En Suisse, il n’y a pas de saison pour manger une fondue. Mais avec l’hiver qui pointe – lentement mais sûrement – le bout de son nez, les occasions de tremper des croûtons dans le frometon vont se multiplier. Il faut dire que c’est tellement sympa de se retrouver fourchette contre fourchette autour d’un caquelon! Ce qui l’est moins, c’est cette lourdeur dans la panse que l’on ressent dès la fin du repas.
La plupart des fondus de fondue l’affirment: pour éviter ça, il ne faut surtout pas boire d’eau, car «ça fige le fromage dans l’estomac». On vous le dit tout de suite: c’est une légende! Les choses ne sont en revanche pas si simples pour départager le clan des buveurs de thé de celui des buveurs de blanc. Pour clarifier tout ça, on a demandé l’éclairage du Dr Michel Maillard, spécialiste en gastroentérologie.
Visite guidée de l’estomac
Pour commencer – et au risque d’enfoncer une porte ouverte – on ne peut pas s’empêcher de rappeler la grande quantité de fromage que l’on ingurgite à l’occasion d’une fondue: entre 200 et 300 grammes par personne en série amateur, parfois plus pour les mangeurs de compétition. Or il faut bien comprendre que, pas fondus, on en avalerait beaucoup moins de ces fromages! Ajoutez à cela un poids de pain quasi équivalent, et vous comprenez immédiatement que l’eau ne peut pas être si facilement tenue pour responsable de la pesanteur ressentie en sortant de table. La fondue, c’est lourd à digérer, avec ou sans eau. Point barre.
Le fromage est en effet un aliment très calorique qui contient essentiellement des protéines et des graisses. «C’est l’acidité gastrique qui permet de dissocier les protéines afin qu’elles soient mieux assimilables», résume le Dr Maillard. Cette action chimique est complétée par une action mécanique: grâce à la contraction des fibres musculaires de l’estomac, les aliments vont également être fragmentés en tout petits morceaux, jusqu’à devenir une sorte de bouillie. «L’estomac garde les aliments aussi longtemps que nécessaire pour qu’ils soient bien préparés pour la suite de la digestion.» D’où cette impression de lourdeur quand on mange trop vite ou que l’on ne mâche pas assez. Idem après un repas copieux… comme une fondue. D’autant que sa teneur élevée en lipides (le gras) n’arrange pas les choses: l’estomac se contracte en effet moins bien lors de la digestion des graisses. «En principe, les aliments restent entre une et deux heures dans l’estomac», précise le spécialiste. «Un repas copieux nécessite encore plus de temps, et une étude a même montré la présence de résidus de fondue dans l’estomac le lendemain matin». Pas très ragoûtant tout ça…
Thé chaud ou eau froide, c’est kif kif
Ajoutons à présent du liquide. Car la fondue est riche en sel, et ça donne soif! Une soif que l’on étanche volontiers à grand renfort de décis de vin blanc ou de tasses de thé noir – puisque l’eau a mauvaise réputation en la matière. Qui a raison, qui a tort? La question passionne et divise. En 2010, une équipe de chercheurs de l’hôpital universitaire de Zurich s’est penchée très sérieusement sur le sujet, dans une étude portant sur vingt adultes en bonne santé, âgés de 23 à 58 ans. Chacun d’entre eux a mangé 200 grammes de fondue moitié – moitié, dans laquelle les chercheurs ont ajouté une molécule permettant de suivre la vitesse de digestion. Dix participants ont bu chacun 3 dl de vin blanc (valaisan) et les dix autres du thé noir (origine non spécifiée).
On vous passe les détails, mais l’étude a montré une vidange gastrique sensiblement plus lente pour ceux qui ont bu du vin. «De façon générale, l’alcool ralentit en effet le travail de l’estomac», confirme le Dr Maillard. Et que penser du petit verre de kirch pour pousser le tout? «C’est plutôt pour stimuler l’appétit. Quand on est un peu écœuré, ça donne un coup de fouet. Mais ce n’est vraiment pas recommandé du point de vue de la digestion.» Pour éviter la sensation d’avoir avalé une pierre, le thé noir présenterait donc un léger avantage. Parce qu’il est chaud? «Non, on peut aussi bien choisir de l’eau. Car sauf à boire vraiment glacé, le liquide arrive à température corporelle entre la bouche et l’estomac.» Le spécialiste déconseille en revanche l’eau gazeuse: «les bulles de CO2 vont s’accumuler, et on aura du mal à les évacuer au milieu de tout ce fromage!»
Des conseils de bon sens pour faire glisser
En conclusion de leur étude, les chercheurs zurichois affirment que les personnes en bonne santé peuvent continuer à apprécier la fondue avec la boisson de leur choix, sans se préoccuper outre mesure de leur confort digestif. Le Dr Maillard recommande quant à lui de bien mâcher chaque morceau et de ne pas manger (ni consommer d’alcool) de façon exagérée. Il conseille aussi de boire régulièrement de petites quantités d’eau ou de thé afin de faciliter la solubilisation des aliments. On évitera enfin d’aller au lit trop vite après le repas, car le sommeil ralentit toutes les fonctions de l’organisme, y compris la digestion.