Martin Andermatt accueille dans son nouveau chez lui, la lounge d’Yverdon Sport, au premier étage du Stade municipal. Le Zougois de 64 ans parle un très bon français, lui qui n’avait pourtant jamais entraîné ou joué en Suisse romande avant de signer cet été à Yverdon en tant que directeur technique. L’ancien entraîneur d’YB a cependant une petite aide, très discrète, un tout petit outil de traduction français-allemand qu’il gardera à côté de lui pendant l’interview, par précaution, sans avoir besoin de l’utiliser une seule fois. Après trois ans passés à Bâle en tant que «Nachwuchschef», soit chef de la relève, son profil a interpellé Jamie Welch, le propriétaire d’YS, qui lui a proposé de l’engager cet été en tant que directeur technique.
Il n’a ainsi pas mis longtemps à rebondir, lui dont la passion pour le football a irradié la vie de son entourage. Ses deux fils ont en effet fait carrière, l’aîné Yves (40 ans) ayant désormais arrêté, contrairement à Nicolas (29 ans), qui joue actuellement à Bayreuth, en Regionalliga. «Ma fille Céline est moins passionnée par le foot, mais elle a un grand sens des relations humaines», précise le nouvel homme fort de la formation d’YS, avant de répondre à toutes les questions de Blick.
Martin Andermatt, quelle surprise de vous voir ici, dans ce stade d’Yverdon Sport! Qu’avez-vous pensé quand vous avez été contacté?
J’ai été très content des premières discussions avec le président Jamie Welch. Je n’avais aucune obligation de venir à Yverdon, il fallait simplement que je sois convaincu. Alors, je lui ai demandé ce qu’il voulait faire, c’était la priorité absolue. Ce que je veux moi importe peu, si je ne suis pas aligné avec le club. Si c’est pour venir cinq mois et partir, à quoi ça me sert? Ces discussions-là m’ont rassuré. Yverdon veut construire sur le long terme.
C’était la grande question après la relégation, vous le savez bien. Tout le monde se demandait si le propriétaire-président Jamie Welch allait partir. La volonté de remonter en Super League et votre engagement prouvent le contraire.
Je ne suis pas arrivé en disant que telle ou telle chose n’allait pas et qu’il fallait tout changer. J’ai envie d’apporter mes idées, bien sûr, mais sans tout révolutionner. Et oui, j’ai été convaincu que je pouvais m’impliquer dans un projet à long terme.
Votre travail, c’est de structurer l’académie, de former les entraîneurs, de préparer l’avenir?
Nous avons deux responsables d’académie, Mustafa Sejmenovic et Modou Boye, qui font un super travail et qui connaissent l’environnement bien mieux que moi pour l’instant. Je chapeaute tout le secteur qui regroupe l’académie, la deuxième équipe, les filles et les garçons.
Vu de l’extérieur, Yverdon, ça vous inspirait quoi?
Un club qui ressemblait à une petite forteresse, qu’il fallait défendre à tout prix, et des joueurs qui s’investissaient à fond. C’était vraiment le sentiment que j’avais quand j’étais joueur et même des fois, aujourd’hui, quand je marche dans la ville, j’ai ce sentiment. L’identité existe, ici.
C’est une autre langue, une autre mentalité…
Mais je n’ai jamais eu de problème avec ça. Si tu vis à Zoug et tu travailles à Bâle, c’est aussi une autre mentalité. C’est le foot qui m’intéresse. Dès que j’ai compris qu’il y avait ici la possibilité de bien travailler, j’ai dit oui. Si je ne l’avais pas senti, je ne serais pas venu, tout simplement.
Comment ça se fait que vous n’ayez jamais travaillé en Suisse romande avant cet été?
Je ne sais pas, vraiment! Bon, comme footballeur, c’était clair. Après Bâle, je suis allé à GC. Je n’avais pas vraiment de raison particulière de jouer en Suisse romande. Mais comme entraîneur, c’est vraiment le hasard. J’avais beaucoup d’amis «welsches» en plus.
Comme qui?
