Sororité dans le tourisme
Voyages pour femmes: une tendance en plein essor

Davantage de femmes osent désormais parcourir le monde seules et privilégient souvent les offres en non-mixité. Cette tendance constitue un marché intéressant pour certaines plateformes touristiques et autres hôtels.
Publié: 13.08.2021 à 16:48 heures
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Dernière mise à jour: 16.08.2021 à 11:20 heures
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Valentina San MartinJournaliste Blick

Il y a celles qui voyagent avec des potes, celles qui préfèrent partir en famille et d’autres qui apprécient leurs vacances en amoureux. Et puis, il y a les femmes qui veulent la jouer solo ou qui choisissent de trouver de la compagnie exclusivement féminine une fois hors des sentiers battus. Seules ou en sororité, il y a toujours plus de voyageuses parmi les touristes. La preuve: les femmes en vadrouille sont passées de 59 à 139 millions entre 2014 et 2017, selon les derniers chiffres de l’Organisation mondiale du tourisme (OMT).

Le secteur du tourisme a bien compris cette nouvelle aspiration des voyageuses. L’offre a donc dû s’adapter aux femmes et leurs potentielles envies. C’est le cas du Som Dona Hôtel qui a ouvert ses portes à Majorque en 2019. Il est exclusivement réservé aux femmes de 14 ans et plus. Et non, aucun homme n’est admis dans ce très chic Resort, à l’exception de certains employés. En effet, la loi espagnole contre les discriminations à l’embauche oblige les entreprises à respecter une certaine parité.

Si l’idée de pouvoir se promener en itsi bitsi tini ouini, tout petit, petit, bikini ou seins nus au bord de la piscine sans se faire reluquer est plutôt sympa, l’hôtel sombre parfois dans le cliché: les cuisines de l’hôtel proposent une nourriture «saine». Quant aux chambres, en plus d’être décorées de petites touches roses, elles possèdent toutes sèche-cheveux et lisseurs, espaces de rangement pour les bijoux et nécessaire démaquillant…

Condamnées aux jus detox?

Le Som Dona Hôtel n’est pas le seul établissement à l’ambiance «girly». Le Bristol à Genève propose une prestation «Lady first». Au menu: «Smoothie dans le mini-bar, menus équilibrés et légers servis en chambre, coiffeuse, sèche-cheveux puissant, lisseur et gamme étendue des produits d’accueil 'Molton Brown'»… L’hôtel Einstein de Saint-Gall dispose, pour sa part, d’un étage réservé aux femmes, le «Ladies' Floor», avec tapis de yoga, sélection de produits de beauté et magazines féminins…

Les femmes sont-elles donc condamnées aux jus detox et aux aventures «healthy», tout en restant parfaitement apprêtées? Et bien non. En mars 2021, Suisse Tourisme lançait sa campagne «100% Women». Contactée par Blick, Véronique Kanel, porte-parole de Suisse Tourisme nous explique qu’il s’agit d’une plateforme en ligne nationale inédite comprenant des offres touristiques pensées par des femmes pour les femmes. Ces dernières incluent avant tout des offres dans le domaine des sports de plein air, en particulier en montagne, comme l’escalade, le trail, la randonnée ou le VTT mais pas que. Le site propose aussi des sorties culturelles, gastronomiques ou en lien avec le développement personnel.

En effet, si le voyage au féminin a tout d’abord été caractérisé par des séjours bien-être classiques, Suisse Tourisme a constaté que la demande a évolué: «Le fait d’être guidées dans de nouvelles découvertes par des femmes motive de nombreuses voyageuses à quitter leur zone de confort, par exemple pour oser une randonnée en haute montagne qu’elles n’auraient pas entreprise autrement», note l’institution.

À la recherche de compagnie féminine

Néanmoins, certaines agences ne s’arrêtent pas qu’aux activités au féminin. Des plateformes de voyages spécialisées ont vu le jour ciblant les femmes qui cherchent un binôme féminin pour partir. C’est le cas du site français Copinesdevoyage.com, créé en 2016. Il compte plus de 640’000 membres et est accessible dans toute la francophonie. L’idée: mettre des femmes en contact afin qu’elles puissent potentiellement voyager ensemble et se sentir un peu plus en sécurité.

Dans la même veine, la plateforme La Voyageuse, créée en 2020, est le premier site de «couchsurfing» 100% féminin. Il permet d’être hébergée gratuitement chez l’habitante. Toutefois, la présence d’un homme sur les lieux n’est pas interdite: «La Voyageuse n’est pas qu’un projet féministe, mais un projet qui met en avant l’égalité des sexes», précise la fondatrice Christina Boixière à «L’OBS».

La non-mixité et ses limites

Alors pourquoi cet intérêt pour un entre-soi 100% féminin? Selon Nathalie Stumm, sociologue et collaboratrice scientifique à la HES-SO Valais, ce mouvement s’explique notamment par l’avènement des mouvements comme #MeToo. Contactée par Blick, elle explique: «Cela a contribué à libérer la parole de toutes les femmes concernant les pressions qu’elles peuvent subir. Dans le cadre du voyage, pour éviter le harcèlement, les femmes peuvent adopter des stratégies d’évitement comme le fait de se renseigner avant de partir, d’éviter certains endroits ou ne pas suivre n’importe qui».

