreille, je les entends discuter de vidéos qu’ils ont vues sur TikTok et qu’ils cherchent à imiter. Ces nouveaux adeptes s’intéressent particulièrement aux jeux de cartes, aux livres, aux pierres et aux herbes aromatiques. Rien de bien méchant», note le gérant.

Spiritualité, féminisme et pop culture

Assiste-t-on à un simple effet de mode? Rien n’est moins sûr. D’après Irene Becci, professeure à la faculté des sciences sociales et des religions de l’Université de Lausanne (UNIL), cela va bien plus loin. «La crise écologique, la pandémie, la fragilité du système sociopolitique poussent la jeunesse à s’intéresser à d’autres formes de connaissances», explique l’experte. On assiste donc à une sorte de retour aux sources. «On se rapproche de la nature et de ses émotions», précise-t-elle.

Sans oublier que le féminisme s’ajoute à cette dimension spirituelle. Suite à l’avènement du mouvement #MeToo ou la publication du bouquin de Mona Chollet Sorcières: La puissance invaincue des femmes, se présenter comme sorcière est devenu une manière de se réapproprier un certain pouvoir en tant que femme.

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Finalement les diverses œuvres émanant de la pop culture chères à la génération des Millenials ont également leur rôle à jouer. «Harry Potter» dont le premier volet est sorti au début des années 2000, le remake de «Sabrina l’apprentie sorcière» qui date de 2018 ou la nouvelle version de la série «Charmed» sont autant de réalisations qui suscitent la curiosité: «ce sont ces sagas gothiques ou néogothiques notamment qui ont attisé l’intérêt du public».

Les arts occultes ont donc pris une place dans la société. Quant aux réseaux, ils ne sont finalement qu’une fenêtre ouverte sur ces croyances de plus en plus prisées. TikTok permet de s’exprimer sur le sujet à défaut de créer des associations de sorcières suisses qui ne verront sans doute jamais le jour. Symbole d’indépendance, d’insoumission, l’image de la sorcière a été remise au goût du jour dans la pop culture, mais aussi dans les mouvements féministes. Alors, au fond, n’est-on pas toutes un peu sorcière?…

Photo: keystone-sda.ch
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