Oh, il y en a eu beaucoup. Le premier nom qui me vient, c’est Stéphane de Siebenthal. Et puis, j’ai beaucoup aimé travailler à Vaduz avec Steve Gohouri, qui est malheureusement décédé. Ah et puis, j’ai une histoire avec Yverdon, puisque quand j’étais entraîneur à Ulm, j’ai fait venir Leandro Fonseca, le buteur d’YS! J’ai toujours été connecté à la Suisse romande, y compris en équipe nationale, où on parlait toutes les langues. J’avais un avantage par rapport aux autres, du fait que ma mère est Grisonne. Elle parlait le romanche, ça m’a ouvert l’esprit sur les langues et sur l’italien.
Vous êtes l’un des rares Suisses qui comprenne les quatre langues nationales, alors?
On peut dire ça, oui (rires).
Vous êtes venu seul ici?
Oui. Je suis marié depuis 40 ans avec mon épouse Sonja et elle sait que je travaille dans le football. C’est comme ça… Mais aujourd’hui, mes deux fils et ma fille sont grands, c’est plus facile. La famille est dans la région de Zoug et de Zurich, c’est à deux heures de voiture d’ici. C’est bien aussi comme ça. Quand je suis à Yverdon, je bosse à fond et les trajets sont parfaits pour réfléchir un peu, passer deux ou trois coups de téléphone.
Il existe une problématique à Yverdon, dans le secteur juniors, c’est la prédominance de Team Vaud, et donc de facto de Lausanne. Et il y a aussi le fait que Neuchâtel est à vingt minutes. Ce n’est clairement pas la même configuration qu’à Bâle, où le club-roi règne sur toute la région…
Votre question porte sur les problèmes. Ma réponse portera sur les solutions. On veut cultiver notre identité. On doit travailler mieux, s’adapter, et toucher le coeur et l’âme des jeunes, qu’ils aient du plaisir à venir à l’entraînement, qu’ils voient qu’on va créer quelque chose ensemble. Le foot, c’est trente joueurs qui s’entraînent et onze qui débutent le match. Tu dois créer un environnement favorable, parler honnêtement. C’est un challenge, mais je le vois de manière positive, c’est pour ça que je parle de solutions et non de problèmes. Ici, il y a beaucoup de belles choses comme le bel enthousiasme pour le football féminin. Yverdon est le club numéro 1 dans la région, on peut bâtir là-dessus et préparer l’avenir.
Allons d’emblée dans le concret. Imaginons que j’aie un fils de 14 ans, un talent de l’académie d’YS, et que je vienne vous dire que je veux qu’il aille à Lausanne, que c’est mieux pour son développement. Que me répondez-vous?
Déjà, je vous demande ce que lui, il veut. Pas vous. Pas son manager. Parce que certains ont un manager à 14 ans...
D’accord. Alors je vous réponds qu’il veut aller à Lausanne.
Pourquoi?
Parce qu’il pense y avoir de meilleures perspectives pour son avenir.
A quatorze ans, il rêve de la Super League. C’est super. Mais il ne doit pas rêver, il doit travailler. Je ne vais pas lui parler de Lausanne, je vais lui parler d’Yverdon, du projet qu’on a pour lui, de la manière dont on veut l’encadrer. Mon travail, c’est de construire un chemin pour chacun de ces jeunes. Je veux qu’il ressente la confiance de son entraîneur ici à Yverdon, que son coach le fasse progresser, qu’il ait du plaisir. Ailleurs, tu seras peut-être un joueur sur vingt-cinq. A Yverdon, on veut qu’il soit un joueur unique. Et qu’il travaille dur et soit honnête avec lui-même.
Ce qui veut dire?
On en revient à l’identité d’Yverdon. Qu’est-ce qu’on veut faire avec notre académie? Il y a l’aspect technique, mais il y a aussi le caractère. J’ai 64 ans, je sais repérer un joueur qui a tout donné ou non. Des fois, un jeune te dit qu’il a tout donné. Mais moi je sais qu’il a la possibilité de faire encore plus. Cette philosophie, je veux l’implanter ici.
Concrètement, quelle est votre philosophie de formation?
