A quelques heures près, les vignes valaisannes auraient gagné un employé de luxe: Arian Kabashi, footballeur professionnel formé au FC Sion. «C'est incroyable parfois comme ça se passe», sourit le défenseur central, que «Blick» retrouve en ce jeudi après-midi du mois d'avril dans un café du très agréable centre-ville de Vratsa, au nord-ouest de la Bulgarie.
Des danseuses folkloriques en tenue traditionnelle se font applaudir à quelques mètres de là, dans un parc public, tandis que le footballeur se penche sur ses derniers mois, quelque part entre doutes, soutien familial, incertitude, soulagement et ambition. Ainsi est Arian Kabashi, dans la vie comme sur le terrain: il ne lâche jamais. Mais le coup est passé près, cette fois.
Le fitness le matin, les vignes l'après-midi?
Voilà quelques semaines à peine, le footballeur au chômage («Mais je ne me suis même pas inscrit, je vivais de mes économies») s'entraînait seul dans un fitness valaisan, pour se maintenir en forme. Le Sierrois de 28 ans, tout en soulevant ses haltères, se dit alors que les poids et le vélo, ça va un moment, mais que la vie est plus large.
«En fait, à ce moment-là, ça fait six mois que je suis sans club. Stéphane Troillet, le préparateur physique du FC Sion, me fait des programmes pour que je garde un rythme de professionnel et je m'entraîne le matin et l'après-midi de manière optimale en attendant la bonne opportunité. Mais là, je me dis que je dois avancer. Je décide alors d'aller au fitness désormais uniquement le matin et d'aller aider mon père dans les vignes l'après-midi. J'allais le lui annoncer.» Et là, comme dans les films, le téléphone sonne. Un agent lui parle du Botev Vratsa, en difficulté en championnat et qui veut recruter massivement. «La mission était claire: opération maintien en première division.» Adieu les vignes, bonjour la Bulgarie et bienvenue donc à Vratsa, une ville de 50'000 habitants posée au pied des majestueux et emblématiques monts Balkans.
L'aventure ne lui fait pas peur
«Ça ne me dépayse pas, on est entouré de montagnes comme en Valais», sourit Arian Kabashi, qui habite en plein centre-ville et a découvert un univers entièrement nouveau, qui se dévoile à lui petit à petit, jour après jour. Et ce n'est rien de dire que l'aventure ne lui fait pas peur, bien au contraire. Car depuis son départ forcé du Valais, sa terre natale, le football, ce monde merveilleux et dur, l'a conduit au nord de l'Europe d'abord, à l'est ensuite. Alors que les danseuses ont fini leur spectacle et que le soleil disparaît lentement derrière les Balkans, «AK» rallume la machine aux souvenirs.
«J'étais très fier de jouer au FC Sion. Y avoir fait mes débuts en première équipe, c'est une sensation que je n'oublierai jamais», explique celui qui se montre encore aujourd'hui extrêmement reconnaissant envers Paolo Tramezzani, l'entraîneur de l'époque. «On est en 2020, en plein Covid, on doit se sauver. Il avait vu mes qualités de combattant avec les M21 et m'a fait monter avec la Une.» Sion s'est sauvé, porté par une mentalité nouvelle incarnée à merveille par ce gamin formé au club, qui se bat sur chaque ballon. «C'est ma nature, je suis comme ça. Ce sont mes qualités. Je ne joue pas un rôle. Quand je rentre six minutes contre Bâle, on doit tenir le score, je me jette sur Artur Cabral, sur Kemal Ademi... Ça plaisait au coach!»
Exit Kabashi, benvenuto Balotelli
Au total, Arian Kabashi joue 13 matches en Super League avec le FC Sion, mais son contrat n'est pas prolongé à l'été 2022, malgré de solides performances. Le club valaisan entame alors un cycle moins valaisan, plus «bling-bling». En une phrase: Exit Kabashi, bienvenue Balotelli. Le club aux treize étoiles rêve de celles de la Champions League et finit, histoire connue, en Challenge League. Arian Kabashi, lui, ne vivra pas cette infamie, éjecté avant le début de la saison. Un mal pour un bien, au final.
