Emmanuel Macron est resté fidèle à son image de chef de l’État amateur de formules si lyriques qu’elles en deviennent difficiles à traduire et à comprendre. Comment exprimer, en allemand, la formule «Deux âmes dans une même poitrine» que le président français a utilisée pour résumer l’amitié franco-allemande? Ce, au moment où toutes les évidences politiques montrent au contraire que le cœur de la France et celui de l’Allemagne, en particulier sur la guerre en Ukraine et ses conséquences, ne battent pas à l’unisson.
Ce dimanche 22 janvier, Macron accueillait le chancelier Olaf Scholz à Paris, en compagnie d’une partie de son gouvernement et des députés du Bundestag, emmenés par leur présidente Bärbel Bas. Motif? La commémoration du 60e anniversaire du traité d’amitié de l’Élysée signé le 22 janvier 1963 par leurs prédécesseurs Charles de Gaulle et Konrad Adenauer. Une occasion, pour Paris et Berlin, de montrer que les divergences politiques ne sont pas en train de tuer le fameux «couple» – «moteur» – franco-allemand au sein de l’Union européenne (UE).
«Deux âmes dans une même poitrine»: la formule lyrique d’Emmanuel Macron, prononcée en français, a suivi les mots prononcés dans la même langue par Olaf Scholz. «Merci de tout cœur. Merci pour votre amitié», a asséné le Chancelier allemand que beaucoup, à Paris, soupçonnent de regarder davantage vers les pays de l’Est ou vers les États-Unis, depuis son discours prononcé à Prague le 29 août 2022.
Et pour le reste? Les mots les plus touchants de cette cérémonie d’anniversaire sont venus de la présidente de l’Assemblée nationale française, Yaël Braun-Pivet, qui a évoqué le souvenir de sa grand-mère allemande, Rosa, mariée à un réfugié polonais et naturalisée en tant que Française. «Je me souviens de ses mots affectueux en allemand», a-t-elle déclaré sous la coupole de la Sorbonne, où la cérémonie officielle a eu lieu, après un hommage à Simone Veil, la défunte ministre française, première présidente du parlement européen en 1979, qui fut déportée à Auschwitz (où moururent sa mère et une partie de sa famille) durant la seconde guerre mondiale.
L’analyse du discours d’Olaf Scholz
En amour, on le sait, les déclarations ne valent pas beaucoup sans preuves. C’est un peu le bilan que l’on peut tirer de cette journée franco-allemande d’anniversaire qui a surtout listé les rappels historiques et les grands principes.
Olaf Scholz a, par exemple, appuyé formellement dans son discours le projet d’avion de chasse franco-allemand du futur. Il a aussi salué l’importance de l’axe franco-allemand pour «défendre l’ordre de paix européen et lutter contre les forces centrifuges» qui, selon lui, minent l’UE.
Autre acquis de cette rencontre parisienne, l’engagement commun pris pour faire face à la Russie. «Poutine a des visées impérialistes. Il ne vaincra pas», a poursuivi le Chancelier allemand qui s’est engagé à poursuivre l’aide militaire à l’Ukraine sans toutefois mentionner la livraison prochaine à Kiev de chars allemands Léopard 2, très attendus sur le front (en soirée, sa ministre des Affaires étrangères Annalena Baerbock a ouvert la porte à des livraisons par la Pologne). Emmanuel Macron a parlé, lui, de la France et de l’Allemagne comme des «jumeaux d’histoire et de destin», évoquant «la forge de leur identité commune […] contre les fatigués, et ceux qui ne regardent que le passé».
En direct sur LCP dimanche, Richard Werly commente les cérémonies
Soit. Et après? Les preuves d’amour sont toujours attendues. Rien, par exemple, sur le projet français d’un nouveau plan de relance à l’échelle européenne, financée par une nouvelle vague d’emprunts communautaires. Rien non plus sur de grands investissements communs en matière d’énergie, pour s’affranchir définitivement du gaz russe dont l’Allemagne avait fait le nerf de sa puissance économique. Et du coté des réformes indispensables au sein de l'UE pour y accueillir demain l'Ukraine, la Moldavie ou les pays des Balkans, le flou demeure: «Nous devons travailler à réformer les institutions européennes (...). Nous devons mettre en place un processus de décisions efficace et répondre aux attentes exprimées par les citoyens européens durant la conférence sur l’avenir de l’Europe. Nous discuterons de propositions concrètes....». Que des voeux pieux.
La «souveraineté européenne» adoptée par Berlin
La seule concession politique importante du Chancelier Scholz a finalement été symbolique. Il a plaidé dans son discours pour la «souveraineté européenne», ce terme qu’Emmanuel Macron affectionne.
L’offensive de séduction menée par Paris avait ce dimanche un but clair: convaincre Berlin que, s’ils s’éloignent l’un de l’autre, les deux pays perdront inévitablement leur influence sur le destin de l’Europe. Un 23e conseil des ministres franco-allemand et une séance spéciale de questions à l’Assemblée nationale réunissant députés français et allemands ont eu lieu dans la foulée. Bonne nouvelle, car les deux gouvernements avaient reporté en octobre leur réunion prévue, preuve de leur mésentente.
Les preuves d’amour restent minces. Mais le lit conjugal franco-allemand n’est pas abandonné par les «deux âmes dans une même poitrine».