Au bord de la piscine, deux copines se demandent qui est ce beau blond qui se promène en direction du terrain de football. La plus âgée ose l’aborder avec un peu d’insolence. Le lendemain, Gilbert Gress, 18 ans, et Béatrice, 15 ans seulement, forment un couple. Ils ne se quitteront plus.
Quatre ans plus tard, ils se diront «oui» pour la vie. C’était il y a plus de 60 ans. Depuis, deux enfants et quatre petits-enfants sont nés. Gilbert Gress fait a aussi fait carrière: d’abord comme footballeur, puis comme entraîneur. Il est encore aujourd’hui considéré comme un expert charismatique pour toutes les questions liées au football. Gilbert Gress, c’est la coupe de cheveux, les lunettes, les répliques malicieuses et le dialecte alsacien.
Alors que nous rencontrons le couple dans la région de Strasbourg, un mot vient à l’esprit: Wow! Quel couple élégant. Très chic! Tous deux portent du noir et des vestes grises. Lui porte de nouvelles lunettes et vient de sortir de chez le coiffeur. Elle est impeccablement apprêtée, dans des bottines à talon crayon. Le style est un domaine de souveraineté chez Béatrice Gress. «Le noir amincit, dit-elle nonchalamment, c’est pourquoi il devait en porter aujourd’hui.»
Il en a toujours été ainsi. Elle veille en coulisses à ce que Gilbert Gress puisse se concentrer sur sa passion, le football. Il a été le premier Français à évoluer dans le championnat allemand, a été deux fois champion de France avec l’Olympique de Marseille et a joué dans l’équipe nationale. En 1976, Gilbert Gress a mis fin à sa carrière de joueur à Neuchâtel Xamax et est devenu entraîneur du club. C’est à Neuchâtel que les Gress ont obtenu leur droit de cité, et aujourd’hui encore, ils regrettent parfois d’avoir déménagé.
Il a joué au football avec l’ennemi
«Notre vie est toujours marquée par le football», explique Béatrice. Son mari joue chaque semaine aux cartes et s’engage dans différentes associations. Mais son cœur appartient au football, et plus particulièrement lorsqu’il y a match. À tel point que Madame Gress a acheté sa propre télévision. Elle lit beaucoup, des romans ou des ouvrages historiques. Actuellement, elle se plonge dans l’ouvrage primé «Houris» sur les autochtones qui ont combattu aux côtés des Français pendant la guerre d’Algérie.
Sans ce conflit, Béatrice et Gilbert Gress ne se seraient sans doute pas mariés aussi jeunes. «J’ai été incorporé dans l’armée en 1961 et, en tant que footballeur, j’ai été affecté à une unité de sportifs. On nous a promis que nous pourrions rentrer à la maison dès le vendredi pour nous entraîner.»
Au lieu de cela, Gilbert Gress a été transféré à Marseille dès la première semaine et a embarqué pour l’Algérie. C’est à peine s’il a pu faire ses adieux à sa bien-aimée par téléphone. Celle-ci était en larmes. «J’ai eu terriblement peur pour lui.» Son Gilbert a de la chance, son unité ne doit pas participer activement aux combats. «C’était une situation absurde. La semaine, nous nous battions en ennemis et le week-end nous organisions des matches internationaux France-Algérie», se rappelle-t-il.
Elle allait où il allait
Gilbert Gress a effectué deux fois cinq mois de service en Afrique du Nord. Par peur de se perdre l’un l’autre, ils se sont fiancés pendant son premier congé au pays et sont allés à la mairie pendant le second. Ni l’un ni l’autre ne peuvent expliquer pourquoi leur mariage a non seulement tenu jusqu’à aujourd’hui, mais pourquoi il a été si heureux. Ils ne se souviennent même pas des crises. «Nous nous sommes vus trop rarement pour cela», s’accordent-ils à dire. Même si Béatrice était toujours à ses côtés, dans la mesure du possible.
«Il m’emmenait si possible partout avec lui, j’ai beaucoup apprécié», raconte-t-elle. Elle se rendait souvent à Strasbourg, où sa fille Cathy et son fils Frank ont été élevés par leurs grands-parents. «Nous ne pouvions pas faire autrement», explique-t-elle. «En 25 ans, nous avons déménagé 19 fois, les enfants auraient dû à chaque fois changer d’école, d’amis, d’environnement… nous ne voulions pas leur imposer cela.» À l’époque, c’était une solution progressiste. Elle vivait plus que ce qu’une femme au foyer moyenne pouvait attendre de sa vie, précise aussi Béatrice.
«Ne pas abandonner trop vite en cas de problème»
Interrogé sur la recette de l’amour éternel, Gilbert Gress sourit: «Il faut probablement être né à une autre époque. Je ne connais qu’un seul couple de notre âge qui a divorcé.» Puis il devient sérieux: «L’important – et c’est la seule chose que je voudrais recommander à chaque jeune couple – c’est de ne pas abandonner trop vite en cas de problème.»
Les deux aiment aussi se rappeler de temps en temps ce qui les a autrefois fascinés chez l’autre. «Il a du caractère, cela m’a toujours impressionné. Et il est beau avec ses beaux yeux bleus», dit-elle de lui. «Elle est attentionnée, elle pense toujours aux autres en premier. Et c’est toujours une belle femme», dit-il.
Mais il doit bien y avoir quelque chose qui les agace l’un chez l’autre, non? «Elle a la manie du nettoyage et une tendance au dogmatisme», répond Gilbert. Béatrice n’hésite pas à contre-attaquer: «Il regarde constamment son téléphone portable, ça me rend folle. Et je dois veiller à ce qu’il ne prenne pas trop de poids et lui rappeler ses rendez-vous chez le coiffeur.» Ils aiment se taquiner pour ensuite se regarder à nouveau avec ce regard qui en dit plus que mille mots.
Même si Gilbert n’aime pas la Saint-Valentin, il a néanmoins offert un bouquet de roses à Béatrice, ce qu’elle commente avec acidité: «Avant, tu faisais ça plus souvent, tu t’es laissé aller.» Sans doute pas trop, car Monsieur Gress est connu chez le fleuriste et possède même une carte de fidélité. Grâce à elle, il a obtenu une réduction de cinq euros, remarque-t-il d’un ton pointu, «sinon, ça revient trop cher, il ne faut pas exagérer». Les rires fusent.
Elle ignore ostensiblement la remarque, renifle son bouquet et a l’air satisfaite. Ces deux-là ont définitivement le même humour sarcastique. Ils donnent tout simplement l’impression d’être bien ensemble.