Ne jetez pas vos jeux d'enfant
Peut-on vraiment gagner de l’argent avec ses vieilles cartes Pokémon?

Collectionner les cartes Pokémon qui ont de la valeur est un art tout en finesse. Pour en parler, nous avons rencontré Céline D.*, experte et collectionneuse passionnée depuis 1999.
Publié: 29.03.2023 à 20:02 heures
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Le phénomène Pokémon a été relancé en 2016 avec le jeu Pokémon Go, qui permettait aux utilisateurs de capturer des créatures qui apparaissaient virtuellement autour d'eux.
Photo: Shutterstock
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Myret ZakiJournaliste Blick

Dracaufeu, Pikachu, Salamèche: cela vous dit quelque chose? Ce sont des Pokémon, ces créatures que l’on retrouve animées dans des jeux vidéo ou dessinées sur des cartes et dont vos enfants vous rabâchent peut-être les oreilles en rentrant de l’école. Et pour lesquelles, ils vous arrêtent à chaque kiosque pour acheter à 6,90 francs des «boosters», ces paquets contenant 10 cartes, parmi lesquelles se nichera peut-être une «carte brillante» (la «reverse»), ou une «carte rare»…

Un marché de collectionneurs

Avant de tout balancer à la poubelle, il faut savoir qu’aujourd’hui, les cartes Pokémon sont devenues bien plus qu’un simple amusement de récréation. Ces petits cartons illustrés et édités par Pokémon Company, la marque des groupes japonais Nintendo, Game Freak et Creatures, sont fétichisés. Petits et grands fans les conservent tels des œuvres d’art, dans des pochettes transparentes, et leur vouent un véritable culte. Qui a fait naître un marché mondial de collectionneurs, sur lequel certaines cartes s’échangent… à 5 millions de dollars, comme le «Pikachu Illustrator» adjugé à Dubaï à ce prix en juillet 2021, lors d’une vente aux enchères privée. Le précédent record avait atteint 900'000 dollars. Sur e-Bay ou Facebook Market, de pair à pair ou lors de vide-greniers, d’innombrables cartes s’échangent pour quelques centaines de francs.

Petit retour en arrière. L’engouement pour les cartes Pokémon trouve sa source à la fin des années 1990, quand la «génération Pokémon», née entre 1987 et 1991, commence à jouer à ce qui était au départ un jeu vidéo sur Game Boy.

«En octobre 1999, les premiers jeux vidéo sont sortis», se souvient Céline D.*, enseignante à Genève et collectionneuse de cartes Pokémon depuis ses jeunes années. Cela avait fait un énorme carton. «On partait en vacances avec nos parents et le soir, on avait droit à 30 minutes de Game Boy: c’était le meilleur moment de la journée!» se souvient-elle.

1996: naissance du premier jeu vidéo «Pokémon générations» version rouge sur Game Boy.
Photo: Myret Zaki

L’effervescence avait duré jusqu’en 2001, puis était retombée. Avant de reprendre en 2016, avec le lancement de l’application Pokémon Go. Les cartes Pokémon, explique Céline, sont apparues par la suite, comme un produit dérivé du jeu vidéo. «Les fans du jeu ont naturellement prolongé le plaisir avec les cartes; c’est une activité très sociale.»

Expertise nécessaire

Faire de l’argent avec des cartes Pokémon, ça ne s’improvise pas. Il faut développer une expertise poussée pour évaluer une carte. En général, souligne Céline, les trois premiers starters, c’est-à-dire les Pokémon de départ, les Pokémon légendaires et leurs évolutions, ainsi que les Pikachu, sont les cartes les plus aimées, car elles sont cultes. Et les cartes les plus rares sont surtout celles imprimées lors des tournois: ce sont elles qui ont atteint des records de prix. Par ailleurs, on recherche celles qui ont le plus de points de vie, des points qui dépendent des combats gagnés dans les jeux vidéos et lors des tournois. Ensuite, chaque carte a sa valeur intrinsèque, qui dépend de la qualité de l’impression, des textures, dessins, de la préservation du papier à chaque recoin.

Très soigneuse par nature, Céline a conservé en excellent état des cartes des premières éditions du set de base, celles de 1999. Ces cartes ont acquis aujourd’hui une grande valeur. Céline a une quinzaine d’albums remplis de cartes. Au total, elle estime que sa collection vaut entre 20'000 et 60'000 francs.

Ces cartes, de la collection de Céline, ont une grande valeur car elles sont en excellent état et appartiennent aux premiers tirages des années 1999 et 2000.
Photo: Myret Zaki

Toutefois, elles ne sont pas à vendre, «sauf en cas de coup dur»: voir ses cartes gagner de la valeur n’avait jamais été un but pour l’enseignante genevoise. «Quand j’ai développé ma passion pour les cartes Pokémon, il n’y avait pas encore de marché de collectionneur. Elles ne sont devenues financièrement intéressantes que bien plus tard.»

Cartes Pokémon notées 10/10

Aujourd’hui, les collectionneurs de cartes Pokémon les font grader (noter) via un système qui attribue une note de 1 à 10 à chaque carte, suivant des critères exigeants: l’état de la carte, la centration du dessin, la qualité de l’impression et de la couleur. Une carte dont l’image est décentrée reçoit une moins bonne note – une carte gradée 7 ou 8 à cause d'une décentration aura tout de même une certaine valeur –, tout comme celle ayant des griffures et des angles usés.