«Mais, forcément, tu prends un coup sur la tête, surtout que tous les signaux et les discours étaient tournés vers une prolongation. Et là, à la fin des vacances au Kosovo, alors que j'étais parti tranquille, je reçois le coup de téléphone m’annonçant que c’est fini. C'est dur. Surtout que la préparation va recommencer, les clubs suisses ont déjà bouclé leur contingent en grande majorité», explique-t-il, sans se plaindre. Car Arian Kabashi n'est pas du genre à se lamenter. Sion, c'est fini? Un mois après, il prend l'avion, direction la Finlande.
La Finlande d'abord
«Un agent me trouve cette proposition à Lahti. Je me rappelle que mes potes me demandaient si je n'étais pas triste de quitter Sion, de devoir changer de pays, mais au fond, j'étais heureux. Comme je l'ai dit, je ne voulais pas quitter le FC Sion, mon désir était de prolonger. Mais du moment qu'on me ferme la porte, je fais quoi? Je continue à faire mon métier et celui-ci me permet de découvrir d'autres cultures, de m'enrichir sur le plan humain. Bien sûr que si quelqu'un m'avait dit, quand je jouais à Sion, que trois ans plus tard je serais en Bulgarie après avoir joué en Finlande, j'aurais rigolé. Mais au fond, je suis très heureux. Je suis sorti de ma zone de confort, j'ai voyagé et je pratique mon métier.»
Un mois après Sion, voilà donc Lahti, une grande ville, très agréable. «Et un bon club, avec des installations très correctes. Il y avait notamment un immense terrain couvert pour pouvoir s'entraîner en hiver.» Ses prestations sont bonnes, il y passe une année et demi, mais ne prolonge pas. «C'était ma décision. Le club voulait me garder, mais j'espérais franchir un cap, découvrir autre chose.» Les touches à l'étranger ne se concrétisent cependant pas et il décide de rejoindre Ekenas, néo-promu en première division. «Là, c'était spécial! J'arrive en plein hiver et il n'y a personne dans la ville. Personne! Je me demande où je suis tombé et si je n'ai pas fait une grosse bêtise. Mais Ekenas est plutôt un lieu de villégiature, où les Finlandais ont leur résidence secondaire. Au fur et à mesure que les beaux jours arrivaient, la ville s'est un peu remplie», sourit-il.
En Finlande, il lui manquait la passion
La Finlande, ce pays fou de sports d'hiver, ne se passionne cependant guère pour le football contrairement aux pays voisins que sont la Suède, la Norvège et la Russie. «Honnêtement, pour un combattant comme moi, c'était un peu compliqué au niveau de la mentalité. On était en première division, mais pour les joueurs, si on perdait, c'était dommage, mais sans plus. Ils passaient vite à autre chose, le foot n'était pas une question de vie ou de mort. Ce détachement est sûrement une force, mais moi, j'en voulais plus. Autre chose.»
Petit à petit, le plaisir de jouer au football disparaît. «Quand j'entre sur le terrain, j'ai besoin d'être stressé, d'avoir cette boule au ventre, qui disparaît dès que tu as réussi ta première passe... Je ne l'avais plus. Je jouais au foot pour jouer au foot. Alors, après six mois, j'ai dit au président que je partais.» Là aussi, un choix délibéré et assumé, sans grande concession financière. «Il faut être clair, si je joue à l'étranger, ce n'est pas pour m'enrichir, en tout cas pas pour l'instant! Je gagnerais plus en étant en Suisse avec un boulot tranquille. Surtout en Finlande, où la vie est chère. Par contre, ce que je vis n'a pas de prix. Les expériences que j'accumule me plaisent énormément.»
Trois appels en absence en arrivant à l'aéroport
Il quitte la Finlande en espérant signer rapidement ailleurs, mais reste donc six mois sans club. Jusqu'à ce que son téléphone sonne et qu'il prenne l'avion pour la Bulgarie. «Et là, vous savez comment c'est: à peine j'arrive à l'aéroport de Sofia, j'ai trois appels en absence pour d'autres projets, dont un très intéressant en Suisse! Mais j'avais le contrat du Botev Vratsa devant les yeux et après avoir rencontré les dirigeants, j'ai signé.» Son contrat est valable six mois, plus une année en cas de maintien en première division.