Pour moi, il y a trois moments-clés quand on parle de technique individuelle: la première touche, la dernière touche et le mouvement. Comment je me comporte quand je reçois le ballon, qu’est-ce que j’en fais et ensuite comment je bouge pour proposer une solution. Combien de joueurs je vois encore aujourd’hui qui croient que le boulot est fini quand ils ont fait la passe… Non! Propose une solution! Je vais vous faire une confidence. Dimanche dernier, je me suis posé devant la télévision, j’ai regardé le derby de Manchester, mais pas juste pour prendre du plaisir comme un fan de football. J’ai observé la rencontre en me basant sur ces trois points.
Votre verdict?
C’est le très haut niveau, bien sûr. Je l’ai fait pour parler aux entraîneurs et aux joueurs d’ici, en me basant sur le top du top. Pour leur montrer que ce sont des principes simples, appliqués par des grands joueurs. On doit s’en inspirer, à notre échelle. Il y a des entraîneurs top ici, très passionnés et très impliqués.
La mentalité, elle est vraiment différente entre la Suisse alémanique et la Suisse romande?
Je ne suis pas un homme qui aime faire des généralités, mais oui, il existe une différence. Ici, les gens sont gentils, vraiment humains, mais j’ai déjà remarqué que si je dis à quelqu’un qu’il doit faire quelque chose, il va me demander pourquoi. C’est déjà une différence (rires). Mais sinon, les règles du foot sont les mêmes partout. Les duels, les un contre un. Tu dois gagner. Tu veux gagner. Mon boulot, c’est de créer le chemin commun, ce n’est pas de venir le soir, de regarder deux entraînements et de dire que ce n’est pas bon. Je suis ici le matin aussi et j’échange constamment avec les collègues parce que je dois apprendre la mentalité d’ici. En Suisse centrale, c’est autrement qu’à Bâle. Et à Bâle ce n’est pas comme ici, pas comme à Sion, qui est encore différent de Lausanne. Je suis encore en phase d’apprentissage, je parle beaucoup, je dois sentir la région, les joueuses et les joueurs.
Quelle est votre relation avec Adrian Ursea, l’entraîneur de la première équipe?
La première chose, c’est que je suis d’entrée allé le voir pour lui dire que j’étais là en tant que directeur technique. Je ne peux pas empêcher les gens de penser que si Martin Andermatt arrive quelque part, c’est pour faire l’entraîneur à un moment. Mais c’est non, non et non. Il était déjà en place et j’ai découvert sa manière de travailler. Nous parlons régulièrement, nous faisons des réunions, mais je ne donne pas mon avis sur la manière dont joue la première équipe. Je me l’interdis. Quand je parle avec lui, c’est d’avenir, c’est d’un joueur de notre académie qui pourrait intégrer la première équipe. Il accomplit un travail remarquable.
Etes-vous fier de votre carrière, en règle générale?
Quand j’étais enfant, je voulais aller sur le terrain et tout le temps gagner. Et après, en grandissant, j’ai compris que je ne pourrais pas toujours gagner. Il faut savoir se contenter de ce que l’on a et de ce qu’on a fait… Comme joueur, j’étais défenseur ou milieu défensif, j’étais intéressé à ce qui se passait en attaque, sur les côtés. J’avais une vision périphérique et le sens du collectif. C’était ma manière de jouer et c’est ce qui m’a poussé à devenir entraîneur. Après, vu que la question était de savoir si je suis satisfait de ma carrière… Bien sûr, si je repense à la Finalissima de 2008 avec YB, il y a un regret, mais quand je me rappelle où était YB quand je suis arrivé, je suis content. J’ai fait de jolies choses quand même, notamment avec le Liechtenstein.
Pour moi, l’étape la plus marquante de votre carrière d’entraîneur, celle où vous avez le plus de mérite, si j’ose, c’est justement ce passage au Liechtenstein. Vous êtes d’accord?
Je suis fier de ce que nous avons accompli ensemble, ça c’est sûr. Mais puisque vous m’entraînez sur ce terrain, je dois vous répondre que monter en Bundesliga avec Ulm, c’était aussi assez fort (sourire). Le Liechtenstein, c’est vrai que c’était spécial. J’entraînais Vaduz en même temps, six ou sept joueurs étaient les mêmes. Lors des qualifications pour la Coupe du monde 2006, on prend huit points, avec notamment un 2-2 contre le Portugal de Cristiano Ronaldo. Bien sûr que ça reste. Mais avec le temps, j’ai compris le football et le fait que la victoire d’hier ou la défaite de demain ont moins d’importance que le temps passé avec les gens et le travail effectué. J’essaie de faire ce que j’aime. Si ce n’est pas le cas, j’arrête demain.