Exemple de carte décentrée: la marge de droite (filet jaune) est plus fine que celle de gauche (comparer les flèches rouges).
Photo: Myret Zaki

C’est un domaine de haute expertise, qu’a étudié Céline lors d’une formation sur le web, en vue de devenir elle-même certificatrice de cartes. «Avec un bachelor de la HEAD liés aux thématiques de l'impression et de l'illustration, j'ai beaucoup d’intérêt pour le graphisme, cela me passionnerait de faire ce travail de certification.» L’objectif des notes est d’établir la valeur des cartes, d’y apposer un sceau de qualité expertisée.

Une question de rareté

Les cartes en bon état, qui reçoivent la note 10, sont à l’évidence celles vendues le plus cher. Si elles font partie des premières éditions, ou qu’elles ont été imprimées à l’occasion d’un tournoi, elles peuvent atteindre plusieurs millions. Cela est difficile à imaginer pour un bout de papier, mais c’est ainsi que fonctionnent les marchés de collectionneurs. Par exemple, le «Pikachu Illustrator» mentionné plus haut, qui s’est vendu à 5 millions de dollars, était noté 10, et avait été imprimé en 39 exemplaires décernés lors d’un concours du magazine japonais CoroCoro en 1998. Il n’en resterait que 24 en circulation. Des organismes indépendants de la Pokémon Company décernent ces notes. En Suisse, Swiss Grading compte notamment parmi ces organes de notation.

Le marché peut aussi fluctuer à la baisse. Céline D. évoque une carte qui était estimée à 840 francs l’an dernier, et qui n’en vaut que 440 aujourd’hui. «Le marché semble être en baisse actuellement.»

«On n’a pas commencé à collectionner des cartes avec les Pokémon», explique Céline: les cartes de baseball par exemple le sont depuis longtemps. Une carte représentant un joueur de baseball de 1933 s’est vendue à 4,2 millions de dollars en 2021. Et la preuve qu’un bout de papier peut valoir encore plus, est qu’un timbre du 19ᵉ siècle a même dépassé la carte Pokémon à 5 millions, atteignant 9,5 millions de dollars en 2014.

Collection sans cesse complétée

Au fil des années, Céline continue à étoffer sa collection. Elle déniche sur Internet des cartes rares ou d’autres sans grande valeur, qu’elle aime simplement pour leur esthétique, leur texture, impression, dessins. «À la base, explique-t-elle, il y avait 151 personnages Pokémon. Aujourd’hui, il y en a 1015. Je cherche à les avoir tous dans ma collection.»

Elle conserve également des boosters d’époque, jamais ouverts, intacts. «On garde aussi les boosters emballés. À un moment donné, ils ne sont plus produits et sont recherchés pour certaines cartes qu’ils peuvent contenir. Lorsqu’on estime leur valeur, même la qualité de la fermeture du booster entre en compte. Le poids du booster de base va en outre déterminer s’il y a une carte brillante ou non à l’intérieur.» On trouve aussi des displays intacts (boîtes de boosters), qui contiennent certains boosters recherchés et gagnent aussi en valeur.

On peut conserver des cartes ultra-rares, mais aussi des boosters jamais ouverts, dans des displays intacts.
Photo: Myret Zaki

Enfin, comme n’importe quel objet de valeur, il faut savoir conserver les cartes Pokémon dans de bonnes conditions, au sec, en évitant l’humidité et la chaleur.

Savoir détecter les fake

Détecter les fausses cartes Pokémon fait partie de l’expertise que Céline, comme toute collectionneuse avisée, a développée. Reconnaître un fake, pour la collectionneuse, cela se fait quasiment au premier coup d’œil: à la brillance d’une carte, par exemple. Beaucoup de faux se vendent sur internet. Céline explique: «On peut reconnaître un faux aux fibres de papier, qui sont plus molles, qui se plient dans le mauvais sens, ou à l’arrière de la carte décoloré. Et sur écran, à ses couleurs différentes, au brillant d’un autocollant bon marché, à la manière dont le papier reflète la lumière, au satin du papier qui n’est pas le même et à l’écriture ou typographie différente.»

Il existe aussi des cas où une erreur d’impression a rendu une carte plus recherchée. Par exemple, Céline évoque le cas d’une carte imprimée sans l’ombre qui entoure l’image. Une carte «shadowless», devenue plus prisée que celle avec l’ombre et valant par conséquent des milliers de dollars.

Ici, l’image du haut dispose d’une ombre, sur la droite. Il en existe une version sans ombre (shadowless): ce défaut lui confère une valeur supérieure à celle affichée ici.
Photo: Myret Zaki

Céline sourit aujourd’hui en confirmant que nombre de ses camarades d’école qui avaient, il y a 20 ans, déchiré, jeté ou donné leurs cartes, parfois par caisses entières, s’en sont mordu les doigts par la suite. Tout comme ceux qui, à l’adolescence, s’étaient moqués de son intérêt marqué pour les cartes Pokémon, estimant qu’elle perdait son temps avec cette activité enfantine. Être collectionneur, cela se mérite.

*Nom connu de la rédaction

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