Le maintien, la priorité absolue
Les résultats ne sont pas brillants lors du championnat régulier, mais le tour de relégation, tout frais, a débuté par une belle et indispensable victoire à Sofia face au CSKA-1948, qui lance parfaitement le Botev Vratsa. «On veut vraiment s'en sortir, il y a un état d'esprit, une volonté commune», se réjouit le Valaisan, qui avait besoin de ça à ce moment de sa carrière.
«Même si on joue devant peu de monde, quelque chose comme 1500 personnes, ça veut dire quelque chose ici. On veut se maintenir, c'est important, il y a un objectif et on se bat pour. J'apprécie beaucoup.» Avec quatre points de retard sur le premier non-relégable et six matches encore à jouer, le coup est largement jouable.
«On a une bonne équipe franchement! On a perdu des matches de peu, mais on devait apprendre à se connaître. Maintenant c'est bon, et j'y crois. On peut y arriver.» Et son contrat être automatiquement prolongé. «Je ne pense qu'à ça. C'est à nous de jouer. Collectivement, on peut s'en sortir.»
A Vratsa, Arian Kabashi a reçu la visite de sa mère et de sa soeur dès la première semaine («Ma mère voulait être sûre que tout allait bien pour moi, que j'étais bien installé») et, depuis, vit seul en ville, où il fait tout à pied. «J'ai pris l'habitude en Finlande. Avant, en Suisse, même pour faire 300 mètres, je prenais la voiture. Maintenant, je marche, j'ai développé cette manière de faire et elle me convient très bien», explique-t-il, lui qui se rend même à pied à l'entraînement, à vingt minutes de marche. «Parfois, je vais chez un coéquipier et il me prend avec lui. Tous les joueurs étrangers ou presque, on habite au centre-ville», enchaîne Arian Kabashi, qui admet ne pas s'être mis intensément à la pratique du bulgare.
Vratsa, la difficile transition
«Nous sommes sept francophones dans l'équipe, c'est sympa, plus le coach qui parle français, ce qui est un luxe appréciable! Et pour le reste, on parle en anglais. En ville, parfois, c'est un peu compliqué, mais je m'en sors avec Google Translate. Et puis, quand je suis arrivé, je suis resté une semaine avec un coéquipier brésilien à l'hôtel, on a découvert ensemble. Du coup, on a sympathisé. Lui, par contre, il ne parle que portugais, il galère un peu!». Vratsa n'est en effet pas une ville internationale, de loin pas, et vit encore sa transition post-communisme en ne sachant pas très bien où elle va. Comme un symbole, à l'entrée de la ville se dresse un gigantesque bâtiment en ruines, mais pas encore détruit.
Plus de lycée français, mais des bananes
«C'est l'ancien lycée français. A l'époque, il était plein, il y avait de la vie. Aujourd'hui, tout ça c'est fini. Mais ils ne le détruisent pas», explique une habitante de la région, pas franchement convaincue que la Bulgarie vit mieux aujourd'hui qu'à l'époque. «Maintenant, on est ouverts sur le monde, mais on a perdu beaucoup de choses. En gros, on a des bananes, mais on n'a plus de formation de qualité», se désole cette citoyenne bulgare, qui constate, comme tout le monde, que son pays a perdu beaucoup d'habitants depuis la chute du mur et l'exode massif vers l'Europe de l'Ouest ou l'Amérique du nord. Vratsa, un exemple parmi d'autres, comptait 80'000 habitants en 1990, 50'000 aujourd'hui.
Ce contexte fascinant des Balkans, cette partie d'Europe qui cherche à se reconstruire en s'appuyant toutefois sur des identités fortes et un patriotisme certain, Arian Kabashi en était familier, sans même connaître la Bulgarie, puisque le Kosovo, sa terre d'origine, n'est pas lointaine. «C'est vrai, je vois beaucoup de similitudes. En tout cas, ça change de la Finlande», rigole-t-il franchement, focalisé sur la fin du championnat avant, peut-être, de vivre une autre aventure ou, pourquoi pas, de retrouver la Suisse.
«Je suis ouvert à tout. Le fait de jouer en première division est une très bonne chose pour moi, ça peut montrer aux clubs suisses que j'existe. Je sais qu'au moins un club suit mes performances et se montre intéressé», assure-t-il, sans vouloir en dire plus. La belle aventure d'Arian Kabashi n'est de loin pas terminée. Les vignes paternelles peuvent attendre encore un peu.