L'ancien président Ion Iliescu, décédé mardi à l'âge de 95 ans, restera associé à la transition chaotique de la Roumanie vers la démocratie, avant de voir son image ternie par des accusations de «crimes contre l'humanité». Hospitalisé pour un cancer du poumon début juin, Ion Iliescu suivait son traitement à l'hôpital de Bucarest, où son état général avait été jugé «critique» la semaine passée.
Ion Iliescu est né le 3 mars 1930 d'une buandière et d'un cheminot dans un milieu communiste modeste à Oltenita (sud). Il suit des études d'ingénieur à Moscou, avant de gravir très vite les échelons et d'occuper le poste de ministre de la Jeunesse sous Nicolae Ceausescu.
Après l'arrestation en décembre 1989 du dictateur et son exécution dans des circonstances opaques, il s'empare du pouvoir en homme providentiel, à la tête d'un Front du salut national (FSN), promettant de stabiliser le pays. Ses adversaires l'accusent toutefois d'avoir «détourné» la révolution anticommuniste en orchestrant des violences qui feront plus de 850 morts et des milliers de blessés.
Elu avec 85% des voix
Il se fait triomphalement élire dans un contexte de multipartisme en mai 1990 à la tête de l'Etat avec 85% des suffrages exprimés. Proche du dernier président de l'Union soviétique Mikhaïl Gorbatchev, il s'oppose à toute politique de lustration, visant à interdire aux anciens hauts responsables communistes de se présenter à des fonctions publiques.
Il va susciter un mois plus tard l'effroi à travers le monde en encourageant des milliers de mineurs venus des provinces à briser violemment le mouvement des étudiants qui bloquaient la circulation de Bucarest pour protester notamment contre son dirigisme. Réélu en novembre 1992 (61%), on le crédite d'avoir orienté la Roumanie vers l'économie de marché. Il est battu en 1996 avant de revenir au pouvoir en 2000, accompagnant alors son pays vers l'adhésion à l'OTAN et à l'Union européenne, tout en teintant cet atlantisme d'une rhétorique paradoxalement antilibérale.
«Je suis pauvre, mais honnête»
En 2004, il est élu sénateur avant d'être écarté de la présidence du Parti social-démocrate (PSD) par des réformateurs, devenant alors une figure tutélaire appréciée pour sa probité personnelle et la discrétion qu'il cultive sur sa vie privée. «Je suis pauvre, mais honnête», avait-il l'habitude de lancer, bravache.
Maniant très bien le français, avenant, Ion Iliescu avait épousé Nina, rencontrée à l'université dans la capitale russe. Le couple n'avait pas d'enfants. Mais son rôle durant la transition le rattrape tardivement. En 2017, sa convocation par la justice sera sa dernière apparition publique.
Deux procès pour «crimes contre l'humanité»
Il a par la suite été renvoyé deux fois en procès pour «crimes contre l'humanité», afin d'établir sa responsabilité dans les troubles sanglants de décembre 1989. Mais l'audience n'a jamais eu lieu et son dossier est retourné au parquet, où il est toujours. Il a aussi été inculpé du même chef d'accusation pour son rôle dans la répression de la manifestation de 1990, qui avait fait quatre morts.
Ion Iliescu balayait les allégations, qualifiant les procureurs de «honte nationale» et prenant très mal les soupçons pesant sur lui, alors qu'il a «joué un rôle important dans la démocratisation du pays». Demeuré populaire dans les campagnes, où l'on appréciait sa simplicité et voyait en lui un «petit père» à l'ancienne, rassurant dans une ère de bouleversements profonds, il était en revanche méprisé par les milieux intellectuels. Ses rivaux voyaient en lui l'incarnation d'un «néo-communisme» faisant perdurer sous un vernis pluraliste l'ancien système clientéliste, tolérant la corruption et hypothéquant par conséquence la place de la Roumanie dans la compétition mondiale.