On dit qu'on ne peut plus rire de tout – qu'on ne peut plus rire de rien, même. Qu'on ne peut plus rien dire, non plus, et ainsi de suite. Bref, un vénéneux et éternel débat, ressuscité au bout du lac via un post sur Twitter ce week-end. En cause, une blague qui a fait froncer bien des sourcils parlementaires.
«Massacrez-les, il en restera toujours assez»: à l'annuelle et folklorique fête de la Vogue à Carouge, samedi, un stand de tir proposait l'effigie de politiciens municipaux comme cible de tir aux enfants, surplombé d'une banderole portant ce slogan. La maire de Genève et le ministre Vert Antonio Hodgers, entre autres, s'en sont offusqués sur le réseau social.
On ne va pas se mentir: nous n'étions pas présents à la fête de la Vogue ce week-end. En revanche, en appelant le secrétaire de la Société de tir au canon de Carouge, responsable du stand, Blick a appris que tout cela s'est déroulé dans l'ambiance la plus bonnarde, un verre de pinard à la main, et avec l'accord préalable de tous les «souffre-douleur».
Jean-Marc Antonioli, sociétaire mais aussi élu municipal, lui-même épinglé pour recevoir des balles, découvre la polémique avec notre appel: «Moi, j'étais occupé sur les stands du festival tout le week-end. Et aujourd'hui, de retour au travail. Je n'ai pas eu le temps de lire les médias et les réseaux, je ne sais même pas de quoi vous parlez!»
«Ce sont des crétins»
Une insouciance qui a choqué en Ville. Faisant écho à l'indignation de l'actuelle cheffe de la Cité de Calvin, Manuel Tornare, un ancien maire de Genève et ex-conseiller national socialiste, a commenté avec un tranchant «Porter plainte» sous le poste Twitter original.
On lui a aussi passé un coup de fil: si les municipaux visés étaient de mèche, qui va porter plainte contre qui, et où est le problème? «C'est inadmissible. C'est un appel à la violence, voire au meurtre, je suis désolé!, tonne l'ancien élu. Les municipaux qui ont donné leur accord pour cette activité ont manqué de courage, et ils ont eu tort. Ce sont des crétins de se prêter à un tel jeu!»
On peut aussi simplement parler d'autodérision, selon le point de vue. Mais le socialiste y voit le syndrome d'une tendance transnationale inquiétante: un scepticisme populaire grandissant vis-à-vis d'une dite élite politique, de plus en plus diabolisée: «Regardez un peu le monde: dans nos démocraties, chez les populistes de gauche comme de droite, l'on stigmatise de plus en plus les politiques, on les traite tous de pourris, on les met tous dans le même panier.»
«Or, il ne faut pas oublier que, en Suisse, nos élus des législatifs sont des politiciens de milice, placés là directement par le peuple. Si le peuple n'est pas content, il les vire! Au lieu de leur lancer des balles en pleine tête – geste d'une grande violence... Des balles symboliques, au début, puis souvent réelles. Ça suffit!» Manuel Tornare fait ainsi référence à la fusillade du parlement de Zoug, en 2001 (sans compter les innombrables exemples internationaux). À rappeler aussi que, l'année dernière, Alain Berset a notamment été menacé de mort.
«C'est moins pire que le tir au canon!»
De l'autre côté, Jean-Marc Antonioli est choqué... par l'onde de choc que sa Société de tir a provoqué. «C'était un simple jeu, qui n'a dérangé personne à l'interne – tous partis confondus! Cela s'est fait avec l'accord des municipaux, se défend l'élu PLR. On avait reçu une notice, en mars déjà. C'était juste de l'humour!»
Habituer les enfants à l'hostilité envers ceux parmi lesquels ils devront un jour choisir des représentants, apparentant ainsi l'exercice démocratique à un jeu un peu cynique, est-ce juste drôle, ou aussi un peu dangereux?
Lorsqu'on lui cite quelques tweets, en résumant les réactions, l'homme en reste un peu médusé. S'il y a un événement folklorique autour duquel il ne voyait pas venir de polémique, c'est bien celui-là. Alors que, le tir au canon, activité – comme son nom l'indique – caractéristique de la Société de tir au canon, c'est autre chose...
«Pour l'éducation et le message passé aux enfants, à la limite, lorsqu'ils font du tir au canon avec notre Société lors d'évènements comme la Vogue, avec la guerre en Ukraine en ce moment, on commence à se demander si c'est vraiment une bonne idée... Notamment, le fait d'élire des princes et des princesses du tir, ce n'est peut-être pas de très bon ton avec ce qu'il se passe, avoue le secrétaire de l'association. Mais pour ce stand à l'effigie des municipaux, vraiment, je ne comprends pas où est le problème.»