Quel lien entre la modélisation du réchauffement climatique, qui a valu à Syukuro Manabe et Klaus Hasselmann de recevoir une moitié du prix, et les travaux de Giorgio Parisi, troisième lauréat, sur le désordre apparent de la matière?
Ils ont étudié des systèmes complexes: le climat pour les deux premiers, et des phénomènes d'apparence aléatoire à l'échelle de l'infiniment petit pour le troisième. Ils sont arrivés à en extirper des règles de comportements, et permis ainsi des prévisions fiables.
«Un phénomène émergent nécessite parfois d'examiner tous les mécanismes physiques complexes individuels et de les assembler pour faire une prévision», a commenté John Wettlaufer, membre du comité du Nobel de physique, lors de l'annonce du prix à Stockholm.
Tendances claires
Le climat «est LE système complexe par excellence», explique à l'AFP le physicien Freddy Bouchet, chercheur CNRS. Un grand nombre de variables entrent en interaction (l'atmosphère, les océans, les sols, la végétation...), rendant illusoire toute prévision fiable au-delà de quelques semaines.
Pourtant, à côté de ce chaos observable au quotidien se dessinent aussi des tendances claires, au caractère systématique, et qu'on peut relier à des causes bien identifiées: par exemple celle du réchauffement climatique à long terme, dû à l'activité de l'homme.
«En sciences du climat, l'aléatoire et le systématique se superposent. Les outils mathématiques développés par l'Allemand Klaus Hasselmann ont permis de séparer les deux, pour être capable de mieux comprendre l'évolution du climat», décrypte Freddy Bouchet, depuis son laboratoire de physique de l'Ecole normale supérieure (ENS) de Lyon.
Cette dissociation est selon lui fondamentale pour comprendre les évènements climatiques extrêmes comme les canicules, tempêtes et ouragans.
Règles cachées
Les modèles numériques développés par l'Américano-japonais Syukuro Manabe, eux, ont réussi à intégrer des sous-systèmes climatiques. «Ce sont les premiers modèles qui ont permis de calculer l'effet de l'augmentation de dioxyde de carbone d'origine anthropique (humaine, NDLR) sur le réchauffement global, (phénomène) qui est au coeur du modèle climatique contemporain», utilisé par les experts du Giec notamment, se félicite Freddy Bouchet.
Giorgio Parisi a apporté pour sa part une contribution majeure à la théorie de ces systèmes complexes, en révélant les règles cachées qui les gouvernent.
«J'ai commencé à jeter les bases de cette science qui n'existait pas au début des années 1980, en étudiant la nature par les mathématiques», racontait le chercheur italien au journal Corriere della Sera, en février 2021. Une science qui permet par exemple d'expliquer la forme changeante que prend le vol d'une nuée - la murmuration - d'étourneaux.
Il a fourni les outils mathématiques permettant de comprendre comment des processus aléatoires peuvent jouer un rôle décisif dans le développement de grandes structures. Comme celle qui gouverne le climat. Ses outils sont utilisés aujourd'hui en biologie, en neurosciences ou en intelligence artificielle.
(ATS)