Il y a six mois, Bo Henriksen est arrivé au chevet d’un champion de Suisse bien mal en point. Zurich n’avait obtenu aucune victoire en huit matches sous Franco Foda. Aujourd’hui, le FCZ (8e) a laissé Sion derrière lui et ne compte plus que six points de retard sur les places européennes.
Il n’y a pas que dans les résultats que le club zurichois a connu un renouveau. La jovialité et l’énergie du Danois de 48 ans tranche avec l’austérité de son prédécesseur autrichien. Bo Henriksen a un côté Ted Lasso, le coach et héros au grand coeur de la comédie à succès.
Un personnage atypique
Le Scandinave est un vrai personnage. Joueur, il n’avait pas hésité à signer aux Maldives pour une saison, préférant l’expérience d’une vie à une fiche de paie. Après des succès comme entraineur au pays, Bo Henriksen vit sa première expérience à l’étranger. Dans une région où il passait ses vacances enfant, en visite chez une tante exilée par amour.
Pendant une heure, le Danois s’est raconté et a dévoilé ses méthodes pour Blick. Sans jamais regarder sa montre. Une discussion animée et passionnante.
Vous aviez déjà une connexion avec la Suisse avant de signer au FCZ, non?
Ma tante danoise a marié un Suisse et vit à Neunforn, dans le canton de Thurgovie. Je venais en vacances enfant. On allait au Lac de Constance. J'adore la Suisse depuis des années. J'ai aussi des cousins qui ont grandi ici. C'est sympa d'avoir des proches dans le coin. Cela a peut-être joué un rôle dans ma décision parce que je voulais amener ma femme et mes enfants dans un environnement agréable. Du système de santé à la nature, tout est parfait en Suisse. C'est un peu comme le Danemark.
Depuis votre arrivée, le FC Zurich renaît. Quel est votre secret?
Quand je suis arrivé au FC Zurich, la première chose que j'ai demandé à l'équipe, c'est: «Comment je peux vous aider?» Il fallait les intégrer dans ce renouveau. Je suis un vendeur qui doit proposer un produit à ses joueurs tous les jours. Pour que ton groupe soit capable d'appliquer ta tactique, tu dois d'abord construire une culture commune et une confiance.
On vous résume souvent à l’image du «Happy Bo». Ça ne vous embête pas?
On m'a rabâché ça toute ma carrière. Aussi quand j'étais joueur. Cela fait partie de ma personnalité. Gagner avec des moyens financiers moins importants, c’est là que c’est intéressant. Tu dois être capable de sublimer ton équipe, d'être plus malin, de travailler mieux que les autres. C'est ce que j'ai toujours fait dans ma carrière et je ne crois pas que c'est une coïncidence. Même si je pense être bon dans le relationnel, la tactique est aussi très importante. Il y a 8 ou 9 ans, je bossais 12, 13 heures chaque jour sur cette notion. Plus je perdais, plus je me plongeais dans mes analyses. Mais j'avais perdu de vue le plus important: les joueurs et les gens.
Vous avez le contact facile.
J'ai eu la chance dans ma vie. Je pense avoir un don pour comprendre les gens, ressentir ce qu'ils pensent ou comment ils se sentent. C'est comme ça depuis l'enfance, dès que j'arrive dans une pièce. Je le faisais déjà enfant avec mes frères ou ma mère. Cela m'a beaucoup aidé, mais ça m'a aussi coûté cher dans le football. Surtout quand j'étais joueur. Je compatissais pour mes coéquipiers, alors que j'aurais dû être plus égoïste pour avancer dans ma carrière. Pour jouer, il faut être un type désagréable. C'est toi ou ton concurrent sur le terrain.
Le football, c'est un milieu difficile, dirigé par l'argent. Comment est-ce que vous arrivez encore à y évoluer malgré ce caractère?
Je ne suis pas aveugle. Je sais comment ce monde marche. Je suis devenu entraîneur pour démontrer, avant tout à moi-même, que si tu traites bien les gens, tu peux gagner. Le monde du football s'améliore. Il y a 20 ans, quand j'étais joueur, c'était un milieu très dur. Quand on me demandait de sauter, je sautais. Aujourd'hui, les jeunes demandent pourquoi. C'est très bien, mais tu dois être prêt à leur apporter des réponses.
