Sous l'impulsion de la droite, le Conseil fédéral vient de franchir un nouveau cap – hautement contestable, et c’est ce qui motive cette chronique – dans sa gestion de l’accueil des réfugié-e-s ukrainien-ne-s. Désormais, l’octroi du permis S sera conditionné à la région d’origine du ou de la requérant-e. En d’autres termes, le Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) évaluera systématiquement l’intensité présumée du conflit dans les zones d’habitation des personnes concernées en Ukraine.
Cette approche technocratique, fondée sur une lecture étroite et arbitraire de la réalité du terrain, est non seulement illogique, mais elle trahit l’esprit de solidarité et de protection qui devrait guider toute politique d’asile digne de ce nom.
Une guerre pas linéaire
Car la guerre en Ukraine ne se déploie pas selon une ligne de front figée ou prévisible. Elle est mouvante, diffuse, et affecte l’ensemble du territoire national, fragilisant une population dans son intégralité. Qui, en dehors du Conseil fédéral, peut aujourd’hui affirmer, avec une objectivité indiscutable, qu’une région ukrainienne serait «sûre»? Comment soutenir une telle certitude alors que les frappes aériennes, l’instabilité politique, les coupures d’énergie et un traumatisme collectif persistent et frappent tout le pays?
En opérant une distinction géographique dans l’octroi du droit de protection, cette décision nie une vérité essentielle: en temps de guerre, il n’y a pas de réfugiés «recevables» ou «irrecevables» selon leur lieu d’origine. Il n’y a que des vies bouleversées, disloquées par la violence, et cela devrait suffire.
J’estime que derrière cette décision se dissimule une logique plus profonde, et plus insidieuse encore: une xénophobie d’Etat. Ce n’est pas une première. La Suisse a déjà appliqué ce raisonnement cynique, notamment à l’encontre des personnes réfugiées de Syrie, puis d’Ethiopie, à qui l’on a retiré ou refusé la protection (permis F) au prétexte que certaines régions de leurs pays étaient redevenues «stables». Or, plusieurs de ces personnes expulsées ont subi des violences une fois arrivées dans leur pays.
Ma position est claire, et rejoint celle portée par les partis de gauche ainsi que par de nombreuses organisations humanitaires, dont l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR): toute personne fuyant une guerre doit pouvoir bénéficier d’une protection, sans distinction arbitraire fondée sur sa région d’origine. Refuser cette protection au motif que la violence n’embrase pas chaque centimètre carré du territoire, c’est nier la complexité de la guerre et ses conséquences humaines. Là où la Suisse aurait pu faire le choix de la cohérence morale, d’un accueil inconditionnel face à l’effondrement d’un pays, elle a préféré renforcer une logique de tri. Une logique qui délégitime certaines trajectoires d’exil et participe à une forme insidieuse de déshumanisation.