Flash-back. Juin dernier, à Tallinn. Thomas Häberli (51 ans) boucle un mandat de trois ans et demi à la tête de la sélection estonienne. Il s’interroge sur la suite: «Est-ce que je dois rester? Est-ce que je veux partir? Que va-t-il se passer maintenant dans ma vie?» Puis le téléphone sonne. À l’autre bout du fil: René Weiler. Le Zurichois vient de mener Servette en finale de la Coupe, offrant au club son premier trophée en 23 ans. Et, à la surprise de Thomas Häberli, il lui propose de reprendre le flambeau. Lui-même a décidé de se retirer pour devenir directeur sportif, comme il l’avait laissé entendre juste après la finale.
«Il y a toujours quelqu’un qui appelle», sourit Thomas Häberli, rencontré cette semaine par Blick. «Je ne m’attendais évidemment pas à ce que ce soit René. Il m’a contacté en tant que coach à succès et m’a demandé si je voulais le remplacer. C’était très spécial.»
Il voulait changer d'air
Le Lucernois, lui, avait disparu des radars du foot suisse. En 2021, après plus de dix ans passés dans la formation à YB, Bâle et un passage en Super League à Lucerne, il cherchait un nouveau souffle: «Je ne voulais pas juste enchaîner un job de plus.» Il part donc en Estonie, en quête d’air frais. «J’y suis allé tête baissée. Après quelques mois de folie, je me suis demandé: qu’est-ce que tu fais exactement ici?»
Le Covid a mis le monde sur pause. En Estonie, les journées deviennent longues, solitaires. Ce père de quatre enfants tient bon grâce à sa famille: «Il faut une femme exceptionnelle, qui gère tout, qui reste ouverte au monde.»
Peu à peu, Thomas Häberli commence à apprécier ce rôle unique: représenter tout un pays sur la scène du football. Il s’investit à fond dans les défis. Il mesure aussi l’impact de la guerre en Ukraine sur le quotidien estonien. «J’ai vécu des débats sans fin, des émotions intenses. Là-bas, l’histoire s’invite à chaque repas. Il y a des tensions, des divisions, même au sein de l’équipe nationale.»
Au-delà des 36 matches disputés, l’expérience estonienne lui laisse des souvenirs marquants. Presque un an après son départ, les impressions restent vives. Sa fille termine d’ailleurs ses études à Tallinn en juin.
«Je me souviens de la neige, du froid sec, du silence absolu le soir. C’était magnifique. Et la passion des gens pour le sport, incroyable. Finalement, le lieu importe peu. Ce qui compte, c’est la passion, la qualité et l’intensité des relations humaines.»
René Weiler avait voulu le recruter lorsqu'il était attaquant
En discutant avec Thomas Häberli, une chose saute aux yeux: sa ressemblance avec René Weiler. Deux hommes d’action, directs, qui n’ont pas peur des frottements. Deux personnalités avec des convictions bien ancrées. Pourtant, leurs chemins ne se sont croisés qu’en marge. Il y a plus de 20 ans, René Weiler, alors directeur sportif à Saint-Gall, s’était intéressé à l’ancien attaquant d’YB. «Je ne connaissais pas vraiment René, j’avais juste entendu quelques histoires à son sujet.»
Mais les rumeurs, très peu pour lui: «Je l’ai découvert autrement que ce qu’on m’avait raconté.» Et ça a tout de suite collé. «Sa clarté me parle. On se comprend parce qu’on partage une même vision de la communication, à l’interne comme à l’externe. Il n’y a pas l’épaisseur d’une feuille entre nous.»
Une relation d'égal à égal avec René Weiler
Le respect est mutuel, presque instinctif: «Parfois, un simple regard suffit. Oui, on fait comme ça. Et c’est tout.» Un échange «d’égal à égal», insiste Thomas Häberli.
Le fait que son populaire prédécesseur soit son chef n'est pas un frein pour l'entraîneur du SFC. «Je me fais toujours mon propre jugement et j'ai ma propre opinion. Et si je veux aller jusqu'au bout de quelque chose, je le fais sans hésiter. Je ne me laisse pas influencer, je dis oui ou non. René aime ça». La séparation des pouvoirs fonctionne à Genève, l'ex-entraîneur René Weiler respecte les lois non écrites: «Il ne se mêle pas de mes affaires, je ne me mêle pas des siennes. Il y a un consensus parce que René, en tant qu'ex-coach, sait exactement ce qui va et ce qui ne va pas. J'ai confiance en lui. Il sait ce qu'il faut pour qu'une équipe fonctionne».
Il n'a pas bouleversé l'équipe créée par René Weiler
Le stratège en chef René Weiler, à la manœuvre depuis bientôt deux ans, partage des valeurs qui collent parfaitement à celles de Häberli. Ce dernier connaît les attentes, forcément élevées après une saison brillante de Servette, marquée par une épopée européenne et un premier trophée depuis 23 ans. «Les résultats doivent refléter le potentiel de l’équipe. Pour ça, il faut rester honnête, avec soi-même et avec l’environnement. Se regarder dans le miroir. En tant qu’entraîneur, tu dois éviter de te laisser emporter par les émotions. Être impliqué, sans être affecté. C’est tout un art. Et parfois, ça fait mal.»
