«The sourfaux scandal», ça vous dit quelque chose? Il ne s’agit pas d’une nouvelle série sur Netflix, mais du scandale du faux levain qui a régulièrement fait les titres de la presse britannique ces dernières années. En cause, des pains au soi-disant levain commercialisés dans les supermarchés.
Le terme sourfaux a été créé dans le but de dénoncer l’utilisation abusive du mot levain (sourdough en anglais) pour désigner des pains fabriqués selon d’autres méthodes. Le véritable pain au levain ne contient en effet que trois ingrédients: de la farine, de l’eau et du sel. Et surtout pas de levure! Or en décembre dernier, en Grande-Bretagne, la chaîne Lidl a été contrainte de changer le nom d’un de ses pains «au levain», fabriqué en réalité avec de la levure de boulanger.
Non, le levain n’est pas de la levure
Le levain et la levure sont deux choses différentes. Petit rappel historique: les premiers pains levés auraient fait leur apparition vers – 6000, au Proche-Orient. Quant à la levure de boulangerie telle que nous la connaissons aujourd’hui, elle date du milieu du XIXe siècle.
Comment a-t-on fabriqué le pain entre ces deux dates ? Avec du levain, pardi. Explications.
Comment se forme le levain?
Le levain est issu d’un processus spontané, la fermentation. Quand on mélange de la farine et de l’eau, des bulles commencent à apparaître après un certain temps de repos. Le milieu favorise en effet le développement de micro-organismes vivants, présents dans la farine et dans l’environnement.
Ce bouillon de culture, c'est le levain. Il doit être entretenu et «rafraîchi» chaque jour avec de la farine et de l’eau. Les bactéries qu’il contient vont permettre la transformation des sucres en alcool et en gaz carbonique. Le gaz joue un rôle essentiel: grâce à lui, les alvéoles de la pâte vont grossir et le pain prendre du volume.
Il suffit donc d'en prélever un peu et d'en ajouter dans un mélange d'eau et de farine pour le faire lever et obtenir un nouveau pain, et ainsi de suite. C’est ce qu’on appelle le pain levé – par opposition au pain non levé ou pain azyme (qui signifie littéralement «sans levain»).
A quoi sert la levure dans le pain?
Faire du pain au levain, c'est un long processus. Pour y remédier, on se sert de la levure de boulanger, une invention récente qui coïncide avec l’essor du pétrissage mécanique.
Il ne faut pas la confondre avec la levure chimique (ou poudre à lever), qui elle est employée en pâtisserie. Il s’agit d’un champignon unicellulaire, Sacchromyces cerevisiae, cultivé sur de la mélasse. Elle se vend principalement sous forme de cubes pressés (levure fraîche) ou de granulés déshydratés (levure sèche).
La levure de boulanger,a progressivement remplacé la panification au levain. Plus active, elle permet de raccourcir sensiblement le temps de la levée: là où le pain au levain peut prendre jusqu'à 2 jours pour lever, celui à la levure est prêt en quelques heures. Plus fiable et moins fragile que le levain, la levure de boulanger simplifie la production et va contribuer à l’industrialisation de la boulangerie.
Pain à la levure ou au levain, lequel choisir?
Maintenant que vous êtes devenus incollables sur le levain et la levure, vous vous demandez certainement: l’un est-il mieux que l’autre? En fait, là n’est pas la question. Il s’agit de deux méthodes différentes. On peut faire du très bon pain avec de la levure – à condition d’utiliser des farines de qualité bien sûr.
Quant au pain au levain, il a fait son grand come-back ces dernières années en raison de ses multiples qualités: goût, digestibilité, conservation. Mais encore faut-il qu’il s’agisse d’un véritable pain au levain. C’est là que les choses se compliquent un peu…
Sourdough contre sourfaux
En lançant leur croisade contre les sourfaux, les défenseurs britanniques du sourdough ont pris la peine de définir ce qu’est, selon eux, un véritable pain au levain.
