Un entraîneur en or
Misra Torniainen, le Suisse au coeur du succès de la prodige Eileen Gu

La jeune skieuse freestyle et superstar de 18 ans a survolé les Jeux Olympiques de Pékin, avec deux médailles d'or et une d'argent en trois épreuves. Misra Torniainen, ancien entraîneur de Swiss-Ski, a contribué à cette ascension fulgurante. Retour sur son parcours.
Publié: 25.02.2022 à 05:04 heures
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Misra Torniainen est actuellement responsable au centre de surf indoor Oana à Ebikon (LU).
Photo: Misra Torniainen
Sebastian Rieder

La République populaire de Chine est à ses pieds. L’or en big air et en half-pipe, l’argent en slopestyle derrière la Fribourgeoise Mathilde Gremaud. Son héritage incarne la fierté de toute une nation. Chez les dames, Eileen Gu entre dans l’histoire comme la plus grande athlète des Jeux Olympiques de Pékin 2022. La Princesse des neiges, comme on appelle l’Américaine adoptée par la Chine, a été qualifiée de nouvelle impératrice par les médias grâce à ses trois médailles.

Derrière le succès de l'athlète et mannequin de mode millionnaire se trouvent sa mère et toute une équipe, composée de médecins, de gardes du corps, d’un cuisinier privé, de physiothérapeutes et d’un serviceman. S’y ajoutent un interprète, un organisateur et deux entraîneurs. L’un d’eux est Misra Torniainen.

Une rencontre spontanée synonyme de succès

Depuis six mois, ce Suisse de 38 ans accompagne la mère et la fille à l’autre bout du monde. «Gu a été un grand coup de chance pour moi. C’est une enfant prodige. Mais c’était aussi un risque, car on exigeait beaucoup de toutes les parties, explique-t-il. Eileen était déjà la meilleure avant Pékin – mais ma mission était de la rendre encore meilleure. C’est une perfectionniste qui ne veut rien laisser au destin.»

La première rencontre entre le Suisse et le clan de l'athlète a été le fruit du hasard. C'est à Silvaplana dans les Grisons, durant un tournage publicitaire pour la marque de ski Faction (l'équipementier de Gu) auquel participait Misra Torniainen, que les premiers contacts se sont établis. «J’avais déjà beaucoup entendu parler d’elle auparavant et j’ai ensuite discuté avec elle et sa mère», raconte l'entraîneur.

Après des semaines de silence radio, la demande arrive pour hisser cette athlète d’exception à un nouveau niveau technique et mental. Pour la mission olympique, Misra Torniainen suspend pendant six mois son travail de responsable de secteur au centre de surf indoor Oana à Ebikon (LU). Il lui montre de nouvelles astuces et crée pour elle des conditions d’entraînement optimales.

Après un camp en Autriche, le chemin la ramène en Suisse – pour une mise au point intensive à Saas-Fee (VS). «Eileen est passionnée par la montagne. Mais elle aime surtout le chocolat et le fromage. Elle a tout goûté ici. La fondue et la raclette», affirme Mirsa Torniainen avec fierté à propos de sa patrie.

De dessinateur en bâtiment à champion de big air

Pourtant, son nom est tout sauf suisse. Misra, c’est une déclinaison indienne que ses parents ont apprise lors d’un voyage en Inde. Ce fils d’une Suissesse et d’un Français d’origine italienne est né à Marseille sous le nom de Raphaël Noto.

Trois ans après sa naissance, ses parent divorcent. «Je n’ai pratiquement pas connu mon père. Je ne l’ai vu qu’une fois quand j’étais adolescent, et il est décédé quand j’avais 21 ans», raconte Misra Torniainen.

Ce père de deux enfants tient son nouveau nom de famille de sa femme finlandaise, Meri. Une histoire d’amour qui a débuté il y a près de 20 ans à Laax (GR). La Finlandaise a eu le coup de foudre pour le skieur fou qui faisait de grands sauts sur le Grap Sogn Gion.

À peine majeur, ce dessinateur en bâtiment de formation décroche l’or européen en big air en 2001, puis remporte le Freestyle.ch sur le lac de Zurich. En tant que semi-professionnel, il se maintient à flot pendant des années grâce à des sponsors, jusqu’à ce qu’il se casse malencontreusement un genou lors d'une émission de la télévision suisse consacrée au trampoline.

Du tremplin aquatique à la scène mondiale

Il entame alors presque immédiatement une nouvelle carrière au sein de la fédération suisse. En 2008, il est d’abord entraîneur assistant, puis, après les JO de Vancouver 2010, devient responsable de la mise en place du domaine du freeski (regroupant les disciplines du ski freestyle et ski freeride). Parallèlement, Misra imagine un long avenir avec Meri et fait inconsciemment un voyage dans le passé avec elle. Ils emménagent ensemble dans un appartement à Mettmenstetten (ZH), où il a grandi, dans un foyer pour enfants.

Les souvenirs remontent à la surface. Le petit village avec le grand tremplin aquatique Jumpin, construit par le pionnier du freestyle Sonny Schönbächler après sa victoire olympique de 1994 à Lillehammer (Nor). En été, le jeune Misra Torniainien regarde le parc aquatique avec envie depuis la clôture de son école primaire. Jusqu'au jour où il ose monter en haut du tremplin et s'élancer sur la pente.

C’est le coup d’envoi d’une carrière de freestyler de plus de dix ans. À l’époque, il n’imaginait pas qu’il deviendrait entraîneur. Et surtout pas d’une superstar comme Eileen Gu. «C’est toujours surréaliste, dit-il en essayant de mettre des mots sur la situation. L’histoire que nous avons écrite avec Gu est gigantesque. C’est incroyable qu’elle ait résisté à la pression des Jeux olympiques.»

Triomphe et séparation avec Swiss-Ski

Dès le début des Jeux d’hiver, Gu a réalisé un trick en big air qu’elle n’avait jamais pratiqué auparavant. «C’était époustouflant, tout simplement du grand cinéma», s'exclame avec enthousiasme l'entraineur suisse, révélant qu’au début, sa mère et même le ministre chinois des Sports étaient contre le fait de prendre autant de risques. «J’ai pu mettre à profit une grande partie de mon expérience et j’ai transmis à tous une certaine sérénité», explique-t-il.

Gu a remporté le duel qui l’opposait à la Française Tess Ledeux et à la Suissesse Mathilde Gremaud. Cette dernière a toutefois pris sa revanche en slopestyle en arrachant la médaille d’or à Gu. La Fribourgeoise complète ainsi son palmarès de médailles. En 2018, elle avait déjà décroché l’argent, battue par sa compatriote Sarah Höfflin. À l'époque, l'entraîneur des deux Suissesses n'était autre que... Misra Torniainen.

Après le doublé suisse, les chemins se sont séparés. L'entraîneur souhaitait s’occuper davantage de ses enfants à la maison et mettre l’accent sur la relève qui faisait défaut à la fédération.

Mais Swiss-Ski n’avait pas le budget pour un poste à temps plein et ne lui proposait qu’un emploi à 60%. «Ce n’était malheureusement pas une option pour moi. Mais c’est la vie. Quand une porte se ferme, une autre s’ouvre», se souvient-il.

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