Une de ses biographes raconte
«Brigitte Bardot? Une séductrice, une prédatrice, une rebelle»

Emmanuelle Guilcher connaissait bien Brigitte Bardot, à laquelle elle a consacré un livre. Bouleversée par sa disparition, elle brosse le portrait de la BB qu'elle a longtemps cotoyé...
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Brigitta Bardot aura marqué l'histoire du cinéma français et mondial.
Photo: Keystone

Que restera-t-il de Brigitte Bardot, disparue dimanche 28 décembre à l’âge de 91 ans? Depuis l’annonce de son décès, les commentaires pleuvent. Blick a interrogé Emmanuelle Guilcher, l’une de ses biographes françaises.

Emmanuelle Guilcher, vous avez consacré un livre à ces deux « icônes » françaises qu’étaient Brigitte Bardot et Simone Signoret. On sait combien la seconde, disparue en 1985, a laissé derrière elle une empreinte politique. Quid de Bardot?

Ma conviction est qu’elle va rester comme l’incarnation de la beauté et de la liberté, une icône absolue qui a réussi à utiliser sa notoriété planétaire et à transcender ses souffrances pour les mettre au service d’une cause – pionnière dans ce combat sans relâche: celle du bien-être animal. Brigitte Bardot laisse donc aussi derrière elle un héritage très politique! Mais ce qui vient en tête d’emblée, après l’annonce de sa disparition, c’est l’actrice authentique et naturelle de «Et Dieu… créa la femme» (le film aura 70 ans en décembre 2026), du «Mépris» de Jean-Luc Godard et de «La Vérité» d’Henri-Georges Clouzot, pour ne citer que trois chefs-d’œuvre de sa filmographie.

Brigitte Bardot râlait beaucoup. Contre les gouvernements, contre l’industrie du cinéma, contre ses contemporains… Rébellion ou mauvais caractère?

Elle était forcément en décalage avec la société d’aujourd’hui, ne serait-ce que par son âge, puisqu’elle était née avant-guerre, en 1934. C’était sa marque de fabrique, ce décalage. Brigitte Bardot a toujours été en colère: c’est une rebelle qui menait un combat contre la pensée unique, contre les pouvoirs. Elle était, paradoxe au vu de ses déclarations parfois très conservatrices sur l’état de notre société, restée figée dans des années «peace and love», dans un monde idéal. Au micro de Jean-Pierre Elkabbach, au moment où elle arrête le cinéma en 1973, elle avait eu ces propos étonnants et éclairants: «Je conserve l’image que j’avais enfant d’un monde qui doit être joli. C’est l’un des buts de mon existence: préserver un monde le plus joli possible, le plus honnête possible. Or mon monde à moi est l’objet d’agressions de tous les côtés, venant de l’extérieur. Je suis donc là pour le défendre.»

Parlons de ses rapports avec les hommes. Etait-elle séductrice ou amoureuse?

On a beaucoup dit que BB était un Don Juan au féminin. D’ailleurs, Roger Vadim en fera un (mauvais) film : Don Juan 1973 ou Don Juan était une femme. La liste de ses amants célèbres, de Gilbert Bécaud à Jean-Louis Trintignant, de Sami Frey à Serge Gainsbourg ou Alain Bougrain-Dubourg, les «boyfriends» de passage et ses quatre mariages – Roger Vadim, Jacques Charrier, Gunter Sachs et Bernard d’Ormale (depuis quand même 1992) – sonnent comme une sorte de preuve. C’était une amoureuse de l’amour, en quête d’absolu, qui ne supportait ni la médiocrité ni la proximité. Bardot était une solitaire qui avait une peur panique de la solitude. Elle a incarné la liberté sexuelle et sentimentale à son corps défendant. C’était une séductrice-prédatrice qui essayait de réparer un manque d’amour.

Quel type de femme était-elle?

Elle était indéniablement plus forte que Marilyn Monroe, si vous voulez absolument la comparer à d’autres grandes actrices. L’écrivaine Simone de Beauvoir disait que Brigitte Bardot était à la fois le chasseur et la proie. C’est assez juste. Elle a d’ailleurs souvent dit: «Je suis l’homme de ma vie», et ce n’était pas pour rire. Elle était indépendante financièrement, ce qui était rare à l’époque pour une femme, et même pour une actrice. Il faut avoir en tête que la valeur commerciale de Brigitte Bardot est inédite pour une actrice et dépasse, dans les années 1950-1960, celle de ses confrères masculins. En termes de notoriété et de revenus, elle fait jeu égal avec Alain Delon ou Jean Gabin. Une chose est indéniable: BB a montré une force et un courage exemplaires dans ses choix.

Le cinéma lui a tout donné. Or elle avait fini par le détester…

Non, elle détestait le rôle que l’industrie du cinéma avait voulu lui assigner. Contrairement aux idées reçues, Brigitte Bardot n’a pas été que l’actrice de son propre rôle. Elle n’a pas fait que jouer son personnage. Regardez ses films: elle a imprimé la pellicule de sa présence surnaturelle et de sa mélancolie originelle, ce qui lui a permis de sortir des comédies légères où le cinéma et les cinéastes un peu misogynes des années 1950 voulaient l’enfermer. Elle laisse derrière elle, à mon avis, trois chefs-d’œuvre.

Lesquels ?

Le premier? Son rôle de Juliette dans «Et Dieu… créa la femme», où elle éclate au naturel dans un film annonciateur de la Nouvelle Vague. Le second? Son personnage de Dominique Marceau, une femme victime de la justice masculine, dans «La Vérité d’Henri-Georges Clouzot», où elle apporte la preuve qu’elle peut être une tragédienne, parce qu’elle a en elle la profondeur nécessaire. Puis il y a le troisième chef-d’œuvre de Brigitte Bardot: «Le Mépris» de Jean-Luc Godard. Ce film est, à mon sens – même si elle ne l’aimait pas beaucoup, le jugeant, à tort je crois, trop cérébral – celui qui la révèle le plus dans sa vérité, son humanité, sa pureté, sa simplicité. Elle y est vraiment mise à nu, au propre comme au figuré.

A lire: Signoret-Bardot. Deux icônes à la française, d’Emmanuelle Guilcher (éd. Balland)

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