Depuis son arrivée à Servette, Thomas Häberli a entretenu la base créée par René Weiler et n'a pas «réinventé la roue» genevoise. Il était clair pour lui qu'avec une équipe aussi bien rodée, il s'agissait surtout de procéder par petites touches. La base est restée. «Il s'agit toujours de trouver l'équilibre entre innover et préserver la continuité. C'est ce qui me semblait important et qui a bien fonctionné jusqu'alors». L'élimination en compétition européenne est supportable au vu des adversaires (Braga et Chelsea). Seul l'échec en Coupe contre Schaffhouse a été un échec: «Nous sommes rarement tombés en dessous de notre niveau normal cette saison. Là par contre, c'est arrivé».
«La voie que nous avons choisie est la bonne»
En championnat, Thomas Häberli veut, avec René Weiler, continuer à établir l'organisation genevoise et à créer des perspectives. Il s'agit en premier lieu de créer des structures à différents niveaux afin de se rapprocher des clubs de haut niveau que sont YB et Bâle. «La voie que nous avons choisie est la bonne, les résultats sont bons. Nous devons essayer de maintenir notre bon statut. Mais c'est toujours une histoire fragile».
Thomas Häberli sait de quoi il parle. Comme joueur, il a vécu de l’intérieur l’ascension d’YB vers les sommets du foot suisse. Puis à Bâle, il a accompagné de près les jeunes talents du FCB en tant que coach des M21, intégré au cercle décisionnel du club le plus dominant de l’époque. «Jusqu’au changement de direction en 2017 – quand Bernhard Burgener a succédé à Bernhard Heusler – le FC Bâle était la référence absolue. Une machine bien huilée, avec une qualité immense, sur le terrain comme dans les bureaux.»
Servette plus stable que jamais sur le plan économique
Il évoque l'ADN qu'il faudra aussi implémenter à moyen terme à Servette, de la grande stabilité apportée par la Fondation 1890 incarnée par Didier Fischer au cours des dix dernières années: «La situation financière s'est stabilisée. Ces gens sont originaires de la ville et ont des responsabilités. Ils sont là et bien là». Dans cet environnement, la croissance sportive est possible et nécessaire, selon Thomas Häberli. «Servette vient de très bas, il y a dix ans, le club était en 1re ligue. Le bricolage est encore perceptible au niveau des infrastructures d'entraînement. Cela peut être encore aujourd'hui une raison pour un joueur de ne pas signer à Servette».
Il cite l'exemple de ce joueur français prometteur qui, l'été dernier, a préféré être transféré au Havre, relégué en Ligue 1, plutôt que de rejoindre la Suisse romande. «Nous perdons encore trop de talents. Trop de gens ne croient toujours pas en la voie genevoise», déclare Thomas Häberli en mettant le doigt sur un point sensible à Genève. Winsley Boteli (18 ans) joue dans l'équipe M23 du Borussia Mönchengladbach, Johan Manzambi (19 ans), un autre joyau de la formation genevoise, éclate au SC Freiburg; Felix Tsimba (18 ans) a choisi YB comme tremplin.
«En Suisse alémanique et plus au nord, Servette est considéré depuis des années comme un self-service. Nous devons changer cette vision». Thomas Häberli sait que le grand écart entre le pain quotidien du championnat et la planification de l'avenir est grand: «Il faut toujours un noyau de joueurs expérimentés et de grant talent. Mais aux positions 16 à 22, il doit y avoir plus de jeunes prêts pour la Super League. Et il faut toujours en coulisses quelqu'un qui soit prêt à assumer le risque économique si quelque chose devait mal tourner».
Les jeunes, l'avenir du Servette FC
Thomas Häberli parle des histoires «que nous devons raconter et créer à l'avenir. Nous devons pouvoir montrer aux jeunes et à leurs parents, avec des exemples de réussite, que la voie genevoise en vaut la peine. Nous devons travailler dans ce sens. C'est là que naissent les dynamiques. Si des joueurs comme Keyan Varela (19 ans), Tiemoko Ouattara (19 ans) et Loun Srdanovic (18 ans) ou Théo Magnin (21 ans) évoluent et progressent, nous aurons des arguments pour convaincre ces perles de rester». Thomas Häberli s'est immergé profondément dans le projet Servette, comme il y a peu en Estonie. Et il poursuivra son travail de persuasion la saison prochaine: «Oui, nous nous sommes mis d'accord sur ce point»
Équipe | J. | DB. | PT. | ||
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1 | FC Bâle | 34 | 44 | 64 | |
2 | Servette FC | 34 | 5 | 55 | |
3 | Young Boys | 34 | 6 | 53 | |
4 | FC Lugano | 34 | 3 | 52 | |
5 | FC Lucerne | 34 | 8 | 51 | |
6 | FC Lausanne-Sport | 34 | 9 | 50 |
Équipe | J. | DB. | PT. | ||
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1 | FC St-Gall | 33 | 3 | 47 | |
2 | FC Zurich | 34 | -5 | 47 | |
3 | FC Sion | 34 | -9 | 39 | |
4 | Grasshopper Club Zurich | 34 | -13 | 33 | |
5 | Yverdon Sport FC | 33 | -24 | 33 | |
6 | FC Winterthour | 34 | -27 | 33 |