Taxer les super profits
Les «profiteurs de la crise» et la démocratie directe à la Française

Initialement hostile à une taxation exceptionnelle des «super profits», la première ministre Elisabeth Borne ouvre désormais la porte. Logique, au vu de la conjoncture économique. Jean-Luc Mélenchon, lui, rêve de référendum.
Publié: 29.08.2022 à 09:43 heures
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Dernière mise à jour: 29.08.2022 à 11:00 heures
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À l'université d'été de la France insoumise ce dimanche 28 août, le leader de la gauche Française Jean-Luc Mélenchon a défendu l'idée d'un référendum d'initiative partagée (RIP) sur la taxation des super-profits.
Photo: DUKAS
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Richard WerlyJournaliste Blick

Il faut toujours écouter Jean-Luc Mélenchon. Plus que beaucoup d’autres, le leader de la gauche radicale française sent les colères françaises et sait les transformer en propositions politiques, quitte à les attiser au passage. Le fait que ce dernier ait apporté, dimanche, son soutien à la proposition de référendum d’initiative partagée sur l’instauration future d’une taxe sur les super profits des entreprises, mérite donc examen.

Au moment où le gouvernement - et Emmanuel Macron lui-même – ouvre la porte à ce possible impôt exceptionnel, supposé applicable aux «profiteurs de crise», cette idée pourrait être l’une des surprises de la rentrée. Au parlement, et peut-être dans les urnes.

Une idée venue du parti socialiste

Rendons d’abord justice à son initiateur. C’est au leader du parti socialiste Olivier Faure, sauvé en juin dernier de la débâcle électorale par son accord avec la «France Insoumise» de Mélenchon au sein de la Nouvelle Union Ecologique populaire et sociale (NUPES), que revient l’idée d’un tel référendum.

Originalité de ce dispositif référendaire prévu par la Constitution depuis sa réforme de 2008 (sous la présidence de Nicolas Sarkozy) mais jamais utilisé jusque-là: être proposé par au moins un cinquième des parlementaires et un dixième du corps électoral, soit au moins quatre millions de signataires. Une fois ces soutiens réunis, deux options sont possibles: soit l’ouverture d’un processus parlementaire en vue d’adopter une loi, soit l’organisation d’un référendum.

Le patronat français, confronté aux super profits

Parlons ici du référendum. Sur le fond, à savoir la nécessité ou pas de taxer les super profits d’entreprises qui bénéficient de la flambée actuelle des hydrocarbures et des matières premières telles que Total Energie. Le débat est ouvert.

Il sera à coup sûr évoqué lors de la Rencontre des Entrepreneurs de France, le forum de rentrée du patronat qui se tiendra ce lundi et mardi à Paris. Mais au vu du ralliement de la droite traditionnelle à cette idée, la probabilité est grande de voir cette taxe bientôt proposée.

Rien de mieux, en cette période de convulsions sociales dopées par l’inflation et les problèmes de pouvoir d’achat, qu’une exécution fiscale en règle des supposés «profiteurs de la crise». Rappelons d’ailleurs que d’autres pays européens sont déjà passés à l’acte. En mars, une nouvelle taxe de 10% sur les bénéfices supplémentaires des énergéticiens a été mise en place en Italie par l’ancien patron de la Banque centrale européenne Mario Draghi. Revenus espérés: 4,4 milliards d’euros. En Allemagne, une taxe sur les profits des raffineries est aujourd’hui dans le tuyau…

Canaliser les tensions françaises

Le débat sur le référendum, dans une France sans majorité parlementaire, soulève d’autres questions, évoquées ici même au lendemain des législatives. Et si la démocratie directe, que les Français affirment souhaiter à chaque sondage, était le bon moyen de canaliser les tensions sociales en cette période de crise aiguë? Pourquoi ne pas profiter, dans ce cas, d’une initiative partagée sur les taxes des super profits pour y ajouter d’autres sujets comme la réforme des retraites ou celle de l’assurance chômage, que le gouvernement promet toujours de mener à bien?

Le raisonnement est peut-être simpliste. Mais dire au peuple: «Nous allons vous consulter» aurait le mérite de faire retomber les menaces de «troisième tour social». À l’heure de la «grande démission» qui frappe de nombreuses entreprises, un grand rendez-vous référendaire serait un appel à la responsabilité de chacun face aux épreuves économiques et sociales à venir.

Le futur Conseil national de la refondation

Un autre élément doit être mentionné: le lancement annoncé, le 8 septembre, du Conseil national de la refondation, nouvelle instance voulue par Emmanuel Macron, supposée réunir des représentants du monde politique, syndical mais aussi des citoyens… Pourquoi ne pas, d’emblée, mettre à l’agenda de ce Conseil, le référendum défendu par le tandem Faure-Mélenchon?

Taxer les «super profits» est, dans une France toujours passionnée d’égalité, un thème fédérateur. Tant mieux. Se retourner vers les électeurs sur un sujet de ce type, dans un pays fracturé et inquiet, aurait le mérite de resserrer les rangs, tout en permettant au débat économique de retrouver sa juste place, à l’heure des changements impératifs engendrés par le réchauffement climatique.

Les «profiteurs de la crise» auront peut-être une vertu: accélérer la réflexion, en France, sur la mise en œuvre d’un embryon de démocratie directe. Une contribution politique non négligeable. Avant de passer à la caisse.

Retrouvez l'analyse de Richard Werly sur la rentrée sociale française à l'antenne de TV5 Monde.

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