Assurance et protection
Pourquoi les chefs posent toujours bras croisés

Que déduire du langage corporel des chefs qui prennent presque tous la même pose devant les objectifs? Décryptage.
Publié: 01.12.2023 à 10:02 heures
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Dernière mise à jour: 01.12.2023 à 11:40 heures
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Monsieur Bocuse les bras croisés, et la nouvelle garde en décubitus latéral: un demi-siècle d'évolutions culinaires résumées en un photomontage de piètre qualité.
Photo: DR
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Fabien GoubetJournaliste Blick

Pourquoi les chefs pris en photo campent-ils toujours les bras croisés? Jamie Oliver, Gordon Ramsay, Yotam Ottolenghi, Anthony Bourdain, David Chang: nombreux sont les chefs anglo-saxons qui ne savent pas quoi faire de leurs bras sur les photos, note le site Eater.

Pour approfondir le sujet, le média a interrogé des photographes ayant shooté de nombreuses stars de la gastronomie. Il serait question d'une sorte de réflexe de protection face à un gros objectif qui intimide, suppose la photographe Melanie Dunea.

Revenons un instant de ce côté de la Manche avec Knut Schwander, directeur pour la Suisse romande du guide Gault & Millau, qui partage ce sentiment: «Les chefs savent quoi faire de leurs bras en cuisine, mais pas devant un objectif, ce qu'on peut comprendre! Croiser les bras les protège et leur donne une certaine contenance.»

Des reliquats d'attitude martiale

Une explication très mignonne, mais qui ne convainc guère l'expert en comportements humains et langages corporels, Mark Bowden. Son hypothèse s'avère moins attendrissante. Selon lui, la pose bras croisés s'accompagne d'une «aura d'arrogance» qui envoie un signal au public et à la brigade en cuisine.

«La pose des bras croisés suggère une grande force dans le haut du corps, une barrière infranchissable. Il s'agit sans aucun doute de l'image traditionnelle du leader militaire que vous devez être lorsque la situation est tendue», a déclaré à Eater Mark Bowden. C'est un geste non verbal qui signifie: «Je suis armé et dangereux. Ne me contrariez pas»

Knut Schwander abonde: «Dans les uniformes, le vocabulaire ou l'attitude, il y a évidemment un côté martial chez les chefs.» À l'heure où un changement de paradigme semble s'opérer en cuisine, avec des modes de management moins violents, plus respectueux des personnes, mieux vaudrait donc éviter cette pose et la jouer un peu plus cool.

Peu de croiseurs de bras par chez nous

Mais tout ça, c'est bon pour ces chefs anglo-saxons, pensez-vous sûrement. Décidé à reprendre cette enquête là où elle s'est arrêtée, j'ai fouillé quelques bases de donnés photographiques. Direction le site suisse de Gault & Millau. Sur 160 photos portraits, j'ai dénombré 9 chefs qui croisent les bras, soit une proportion somme toute modeste de 5,6%. Allez, je balance: Glenn Viel, Franck Pelux, Jacques Allisson, on vous a vus!

Du côté du grand frère Gault & Millau France, sur 27 chefs nommés cuisiniers ou découvertes de l'année, deux ont les bras croisés (7,4%), dont Eric Fréchon, qu'on sent plus distrait que prêt à en découdre. Bref, c'est pas Byzance. Mention spéciale à Pierre Gagnaire, qui fait carrément un bras d'honneur, et dont on se demande ce qu'en dirait Mark Bowden.

Les médias ont changé l'image des chefs

Non, oublions un instant les bras croisés pour observer les dernières trends. Outre les ostensibles montres de luxe pour lesquelles ils sont souvent sponsorisés, les chefs essaient parfois de faire des choses de leurs mains. Tel Cédric Rey qui nous ordonne de le regarder dans les yeux. Bon, lui, s'il voulait faire genre «je suis sympa», c'est raté.

Citons également Marie Robert, qui pose comme elle dresse ses assiettes, ou Damien Germanier, qui fait le zouave avec ses ingrédients. «Dans leurs cas, ça plutôt bien marché», analyse Knut Schwander, qui rappelle que l'exercice a ses dangers si le chef ou le photographe en font trop.

«L'évolution de l'image des chefs est liée à celle des magazines qui en ont fait des peoples et pas uniquement des cuisiniers», commente Julie de Tribolet, une photographe ayant tiré le portrait de nombreux chefs pour «L'Illustré» et Gault & Millau. Entre l'avènement des magazines people et la starification des chefs via notamment les émissions culinaires, il est clair qu'on veut aujourd'hui voir ces cuisiniers sous un autre angle (même si on se régalera toujours d'un Etchebest ou d'un Ramsay bien énervés).

Les chefs sont franchement mieux en pin up

Autre tendance photographique des chefs suisses, ce que j'appellerai la pose de pin up, ou de la sirène échouée. Allongés sur le côté, en position détendue, presque lascive, façon draw me like your french girls. «C'était un concept assez transgressif à l'époque», se souvient Julie de Tribolet, autrice de plusieurs de ces clichés. Michel Roth, Philippe Chevrier, ou encore Carlo Crisci s'étaient prêtés à l'exercice, parfois après négociations (les photos sont visibles dans la galerie tout en haut de cet article).

Le résultat n'est pas si mal, si vous voulez mon avis. En se donnant des airs de truite saumonée ou de rôti ficelé, ces experts du décubitus latéral semblent nous inviter à les déguster. Là d'accord, vous avez l'air sympa.

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