Comme durant sa carrière de joueur, Robert Pirès a animé le mercato. Le Français est passé de la chaîne payante Canal + à M6 au début de l’année. «Il n’y a pas eu de transfert», précise en riant le vainqueur de la Coupe du monde 1998 en arrivant à son hôtel de Londres. «Je travaille comme expert pour les deux chaînes. Vous ne pouviez pas faire ça dans le football…». Robert Pirès est très demandé. Ses analyses, toujours claires, tranchantes et sans arrogance, sont très recherchées. Jean-Marc Ferreri, champion d’Europe en 1984, a dû lui céder la place sur M6.
Jusqu'à présent, Robert Pirès savoure ce début Euro, qui l’emmène d’abord à Wembley puis directement à Séville. «Les équipes s’engagent à jouer vers l’avant, à marquer des buts. L’Italie et l’Allemagne sont devenues les co-favorites de ce tourbillon.» Et qu’en est-il de la France? «Vous savez où je nous place: parmi les grands favoris.» Bien sûr. Mais ne devrions-nous pas faire un pas de plus et dire: en fait, la France ne peut pas être battue avec cette équipe incroyable?
Surtout pas par la Suisse. La dernière victoire des Helvètes remonte à 1992, alors que nos voisins utilisaient encore le franc français. L’équipe Tricolore n’a pas perdu contre les joueurs à la croix blanche depuis sept matches. En quatre rencontres, les Suisses n’ont jamais gagné en phase finale. La France n’a perdu qu’un seul de ses 17 derniers matches lors des matches à élimination directe: la finale de l’Euro 2016 contre le Portugal. Les champions du monde sont invaincus en match officiel depuis plus de deux ans.
Beaucoup de statistiques et un peu d’arrogance
«Pff… Je respecte tous les adversaires, affirme Robert Pirès. Et vous devez apporter ce respect sur le terrain. Même envers la Suisse.» Et pourtant. La France, championne du monde, joue (à nouveau) avec l’un des cinq meilleurs attaquants du monde. Elle était devenue championne du monde sans un seul but de son arme offensive principale Olivier Giroud, et même sans un seul tir cadré de sa part. C’est d’un autre niveau. «Nous savons de quoi Karim Benzema est capable, déclare Robert Pirès. Les deux buts contre le Portugal sont arrivés au bon moment. Dans les matches à élimination directe, nous aurons besoin de lui.»
Robert Pirès prévient toutefois: la France ne peut que se battre elle-même. Le danger de prendre un adversaire moins au sérieux est donc latent. Personne ne le sait mieux qu’un ancien joueur de classe mondiale. Est-ce que ce sera aussi le cas de Lloris et de ses coéquipiers? «Oui. Et savez-vous pourquoi je peux dire ça si directement? Parce que je sais pertinemment que Deschamps va chasser cette pensée de la tête des joueurs. Car il serait extrêmement dangereux de sous-estimer la Suisse», déclare l’ancienne gloire d’Arsenal. Et de poursuivre: «C’est une équipe très structurée, athlétique et très solide en défense grâce à Akanji. Et à l’avant? A l’avant, attention! La Suisse est capable d’inquiéter la France. J’espère que non, bien sûr. Mais ils ont ce qu’il faut.»
A cause de Shaqiri? «Aussi. Mais surtout à cause de Breel Embolo et de sa vitesse. Je l’aime beaucoup», note le champion du monde 1998. La Suisse fait partie de ces équipes qui veulent prendre les choses en main, qui veulent jouer, ce que Robert Pirès apprécie tant. Contre les Bleus, est-ce que cela ne serait pas inconsidéré? «La force de la France, c'est l’attaque et le rythme mis dans le jeu par l'équipe. Cela peut donc être très dangereux. C’est là que la Suisse devra s’adapter un peu», se projette l’ancien Bleu. Comme contre l’Italie, lorsque tout cela est parti en fumée? «C’est peut-être pour cela que Petkovic se dit: on va jouer comme on le fait toujours, parce qu’on a un trio devant qui peut faire mal aux Français. Si nous ne jouons pas offensivement, ces trois-là ne pourront pas s’imposer. Mais ce ne serait pas inconsidéré. Si la Suisse veut jouer comme ça et joue comme ça, c’est parce qu’elle le peut et parce que c’est sa force. L’important, c’est l’équilibre. C’est là que tout se jouera entre Xhaka et Freuler. Le milieu de terrain central sera crucial.»
La rencontre est une chose, la plus importante. Et puis, il y a des discussions plus éloignées du terrain: les polémiques autour de voitures de luxe, des tatouages et des coiffures. Personne ne sait mieux que le Français que ces débats ne sont pas forcément un frein à de bonnes performances sportives. En 2006, les Bleus avaient atteint la finale de la Coupe du monde, malgré des affaires à répétition. «C’est très simple, explique Pirès. Tant que tu gagnes, rien de tout cela n’a d’importance. Cela ne devient un problème que lorsque vous perdez.» Et lorsque vous gagnez à nouveau, comme la Suisse l’a fait contre la Turquie, les joueurs ont célébré en mettant un doigt devant leur bouche. «Bien sûr. Mais vous vous appréciez vraiment les uns les autres, les footballeurs d’un côté, la presse et le public de l’autre. Qui aime bien châtie bien.»
«Je suis désolé pour mes amis suisses…»
Néanmoins, pour Robert Pirès, une chose est claire: «Si c’est dommageable pour le groupe, quelque chose comme ça ne doit pas arriver pendant le tournoi. Deschamps n’aurait jamais autorisé la visite d'un coiffeur à cause de la bulle sanitaire. Laissez-moi vous donner un exemple: j’ai demandé à mon vieux copain Olivier Giroud si je pouvais passer à l’hôtel quand l’équipe était à Munich. Il m’a répondu par la négative car personne n’est autorisé à entrer.»
Un autre avantage que la France a sur ses concurrents, c'est que Deschamps n’a pas eu besoin d’une période de rodage pour cristalliser son XI de base. Le sélectionneur l’avait déjà trouvé avant même le début de l’Euro: Lloris; Pavard, Varane, Kimpembe, Hernandez; Rabiot, Kanté, Pogba; Griezmann, Benzema, Mbappé. «Normalement, ces onze-là auraient dû se présenter face à la Suisse, développe Robert Pirès. Didier a toujours eu une hiérarchie claire dans l’équipe. Il s’y tient.» Mais les blessures donnent des maux de tête à Deschamps. D’autant plus que les deux latéraux gauches, Hernandez et Digne, ne pourront pas jouer contre la Nati. Il devra leur trouver un remplaçant. Ou changer de système et opter pour une défense à trois.
Et le pronostic du champion du monde 1998 pour conclure? «2-1 pour la France. La tâche s’annonce difficile, notamment parce que Yann Sommer (qui battra un record de sélection lors de ce match) est un excellent gardien dans les cages. Mais vous serez éliminés en huitièmes de finale. Je suis désolé pour mes amis suisses…»