Aussi, avoir gagné une certaine indépendance permet aujourd’hui aux femmes d’oser faire davantage d’expériences seules. «Il y a encore 50 ans, les femmes avaient des enfants plus tôt et s’occupaient du ménage. Si partir seule n’a désormais plus rien de choquant, cela n’avait rien d’évident par le passé. Bien sûr des femmes se conformaient aux attentes de leur entourage et intégraient des modèles de comportement qui leur étaient insidieusement imposés, sans même s’en rendre compte. Malgré tout, beaucoup de femmes avaient compris le mécanisme qui les maintenait au foyer et le récusait. Par crainte de représailles, la lutte individuelle a longtemps été souterraine mais les consciences étaient vives. Aujourd’hui, la force du contrôle social a beaucoup faibli et les mentalités ont changé.»

Néanmoins l’experte note que si certaines offres de voyages au féminin se veulent plus rassurantes pour certaines, on tombe aussi parfois dans une tendance plutôt essentialiste: «Si ces prestations permettent aux femmes de se sentir plus en sécurité, la non-mixité pourrait s’avérer dommageable. En se construisant en opposition avec les hommes, on particularise à nouveau les femmes et je ne pense pas que cela serve la cause. Finalement, il est évident que les acteurs du tourisme ont compris qu’il y avait un nouveau marché potentiellement lucratif. En plus d’être une revendication, le 'pro women' fait vendre».

Trois romandes en voyage

Nyota et ses séjours en Asie du Sud-Est

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Nyota a voyagé à Bali.
Photo: Instagram.com/nyouu

Nyota, une danseuse de 27 ans a beaucoup voyagé seule. En 2018, la jeune femme part en Asie durant neuf mois. Thaïlande, Cambodge, Inde, Vietnam, Philippine, Corée du Sud, Vietnam… Partir à l’aventure seule est une manière pour elle de se (re) découvrir, de s’émanciper, de gagner en assurance. Mais alors, partir en solo durant des mois dans ces coins aux cultures et religions fondamentalement différentes lui a-t-il fait peur? «L’Asie est un continent plutôt 'safe' et puis beaucoup de 'backpackers' s’y rendent. Tout le monde fait plus au moins le même trajet.» Toutefois, la Suissesse confie qu’au départ, elle préférait crécher dans des dortoirs réservés à la gent féminine: «Je n’avais pas peur, mais j’avais envie de jouir d’un certain confort, de pouvoir étaler mon bordel, genre tampons etc. sans que cela choque».

Gaëlle amoureuse de l’Amérique de sud

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En 2018, Gäelle a vadrouillé au Brésil.
Photo: Instagram

Gaëlle voyage seule depuis ses 20 ans environ. Portugal, Brésil, Chili ou encore Argentine et Bretagne plus récemment, la Franco-Suissesse de 28 ans admet se sentir plus forte lorsqu’elle part en solo. «Ne pas avoir de personne sur qui se reposer pour l’organisation te force à tout prendre en charge et à assumer ce que tu veux vraiment. Donc tu dépasses tes limites», explique-t-elle. Cependant, Gaëlle n’en reste pas moins prudente: «Il y a des choses que je vais faire de manière très mesurée ou éviter de faire comme flâner n’importe où, sortir très tard et devoir rentrer à pied dans une ville que je ne connais pas ou qui est réputée pour être dangereuse la nuit». Pour elle, les risques de voyager seule en tant que femme reflètent simplement les conditions structurelles de genre, comme le harcèlement à degrés divers voire viol, qui varient selon les endroits. Gaëlle note tout de même que l’empathie liée au fait d’être une femme seule se déploie souvent lorsqu’elle se trouve à l’étranger: «Les gens ont tendance à être très gentils et accueillants. Ils proposent souvent leurs services, de l’aide ou simplement de t’emmener quelque part».

Mary en sac à dos à travers l’Asie et l’Océanie

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Mary a commencé par visiter Hongkong.
Photo: Instagram/mary_rochat

En 2017, Mary décide de partir cinq mois en vadrouille entre Hongkong, l’Australie ou encore le Japon. La Lausannoise de 29 admet toutefois avoir eu un «petit coup de flippe» au moment du départ. «Mais je me suis bien informée avant de partir histoire de voyager sereinement une fois sur place.» Si Mary explique n’avoir pas fait de mauvaises rencontres, elle confie avoir privilégié les chambres non-mixtes dans les auberges de jeunesse ou les logeuses plutôt que les logeurs sur «couchsurfing». À son retour en Suisse, c’est la révélation: Mary veut continuer à voyager seule. «S’écouter, vivre au rythme de ses envies et besoins. Faire ce qu’on veut, quand on veut, c’est tellement bien que j’ai aujourd’hui de la peine à dépendre d’autres personnes lorsque je pars à l’aventure.»

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