- Il ne contient aucun additif
- La fermentation se fait uniquement à l’aide d’une culture de levain vivante, sans ajout de levure commerciale, ni d’autres agents levants.
- Il est fabriqué sans agent acidifiant ou aromatisant, tel que vinaigre, yaourt ou levain déshydraté
Comment reconnaître un vrai pain au levain
En Grande-Bretagne, comme en Suisse, il n’existe pas de réglementation pour définir ce qu’est un pain au levain. Par exemple, il est possible de fabriquer un «pain au levain» en utilisant de la levure et du levain déshydraté prêt à l'emploi pour rehausser son goût. Pourtant, dans ce cas-là, c’est bien la levure qui fait le travail de fermentation, et pas le levain!
Mais alors, comment reconnaître un vrai pain 100% levain? Pour répondre à cette question, j’ai interrogé trois boulangers différents.
Le boulanger du Pain des Frouzes ne sait pas faire un pain à la levure…
Alexandre Attou, cofondateur de la boulangerie Le Pain des Frouzes, me confirme que le plus grand flou règne pour le consommateur. Chez ce boulanger qui vend son pain sur les marchés, pas de confusion possible: tous ses pains sont au levain, rien qu’au levain. De son propre aveu, il ne saurait même pas faire un pain à la levure: «C’est un métier différent!»
Toute la production s’organise autour de cette culture vivante qu’est le levain. Il est rafraîchi une à deux fois par jour en fonction de la saison, de la température, du taux d’humidité… La proportion de levain dans le pain varie aussi en fonction de ces paramètres, tout comme la durée de fermentation. Celle-ci dure entre 36 et 48 heures.
Les avantages du levain
C’est justement cette fermentation longue qui confère au pain sa richesse aromatique et qui accroît sa digestibilité. Les bactéries du levain ont en effet besoin de temps pour attaquer les chaînes d’amidon de la farine, qu’elles «prédigèrent» en quelque sorte. Ce processus rend le pain d’autant plus facile à digérer et rallonge sa durée de conservation.
Mais Alexandre Attou insiste également sur un autre point: la qualité des farines. Le travail du levain (et donc du boulanger) n’est selon lui que le révélateur de celui du meunier et de l’agriculteur. C’est la raison pour laquelle il travaille avec des farines ultra-locales, qu’il sélectionne rigoureusement.
Le savoir-faire avant tout
La Maison Buet, à Lausanne, ne vend, elle aussi, que des pains au levain. Laurent Buet cultive son propre levain. Il souligne également combien le pain au levain nécessite un savoir-faire particulier. Impossible d’exécuter une recette précise: il faut «faire avec » le levain, c’est-à-dire l’utiliser lorsqu’il atteint son pic d’activité. La durée de fermentation est en général de 18 à 20 heures. Par contre, il emploie un «starter» pour favoriser le processus, à raison de 1 gramme de levure par litre d’eau.
Levain «naturel»?
La boulangerie de Manor propose également des pains au levain. Comment sont-ils faits? Avec du levain naturel, me répond la vendeuse. Mais encore? Pour en savoir plus, je m’adresse au responsable du rayon.
Comme tous les autres pains de l’enseigne, le pain au levain est fabriqué sur place. Mais il se distingue par son temps de fermentation plus long: 24 heures. Et le levain? C’est un levain déshydraté prêt à l'emploi, me répond-il après s’être renseigné auprès du boulanger. Le levain est livré en sac, directement depuis la centrale. Autrement dit, si l'on réfère à la définition britannique, le pain de Manor ne serait un vrai pain au levain!
Il y a donc pain au levain et pain au levain, et nécessité de le définir aussi en Suisse. Si l’on peut saluer la récente révision de la loi qui, depuis le 1er février 2024, oblige les vendeurs à indiquer l’origine du pain, il reste encore beaucoup à faire pour informer le consommateur. En attendant, on ne peut que l’inviter à interroger son boulanger. Et à ne pas se contenter de réponses toutes faites…