En parlant du Liechtenstein, ça a toujours été clair pour vous que Mario Frick deviendrait un bon entraîneur un jour?
La réponse facile serait de dire oui et tout le monde me féliciterait (rires). Ce qui est sûr, c’est que j’ai toujours perçu ses évidentes qualités de leader. Mais il était attaquant et, par définition, un attaquant pense plus à ses propres performances qu’aux autres, ce qui est naturel. Et il jouait à Ternana, en Italie, pas à Vaduz comme une partie du groupe que j’entraînais. Donc vous dire que dès le début, je savais qu’il serait un jour amené à s’occuper d’un effectif en entier et à devenir entraîneur avec tout ce que cela comporte, non. Par contre, il avait de grandes qualités pour emmener les autres avec lui, il avait du caractère, il en a toujours d’ailleurs, et j’ai toujours aimé sa manière de communiquer, franche et directe. S’il y avait un problème, il venait en face et le disait. Et ce qu’il faisait, il le faisait toujours pour le bien de l’équipe. On parlait beaucoup ensemble, on trouvait une solution. Je suis très heureux de sa réussite actuelle.
Il y a des joueurs et des entraineurs qui vous ont marqué ? Ou inspiré ?
Quand je jouais à Grasshopper, on avait vraiment une grande équipe avec Marcel Koller et tous les autres, c’était fantastique. J’ai eu de bons entraîneurs, comme Ottmar Hitzfeld, Kurt Jara, Timo Konietzka aussi, qui était dur comme Felix Magath. Et en équipe nationale, Daniel Jeandupeux, Paul Wolfisberg, Uli Stielike. J’ai pu profiter de tous ces grands techniciens, mais au final, tu dois avoir ton style. Je n’ai jamais voulu copier quelqu’un.
Est-il possible de se faire des amis dans ce monde sans pitié qu’est le football?
Dans le monde du football, je n’ai pas beaucoup d’amis, je peux le dire. Mais j’ai des contacts respectueux avec les joueurs que j’ai entraîné, même si c’est difficile, car un joueur reprochera toujours à un entraîneur de ne pas l’avoir fait jouer (rires). Après, c’est comme dans la vie, certaines personnes tu as plus envie de les revoir que d’autres, c’est humain. Aujourd’hui, après toutes ces années, j’ai encore contact avec Andy Egli, on se voit quelques fois.
Une dernière question: vous êtes passé à GC, à YB et à Bâle. C’est lequel votre club de coeur?
Personne ne me croit quand je réponds à cette question, mais je vais vous dire la seule vérité.
Je vous écoute.
Du moment où j’arrive dans un club et que je signe mon contrat, jusqu’au jour où on se serre la main à la fin, je m’identifie à fond et je donne tout. Cela a toujours été le cas. Et c’est encore le cas maintenant.
Allez, j’en rajoute une dernière: qu’aimeriez-vous que l’on dise à votre sujet une fois parti? Quel doit être l’héritage de Martin Andermatt dans cinq ou dix ans à Yverdon?
La même chose que durant toute ma carrière: qu’il y ait une continuité. Partir et que la suite ne soit pas bonne ne m’intéresse pas. C’est le sens de mes efforts ici.
Équipe | J. | DB. | PT. | ||
---|---|---|---|---|---|
1 | 6 | 10 | 15 | ||
2 | 6 | 5 | 13 | ||
3 | 6 | 4 | 12 | ||
4 | 6 | 2 | 11 | ||
5 | 6 | 3 | 10 | ||
6 | 6 | -1 | 10 | ||
7 | 6 | 0 | 8 | ||
8 | 6 | 0 | 6 | ||
9 | 6 | -4 | 5 | ||
10 | 6 | -4 | 4 | ||
11 | 6 | -6 | 4 | ||
12 | 6 | -9 | 2 |