Oubliez la sauce tomate, les œufs et le pecorino: c'est avec les fraises que l'on apprécie les pâtes. Du moins, c'est ce que nos confrères de la version alémanique de Blick affirment. Nos voisins persistent et signent même une recette de pappardelle alle fragole (pappardelle aux fraises) qui n'a pas manqué de susciter cris d'effroi et réactions outrées parmi les membres de la rédaction lausannoise.
Prenons notre courage à deux mains et examinons cela de plus près. «Les pappardelles aux fraises ne sont pas typiquement italiennes, mais pas complètement farfelues. Cela peut sembler inhabituel, mais cette recette s'intègre parfaitement à la cuisine d'été. Certains ajoutent du bacon ou du beurre de truffe pour un contraste intéressant. La variante sucrée au sucre vanillé est particulièrement bonne pour les grands et les petits», peut-on lire en guise d'introduction à cette recette.
J'ai d'abord pensé à quelques excentricités alémaniques, teintée de je-m'en-foutisme. Nous sommes après tout face au peuple qui a inventé (et défend encore) le riz casimir, l'un des plats les plus ignobles du monde, comme cela a récemment fait l'objet d'un classement.
Les pâtes aux fraises sont connues en Italie
Mais cette recette n'est ni alémanique, pas plus qu'elle ne semble «pas typiquement italienne»: une recherche renvoie vers un certain nombre de sites de cuisine italiens, pour certains réputés tels que La Cucina Italiana. Sur le site Guida Garrubbo, l'auteur culinaire Edwin Garrubbo raconte avoir découvert la recette dans un restaurant de la cité du Vatican à Rome, il y a une dizaine d'années (l'article n'est pas daté). On peut donc raisonnablement estimer que la recette n'est pas une infamie inventée par des Zurichois ou un quelconque apprenti influenceur en mal de vues sur Tiktok, mais qu'elle est connue des chefs italiens, et ce depuis au moins dix ans.
«Je me souviens m'être dit 1) c'est dégueulasse, 2) mes spaghettis carbonara me conviennent très, très bien et 3) je ne prends pas assez de risques dans la vie [...] Mais pour coller à la saison, je me suis dit que je devrais essayer», relate Edwin Garrubbo à propos de sa première rencontre avec les pâtes aux fraises, qu'il a finalement appréciées.
Spaghettis aux fraises façon plat étoilé
Pas convaincus? Plus parlant encore, la médiatique cheffe italienne étoilée Antonia Klugmann en a fait un de ses plats signature dans son restaurant en Vénétie. Elle extrait les jus de fraises avec une machine qui lui permet de créer une sauce rouge écarlate qui ressemble en tout point à une sauce tomate.
La recette populaire dont il est question ici n'a pas grand-chose à voir avec cette création gastronomique. Les fraises sont généralement cuites (dans l'eau, dans du beurre…) et mixées ensuite avec de la crème fraîche ou de la ricotta, ainsi que du parmesan, pour en faire une sauce.
Puisqu'il ne faudrait pas mourir idiot, j'ai donc essayé la recette. J'ai d'abord réduit quelques belles fraises en purée que j'ai fait fondre doucement dans un peu de matière grasse, avant d'y ajouter une lampée de crème fraîche. J'ai achevé la cuisson des spaghettis dedans avec un peu de leur eau de cuisson, sel poivre, quelques copeaux de parmesan, et je suis passé à table. «Tu aurais peut-être dû n'en faire qu'un échantillon», a suggéré ma copine en découvrant le menu. «C'est pour mon travail», me suis-je défendu, tout en admettant qu'on est toujours plus intelligent après.
Le résultat n'est finalement pas si horrible que ça. Les saveurs de la crème et du parmesan dominent largement celles des fraises, logiquement. J'ai trouvé la couleur rose délavé assez moche, si bien que si je devais répéter l'expérience, je ne mettrais pas de crème pour conserver la belle couleur rouge vif des fraises compotées.
Même si ce plat n'a finalement que très peu d'intérêt, il aura eu le mérite de me faire braver des interdits culinaires. Comme Edwin Garrubbo l'écrit sur son site: «l'effet de surprise ne fonctionnera qu'une fois». En effet, je ne suis pas sûr de réitérer l'expérience un jour.