Dans un interview au «Temps», l’entraîneur danois Flemming Pedersen disait qu’il vaut mieux une tactique moyenne bien comprise par les joueurs, qu’un schéma tactique génial, mais qui les dépasse.
C'est exactement ça. Ils doivent être capables de croire en moi, en mon projet de jeu. Sinon, c'est foutu. Je dois réussir à leur transmettre mes idées. Au début de ma carrière, j'avais un joueur clé qui évoluait au milieu du terrain, en numéro 6. On échangeait beaucoup et c'était l'un de mes relais dans le groupe. Une fois, on a fait un exercice. Je lui ai demandé d'écrire deux pages sur ce que j'attendais de lui, sur la façon dont il devait jouer. J'ai fait la même chose de mon côté. On a comparé nos textes à la fin et ça n'avait rien à voir. Cela faisait trois ans que je l'entraînais. J'ai compris que je devais changer ma manière de transmettre mes idées. C'est la clé. Tu as 25 personnes et toutes doivent être sur la même page.
Comme dans une classe d’enfants?
Tout à fait. Pour certains, il suffira d'entendre les consignes, d'autres devront les voir à la vidéo et un dernier groupe aura besoin de l'expérimenter sur le terrain à l'entraînement. Tu dois être clair, mais aussi montré que tu croies en eux, que tu les aimes.
Comment est-ce que vous gérez la situation de joueurs qui sont frustrés par le temps de jeu, comme Mirlind Kryeziu par exemple à Zurich?
On y revient. Il faut de la clarté et de la franchise. Comme n'importe quel individu, il attend qu'on lui dise la vérité. Tu dois le dire si d'autres sont meilleurs dans certains secteurs du jeu, et lui montrer comment il peut s'améliorer.
Ça ne doit pas être simple à entendre pour un joueur?
Non, mais tu dois être honnête. J'essaie d'être le plus humain et le plus compréhensible possible. Si tu commences à lui dire des conneries, tu le perds. La confiance est essentielle dans n'importe quelle relation humaine. Dans votre couple aussi. Tu dois être constant et transparent. Je m'en fous si quelqu'un est introverti, ou au contraire très extraverti, tant qu'il est lui-même. C'est là qu'il pourra exceller.
Vous citez souvent l'enfance en exemple. Pourquoi?
Si tu demandes à un junior ce qu'il veut devenir dans la vie, il va te répondre Messi ou Cristiano Ronaldo. A 12 ans, ils n'ont pas peur de rêver grand. Ensuite, les adultes lui enlèveront ces rêves. C'est fou. Parce qu'on veut éviter aux enfants qu’ils soient déçus s'ils n'atteignent pas leurs objectifs démesurés. Je n’aime pas la moyenne et les ambitions tièdes. En tant qu'entraîneur, j'ai une deuxième chance de faire une tout autre carrière. Joueur, j'étais moyen. Je n'osais pas dire que je voulais être le meilleur. Aujourd'hui, je veux plus. Si ça ne marche pas, je m'en fous. Je n'aurai aucun regret. Je veux transmettre aux joueurs cette capacité de croire en eux-mêmes. Peu importe ce que disent les autres. Je crois que c'est pour ça que mes équipes ont bien performé jusque-là.
En Suisse, on n’aime pas trop les gens qui sortent du lot.
C'est la même chose au Danemark. On a même la loi de Jante (ndlr: un code de conduite invité par l'écrivain Aksel Sandemose). Tu ne dois surtout pas croire que tu es meilleur que les autres. C'est nul. On devrait tous pouvoir être soi-même, la meilleure version de soi-même.
Est-ce que vous lisez aussi des travaux académiques sur les méthodes d'apprentissage et la manière de communiquer?
Oui, c’est passionnant de creuser des détails. Au Danemark, j'ai été contacté par un professeur en communication de l'Université d'Aarhus. On a échangé longuement. Il était spécialisé dans l'enseignement auprès de personnes qui ont des déficits d'apprentissage. Comment est-ce que tu peux déconstruire des messages pour les rendre rapidement compréhensibles. Ses recherches académiques correspondaient parfaitement à ma manière de travailler dans un vestiaire. On échange encore régulièrement. On voulait sortir un livre ensemble, mais ensuite, j'ai signé au FC Zurich.
A Leeds, Marcelo Bielsa avait exigé de ses joueurs qu'ils ramassent des déchets pour comprendre la valeur d'un billet de match pour les classes populaires. Vous avez aussi des initiatives du genre?
