«Vous êtes abonnée à ma newsletter Le Cornichon, j'espère!», ai-je lancé à Ophélie Stoeckli lors de ma visite de l'usine Hugo Reitzel à Aigle (VD). «Ho ben oui quand même!», a-t-elle répondu. Parfait. Entre cornichons, on se comprend: moi, l'auteur de la newsletter homonyme, et elle, la responsable des projets communication de l'entreprise Hugo Reitzel, spécialiste des pickles en général, et du cornichon en particulier.
Quand j'écris «spécialiste», c'est un euphémisme. Vous rêviez d'un moule à cookie cornichon, d'une bougie cornichon, voire d'un stick pour les lèvres cornichon pour un moment coquin? Ne cherchez plus, ils en ont.
Le cornichon a beau être un mot rigolo, il n'en reste pas moins un sujet pris au sérieux. Saviez-vous ainsi qu'il existe un Röstigraben du cornichon? On le préfère petit, croquant et bien vinaigré par chez nous, tandis que les palais sensibles de l'autre côté de la Sarine le veulent plus doux. «Nous réfléchissons à une nouvelle recette de vinaigre aromatisé pour le marché romand», glisse Ophélie Stoeckli. Les vinaigriers, véritables chimistes qui œuvrent dans l'usine, vont avoir du boulot.
La revanche du cornichon suisse
Si vous avez un jour acheté des cornichons, vous les avez forcément aperçus dans les rayons, avec un petit drapeau suisse sur l'étiquette: les cornichons Hugo, gamme lancée par Hugo Reitzel en 2017 et constituée uniquement de cucurbitacées issus de l'agriculture suisse. Le groupe qui compte une centaine d'employés en Suisse commercialise également depuis 2022 des cornichons 100% français dans l'Hexagone sous la même marque (seul le petit drapeau change). Elle est également implantée en Inde sous sa marque historique internationale Hugo Reitzel, et collabore avec des producteurs de plusieurs pays européens.
Fondée en 1909 dans le canton de Vaud par l'Allemand Hugo Reitzel, l'entreprise est connue pour avoir contribué à relancer les filières agricoles du cornichon local, en France et en Suisse, pays qui avaient laissé filer la culture du cornichon à l'étranger. Aujourd'hui, elle collabore avec 25 producteurs de toute la Confédération, dont une partie en bio. «A la différence d'autres produits, les gens se posent moins la question de l'origine des cornichons, explique Ophélie Stoeckli. Mais peu à peu, ils y deviennent plus sensibles. Après tout, pourquoi est-ce qu'on veillerait à la qualité et à la provenance de la raclette, mais pas des cornichons qui l'accompagnent?»
Adoptez un concombre, sauvez un cornichon
Ça pousse vite, un cornichon. Jusqu'à trois fois par an en Inde, ce qui assure un approvisionnement conséquent à Hugo Reitzel. Mais sous nos latitudes également. Plantée en mai, la graine donne des cornichons cueillis dès le mois de juillet. «Cette année, les récoltes se présentent bien», affirme la responsable, pendant que des ouvriers transportent de grosses caisses de cornichons fraîchement cueillis sur l'aire de déchargement, et que l'on s'active à mettre tout cela en bocaux sur les lignes de production voisines.
Parfois, les récoltes vont même trop vite. L'an passé, elles ont même été hors normes. «On en attendait 700 tonnes, et avec la canicule, on en a reçu 1500», raconte Ophélie Stoeckli. Pire, les cornichons avaient poussé à vitesse grand V, si bien qu'ils étaient devenus trop gros pour rentrer dans les bocaux. Hugo s'était alors associé à l'association Too Good To Go, spécialiste de la lutte contre le gaspillage alimentaire, pour «sauver» les cornichons devenus concombres. Quelque 25 tonnes ont ainsi pu échapper au rebut.
Revers de la médaille, ce surplus de cucurbitacés a conduit Reitzel à faire des réserves de bocaux et à réduire les commandes de 50% en 2023. La décision a irrité des producteurs qui avaient investi dans du matériel, tel que le signalait un article de «24 Heures». Certains utilisent par exemple un «avion», un tracteur équipé de grandes plateformes horizontales en bois sur lesquelles les ouvriers agricoles s'allongent à plat ventre pour cueillir plus aisément les cornichons.
Fair play, Hugo Reitzel s'était toutefois engagé à acheter toute la récolte de 2022. Il faut dire que l'entreprise s'est fixé des objectifs ambitieux en matière de durabilité. À l'horizon 2030, elle espère ainsi faire plus pour le climat en atteignant la neutralité dans son bilan carbone global en France, en Suisse et en Inde, par exemple en s'approvisionnant à partir de sources d'énergie renouvelables. Autre objectif, favoriser l'agriculture durable et les circuits courts avec des produits issus d'une production «à 100% bio ou locale», dit Ophélie Stoeckli. Ou encore une amélioration des conditions de travail et du bien-être de ses employés.
Pour juger des progrès et du chemin qu'il reste à faire, des audits externes seront menés à intervalles réguliers. Reitzel espère également obtenir une certification B-Corp, cocarde assurant que l'entreprise répond à des normes élevées en matière de performance sociale et environnementale. «C'est un travail d'introspection sur nos pratiques, détaille davantage Ophélie Stoeckli. Nous voulons être la référence du pickle gourmand et durable. C'est un grand chantier!» Des cornichons encore plus verts? On verra bien.