Pour son dernier match avant la pause de l'équipe de Suisse, Reto Berra a été immense. Blanchi à Rapperswil durant 65 minutes, il a encore été impeccable durant la séance de tirs aux buts pour permettre aux Dragons de ramener deux points pas franchement mérités des bords du lac de Zurich. Pour faire simple, au bas mot 1,5 point doit être porté au crédit de Reto Berra pour ce brigandage face aux Saint-Gallois.
Depuis le début de saison, le gardien des Dragons est excellent. Avec 93,47% d'arrêts, il est tout simplement le meilleur de National League. Ce n'est donc pas un hasard si le sélectionneur Patrick Fischer lui a envoyé une convocation pour le tournoi qui se déroulera cette semaine à Tampere en Finlande. La saison dernière, il avait manqué le tournoi, mais compte bien se rattraper cette année. La retraite internationale? Ne pensez même pas lui poser la question.
Reto, tu arrives à l’interview avec un grand sourire malgré un match probablement usant. Est-ce que tu profites plus aujourd’hui qu’avant?
Oui, clairement. Plus j’avance en âge, plus j’essaye de profiter. Je suis conscient qu’on ne joue pas au hockey éternellement. J’ai fait une grande partie de ma carrière, mais il me reste encore un bout, et je veux le vivre à fond. À 38 ans, tu commences à voir la ligne d’arrivée, et ça t’aide à savourer. Et encore plus quand le match ressemble à celui-là, avec une grosse bagarre et surtout avec la victoire au bout.
Tu parles de ton âge. Lors du match à Rapperswil, vous avez passé de nombreuses heures en bus, vous êtes arrivés tard, sans échauffement normal. À ton âge, ça se ressent?
(Il rit) Clairement. C’est vrai: chaque année, je sens que j’ai besoin de 10 minutes d'échauffement en plus. À 25 ans, tu peux descendre du bus et être prêt en 15 minutes. À 38, tout est un peu plus lent, il faut gérer. À Rapperswil, c’était un peu un casse-tête, mais j’ai réussi à trouver le rythme au bon moment. Ça fait partie du métier, et quand tu as un bon mental et que l’équipe répond, ça passe.
Est-ce que l’expérience peut tout compenser, même l’âge?
Non pas tout, mais beaucoup. En tant que gardien, l’expérience est une arme. Ça t’aide à gagner du temps, à mieux lire le jeu, à anticiper ce que le gars en face va faire. Un jeune va peut-être se déplacer plus vite latéralement, mais s’il se jette dans le vide, ça ne sert à rien. Moi, aujourd’hui, je joue plus compact, plus bas dans mon but, et je peux faire moins de mouvements qu'auparavant. Donc je compense différemment. J’utilise la position, l’angle. Ça, c’est du vécu, ça ne s’apprend pas en une saison.
Tu es encore en tête de la ligue au pourcentage d’arrêts, tu sembles en contrôle. Tu te sens aussi bien qu'il y a cinq ou dix ans?
Oui, peut-être même mieux sur certains aspects. Je connais mon corps, je le respecte. Je fais beaucoup plus attention à ma préparation, ma récupération, mon sommeil. Je fais du yoga, des soins, j'écoute mes sensations. À 20 ans, tu peux mal dormir et jouer à 100%. À 38, ça ne passe plus. Mais l’avantage, c’est qu’en contrepartie, tu as tout ce bagage mental, cette gestion des émotions, des rythmes, du stress. C'est là que je gagne mes forces aujourd'hui.
Parlons équipe nationale. Tu es encore présent dans les listes pour le tournoi à Tampere. Tu te vois à Milan pour les JO et à Zurich pour le Mondial?
Tant que mon niveau est là, tant que je suis performant, je pense que je fais partie des gardiens potentiels, oui. Mais je ne suis pas en mode «dernière danse». Je prends saison après saison, mais cette année, c'est clair, j’ai deux gros objectifs: les JO et le Mondial à domicile. Ça m’anime, ça me garde alerte. Tu ne peux pas faire une saison à moitié si tu veux jouer au niveau international.
Comment se passe ton dialogue avec Patrick Fischer? C’est toi qui te rends disponible ou tu attends sa convocation?
(Il sourit) Non, je ne me propose pas tout seul! Il m’appelle. On discute. Il me dit: «Reto, je te prends, tu es fit? Tu peux venir?». Et si je suis en forme, je dis oui. À ce stade de ma carrière, tout est clair entre nous. Je sais que si je suis top en club, je suis sélectionnable. Et jusqu’ici, mes stats sont bonnes, mes sensations sont là. Alors je continue.
Tu as joué la première de tes sélections il y a presque 20 ans déjà. Le hockey international n'est pas différent pour toi?
Un peu. En tournoi international, c’est un autre rythme. Ce n’est pas la même préparation, pas le même contexte. Il y a de la pression, certes, mais c’est aussi électrisant. Et ce sont des objectifs immenses. Un tournoi olmypique et un Mondial en Suisse, tu ne veux pas regarder ça à la télé. Tu veux la vivre. C’est ce qui me garde en forme et motivé.
On te voit encore briller à Rapperswil lors des tirs aux buts. C'est l'expérience qui te fait être le meilleur gardien dans cette exercice la saison dernière et encore cette année?
Ah vraiment? Je ne savais pas.
C'est pourtant le cas.
Oui, j'adore ça! Et je crois que j'ai toujours été solide dans cet exercice. Même lors de mes années en NHL, ça a toujours été un truc que j’aimais. J’ai gagné mes 5 ou 6 premiers shootouts de ma carrière là-bas. Pour moi, c’est un moment où le gardien peut devenir le héros. Tu es en face-à-face, tout est mental. C'est toi contre lui et rien d'autre. Et aujourd’hui, les joueurs sont très inventifs. Ils cassent le rythme, ils ralentissent et s'arrêtent. Gérer la vitesse, c'est un enfer. Ça m’oblige à évoluer, chaque année.
Tu travailles différemment cet aspect qu’il y a 15 ans?
Oui. Aujourd’hui, tu dois faire beaucoup d’analytique. Tu regardes les tendances, les stats, tu étudies les déplacements. Avant, les joueurs arrivaient tout droit, ils armaient, c’était plus simple à lire. Maintenant, ils jouent avec les angles, ils ralentissent jusqu’à 1 km/h, ils te forcent à t’engager avant eux. C’est fascinant.
Quand on te regarde aujourd’hui, on ne voit pas les 38 ans. Tu as un secret?
(Il rigole) La discipline. Je fais mes routines tous les jours: mobilité, préparation, massage. Je suis de nature assez mobile, et j’entretiens ça. Je connais mes limites et je ne triche pas avec elles. Ça veut dire aussi être honnête avec soi-même quand on a besoin d’un break. Le jour où je me lève et que ce n’est plus un plaisir, j’arrête. Mais pour le moment, je me sens vivant sur la glace, encore plus qu’avant. Et c’est pour ça que je me bats encore pour une place à Milan ou pour un Mondial à Zurich.