La protection des salariés est à l’os. Les salaires réels stagnent ou diminuent, tandis que la «flexibilité» génère souffrance et épuisement. Maintenant que l’os est atteint, les amis des patrons au Parlement fédéral veulent la moelle, avec deux propositions débattue en ce moment.
La première émane des Vert'libéraux. Elle date de la période où Uber était dans la tourmente judiciaire. La multinationale avait alors perdu ses procès et le Tribunal fédéral avait admis que les chauffeurs avaient droit à la protection du droit du travail et que les cotisations sociales devaient être payées. Volant au secours de la multinationale, les Vert'libéraux ont repris l’argumentation d’Uber devant les juges et tenté d’en faire une loi que le Tribunal fédéral aurait été contraint d’appliquer.
Ici se joue un débat de principe. Uber et les plateformes veulent se débarrasser de leur «responsabilité entrepreneuriale» sur leurs salariés. Elles prônent une version 2.0 de la cohue à la porte des usines du XIXe siècle: des travailleurs réduits au rôle de quémandeurs n’attendant plus devant la grille, mais dans la salle d’attente de l’algorithme. Même lorsqu’ils sont engagés, ils n’ont aucune garantie d’obtenir du travail et d’être payées lorsqu’ils le font.
Libres? Pas pour l’algorithme
Les patrons de la tech cherchent à ne pas payer les attentes de clients, les déplacements entre les courses et les frais liés. Les chauffeurs, livreurs, etc. seraient «libres»: libres de couper l’application, de ne pas prendre une course. L’inspection du travail de Genève a levé le masque: celui qui exerce cette «liberté» est sanctionné par l’algorithme.
Uber a toujours un chauffeur ou un livreur à disposition, tout simplement parce que le modèle de la multinationale est de mobiliser à proximité des points chauds pléthore de travailleurs qui attendent sans être payés. Tous ces travailleurs «libres», disponibles en tout temps, c’est le modèle économique d’Uber: utiliser la vulnérabilité du travailleur pour faire tourner les compteurs en faveur de l’entreprise.
La rapine ne s’arrête pas là. En sus de la définition du temps et des frais à rémunérer, il y a leur calcul. Celui-ci se heurte à la jungle des données, à l’opacité de l’algorithme et de la distribution du travail. La mise en œuvre du droit d’accès aux données auprès d’une plateforme relève du parcours du combattant. Ce modèle permet aux plateformes de rafler la mise. Uber mange des parts de marché aux autres entreprises et engage une course vers le bas pour tout le secteur. Une fois en position majoritaire, Uber peut majorer ses tarifs au détriment des clients cette fois.
Pour forcer les plateformes à respecter la loi, leurs travailleurs doivent d’emblée être considéré comme des salariés, à charge de celles-ci de démontrer le contraire. Aucun de ces salariés n’a en effet les moyens de mener une bataille judiciaire de dix ans contre Uber et consorts.
Le Centre change de cap
Cette règle utilisée dans d’autres pays a été refusée en Suisse par la droite patronale et le Conseil fédéral. Même la Commission européenne, pourtant fer de lance du néolibéralisme, considère que la règlementation doit être améliorée. Ses propositions dans ce domaine doivent a minima être reprises en Suisse. Dans les faits, il s’agit de mesures d’accompagnement à la libre circulation.
Grâce à la mobilisation des syndicats et à la menace du référendum, les élus du Centre ont changé de position et rejoignent la minorité du Parti socialiste (PS) et des Vert-e-s. Le texte a été refusé cette semaine. Espérons que cette volte-face vaudra aussi pour les salaires minimaux cantonaux. Le Parlement est en effet saisi d’une autre proposition qui baisserait les salaires de milliers de travailleurs dans l’hôtellerie, la restauration, la coiffure.
Le Centre veut tirer profit de la faiblesse du droit de négociation collective en Suisse – plus mauvais que partout en Europe – pour écraser les mesures sociales acceptées en votations populaires à Genève et Neuchâtel. Dans l’hôtellerie, la restauration et la coiffure, les salaires minimaux prévus dans les conventions collectives de travail (CCT) sont si bas qu’il est impossible d’en vivre en Suisse. Dans certaines villes, les employeurs ne parviennent même pas à engager du personnel à ce tarif.
Qu’ils mangent de la brioche!
Les salaires minimaux sont donc une réponse efficace, vu les dynamiques syndicales et des rapports de force entre employeurs et salariés très défavorables à ces derniers. Vouloir exploiter cette faiblesse pour précariser des travailleurs (souvent des travailleuses avec charge de famille) est indigne. Le Centre y ajoute le cynisme lorsqu’il impute cette sous-enchère aux syndicats qui n’auraient qu’à négocier de meilleures CCT. Si les salariés manquent de pains, qu’ils mangent de la brioche!
Ce parti et ses alliés refuse pourtant depuis 20 ans que la Confédération garantisse la liberté syndicale comme le réclament l’Organisation internationale du travail. En Suisse, les patrons peuvent licencier sous n’importe quel prétexte celles et ceux qui se mobilisent pour leurs conditions de travail. Chapeau donc les artistes, mais la comédie doit cesser!