Ce matin, je me suis réveillé en sueur. Le temps de reprendre mes esprits, et la cause de cet état d’agitation m’est revenue comme une évidence. J’avais fait un cauchemar. De ces cauchemars dont on se souvient, tant ils ont imprégné notre sommeil paradoxal. De ces cauchemars qui nous ont paru interminables, alors que leur création imaginaire n’a duré que quelques minutes. J’aurais dû me réveiller en sursaut, pour mettre fin à mon apparente souffrance, mais, telle une grenouille dans la casserole sur le feu, je n’en ai plus eu la force au moment où il aurait fallu le faire.
Rendez-vous compte que j’ai imaginé vivre au sein d’une société, dans laquelle une minorité active et productive, composée de nantis, vivant du profit de leur capital ou du travail d’autrui, contribuait grassement à ce qu’une majorité, victime d’une société antérieure inégalitaire et discriminante, et ne pouvant de ce fait contribuer comme elle l’aurait souhaité au bien-être général, puisse subvenir confortablement à ses besoins. Sans excès certes, mais néanmoins suffisamment pour ne pas vouloir être pénalisée injustement par les conséquences néfastes d’un improbable retour au travail. Juste retour des choses, donc.
Une minorité privilégiée
Alors que la contribution de ces minoritaires privilégiés aurait dû être augmentée pour garantir une paix sociale dont ils étaient les plus grands bénéficiaires, l’égoïsme inhérent à leur nature humaine dévoyée, les amenait régulièrement à proposer un allégement de leur charge fiscale et une meilleure distribution des richesses, entendez par là, comble de l’avarice, une réduction des prestations sociales et une distribution plus parcimonieuse des subventions.
Fort heureusement, cette société avait été construite sur des bases démocratiques, et ces velléités mesquines s’écrasaient systématiquement contre le mur du verdict des urnes. Les prestations octroyées, comme les prélèvements imposés, finissaient, dans le pire des cas dans une rassurante inertie, et dans le meilleur des cas par un renforcement des premières comme par un accroissement des seconds.
Tout allait donc pour le mieux dans le meilleur des mondes, jusqu’au jour où il vint à l’esprit d’une poignée coalisée de ces profiteurs ingrats issus de la minorité, de quitter les lieux pour des cieux plus cléments à leurs portemonnaies.
La mort de la démocratie
En quelques heures à peine, les signatures furent récoltées pour imposer une loi nouvelle ordonnant la confiscation immédiate de tous les passeports et titres de séjour des gros contribuables. Fuir le pays équivalait à fuir son devoir et à trahir la confiance qui leur avait été témoignée.
S'ensuivirent de sombres années de gardes à vue et de confiscations préventives. Jusqu’au jour où une cour de justice, internationale évidemment, de celles qui ne comprennent rien aux particularités locales, est venue rappeler que les riches aussi, avaient le droit de se déplacer. Et le problème résidait précisément dans le fait qu’ils en avaient les moyens, eux!
Ni une ni deux, ce fut l’exode de ces méprisables profiteurs. Au point que les ressources vinrent à manquer. Sans attendre, l’imposition des plus modestes contribuables, que l’on imaginait contraints à la sédentarité, fut augmentée… sans effet pourtant, car ils prirent la fuite à leur tour.
Il fallut peu de temps pour qu’il ne restât sur place que la majorité des démunis, devenus une unanimité dont ils ne savaient quel avantage tirer. L’union qui leur avait permis jusque-là de garder le contrôle s’est alors fissurée et les dissensions sont apparues. La démocratie était morte, la démocratie l’avait tuée.
Quel rêve absurde me suis-je dit. Et je me suis rendormi. Dormez bien!