Je n'ai pas encore eu le temps de faire ce genre de choses à Zurich, parce que cela nécessite d'avoir une compréhension de l'environnement au-delà du football, des enjeux de société. J'ai commencé ma carrière d'entraîneur à Brønshøj. C'est de loin le quartier le plus difficile de Copenhague. Un ghetto même. Trois fois par semaine, on allait dans les écoles pour entraîner des enfants et leur donner des cours de gym. Les joueurs se relayaient. Beaucoup d’élèves venaient de l'étranger et faisaient face à un fort échec scolaire. Ils n'étaient que quelques-uns au début, puis une vingtaine à la fin. Ils étaient à fond et voyaient qu'ils comptaient. Pour l'équipe, cela leur a aussi permis de comprendre que le club appartient à une communauté, à quelque chose de plus grand que nous.
Vous voulez développer le citoyen autant que le joueur?
Exactement. Mon but, c'est de faire de mes joueurs des meilleurs êtres humains. Ce genre d'expériences leur permet d'apporter un peu de sagesse, de les sortir de leur bulle. Dans le football, nous sommes des privilégiés. Ce privilège vient aussi avec des responsabilités. Tu peux faire une grosse différence dans la société. Si j'ai pu changer l’existence d'une ou deux personnes, alors c'est tout ce qui compte.
Plus que les résultats sportifs?
A 100%. Au final, ce n’est pas grâce aux victoires ou aux trophées que tu as réussi ta vie. L'un de mes meilleurs souvenirs en tant qu'entraîneur, c'est l'échange que j'ai eu avec un enfant de 10 ans qui était persuadé qu'il était mauvais. Je lui ai fait comprendre que ce n'était pas grave de se tromper, qu'il fallait faire de son mieux et s'amuser. Il a fondu en larmes, puis il a réussi à jouer sans se mettre de pression, à prendre du plaisir.
Quelle est votre relation avec les datas et les statistiques?
Tout ce que je fais dans la vie est relié à l'utilisation des datas. Cela a toujours été le cas de manière inconsciente quand j'étais joueur, pour combler mon manque de vitesse et de puissance. Je suis aussi bon aux cartes ou au backgammon, où les maths sont importantes.
Comment les utilisez-vous dans votre travail?
C'est une science prédictive que j'adore. J'analyse aussi bien mon équipe que les adversaires. On identifie des indicateurs clés de performance. A Midtjylland, j'avais trois membres du staff spécialisés dans ce domaine. Nous travaillions avec le système d’analyse de données «Smartodds». Combien de temps nous faut-il pour récupérer le ballon? Combien de possessions pour marquer un goal? Il y a plein de réponses intéressantes. Par exemple, si tu attends plus que sept secondes pour faire une touche, tu as 80% de chance en plus de perdre le ballon. Tous ces éléments mis bout-à-bout influencent mes schémas tactiques. Cela te donne des chances fantastiques d'arriver à construire le bon plan de match. Je ne dis pas tout à mes joueurs bien sûr. Je leur donne juste quelques conseils.
En NBA, les statistiques avancées ont changé le jeu avec beaucoup plus de tirs à trois points par exemple. Est-ce que vous voyez la même évolution dans le football?
Non, le football est plus complexe. Il y a plus de joueurs, un terrain plus grand. Mais, cela peut changer des choses. Statistiquement, il est conseillé de continuer à attaquer quand on mène. Mais l'esprit humain aura naturellement tendance à reculer et se protéger. Les datas nous donnent des éléments tangibles pour changer ces comportements. Autre exemple, il est presque impossible de marquer depuis l'extérieur de la surface. C'est mathématiquement stupide de tirer de loin. Tu vas donc autoriser seulement que quelques joueurs particuliers à prendre leur chance.
Quel est votre connexion avec la ville de Zurich?
Au début, j'habitais au centre-ville. C'était fantastique de pouvoir ressentir le pouls de Zurich. C'est une ville géniale. Les Canepa et certains joueurs m'ont aussi sorti pour manger. Même si on avait peu de temps parce qu'on devait tout le temps voyager au début.
Vous n'habitez plus au centre?
Non, je suis à la campagne maintenant, à Cham. Ma femme et nos enfants m’ont rejoint. Elle a fait une pause dans sa carrière, mais elle va bientôt reprendre du service en Suisse. On travaille dans le même domaine… puisqu'elle est spécialiste en Ressources humaines.