Les souvenirs de François Moubandje
«Le moment le plus émouvant, c'est quand je signe pro»

De sa petite enfance au Cameroun jusqu'à l'équipe de Suisse et des belles expériences de vie à Genève, Toulouse, Zagreb et en Turquie: le désormais retraité du football François Moubandje retrace les moments forts d'une carrière bien menée.
Publié: 20.05.2025 à 19:19 heures
|
Dernière mise à jour: 20.05.2025 à 19:24 heures
L'heure est venue pour François Moubandje de saluer le public.
Photo: TOTO MARTI
Blick_Tim_Guillemin.png
Tim GuilleminResponsable du pôle Sport

Invité à citer l'adversaire le plus fort qu'il a affronté au cours de sa carrière, François Moubandje n'hésite pas. «Bernardo Silva, quand il était à Monaco et moi à Toulouse. Un monstre de technique. C'était tellement difficile de défendre contre lui. Bon, je dois dire que j'ai toujours fait des bons matches face à lui. Mais je voyais les autres souffrir», rigole le Genevois, qui vient de mettre un terme à un très beau voyage, qui l'a amené enfant du Cameroun à Genève, puis, grâce au football, à Toulouse, Zagreb et en Turquie, mais aussi à travers le monde par l'intermédiaire de l'équipe de Suisse et ses 21 sélections.

Le football, ce formidable réseau social

François Moubandje a donc dit stop, à 34 ans, afin de consacrer plus de temps à sa famille. «Ils m'ont accompagné et soutenu durant toutes ces années. Maintenant, c'est à mon tour d'être là pour eux», dit-il joliment, lui qui assure garder de belles amitiés dans le monde du football. Spontanément, il cite Gelson Fernandes, Breel Embolo, Johan Djourou, Philippe Senderos... «Mais il y en a beaucoup d'autres. Le football m'a tellement offert.» Les noms s'égrènent au fil de la discussion, dont celui d'Oscar Trejo, l'Argentin du TFC, «l'un des meilleurs techniciens avec qui j'ai joué», ou de Xherdan Shaqiri, «aussi fort sur le terrain que sympa en dehors, un gars top, vraiment».

Photo: Sven Thomann|Blicksport

Alors voilà, à 34 ans, c'est fini, et bien fini. La page est tournée, le livre est fermé. «J'avais sans doute encore un peu à donner, mais je n'ai pas de regret. J'ai toujours mis le football en priorité 1, j'ai eu cette chance. Le temps est venu de voir autre chose.» Et, donc, de se retourner un peu sur ce beau et long voyage, débuté au Cameroun, un pays qu'il a quitté pour la Suisse à l'âge de 7 ans.

Son meilleur moment: quand il a signé pro

Avec certains joueurs, parler de leur carrière est un chemin de croix pour ce qui est des souvenirs. Pas avec François Moubandje. Le désormais retraité se rappelle de tout, a des souvenirs très précis de chaque étape. Et notamment du moment le plus fort de sa carrière, qu'il cite en tout premier: la signature de son premier contrat pro avec Servette.

«Oui, c'est vraiment l'instant le plus émouvant, celui qui revient en premier. Ma plus grande fierté. Quand j'arrive à Genève gamin, je ne rêve pas de la Champions League ou de l'équipe de Suisse. Je veux être footballeur professionnel. Alors, quand j'ai le stylo dans la main et que je signe avec Servette, c'est ce flash-là qui me revient en premier», explique-t-il. D'autant plus que rien n'a été facile, y compris avec le club grenat.

Photo: TOTO MARTI

Après ses débuts à Saint-Jean, le SFC le repère et le fait signer, malgré l'intérêt... de plusieurs clubs italiens, dont l'Inter! «En fait, on était allés jouer un tournoi en Italie avec Saint-Jean. J'avais été bon et l'Inter avait trouvé mon numéro et appelé chez moi. Ma mère, qui ne connaît rien au football, a répondu et entendu un homme qui lui parlait de football, de centre de formation en Italie... Elle n'y comprenait rien, elle a raccroché et ne m'a rien dit! Ce n'est que bien plus tard que j'ai appris cette histoire», rigole-t-il.

Servette le fait partir à 15 ans, le reprend à 20

Il débute donc à Servette dans les équipes juniors élite, mais la porte se referme en 2005, jugé insuffisant et trop petit. «Je n'en veux à personne. J'ai eu une croissance tardive, Servette m'a dit stop. Mais pour moi, ce n'était pas fini. Pas du tout même! J'en voyais autour de moi qui se morfondaient, qui pensaient que leur carrière était terminée. Mais pas moi! J'avais 15 ans, tout l'avenir devant moi. Je me suis tout de suite dit que j'allais y arriver autrement.» Il rebondit à Meyrin, intègre la 1re ligue, casse tout... et revient à Servette. «J'étais parti par la petite porte cinq ans plus tôt, je revenais par la grande en 2010.»

Joao Alves avait tout compris

L'homme qui a flairé le bon coup s'appelle Joao Alves. «J'étais ailier, gauche ou droit. Il m'a dit qu'il me verrait plutôt jouer derrière. J'étais un peu surpris, mais...» Mais il apprend que le Portugais a travaillé à Benfica et y a découvert de très nombreux talents. Alors, le jeune Moubandje écoute le vieux sage Alves.

«J'avoue que je ne le croyais pas au début. Il me disait que j'avais un coup à jouer, que je pouvais être dans le top 2 des latéraux de l'équipe de Suisse. Je me disais qu'il abusait... Mais il avait raison. Je l'ai revu bien plus tard, lors d'un Euro. Il était consultant pour une chaîne de télévision portugaise. Je lui ai dit merci. Sans lui, je ne serais pas là.»

Breel Embolo, Francois Moubandje et Johan Djourou en 2015 en Estonie.
Photo: KEYSTONE

Le Genevois, alors replacé latéral gauche, cartonne avec Servette, attirant l'attention de plusieurs clubs européens. «Servette, c'était le club de ma ville, ma fierté. J'ai adoré jouer pour ces supporters. Mais j'aurais aimé que le club soit plus structuré... On avait une super équipe. Si on avait eu le club qui suivait derrière, comme il l'est aujourd'hui, on aurait pu nous aussi jouer l'Europe. Partir était la bonne décision pour grandir, je n'ai pas de regret.» Parmi toutes les possibilités, il choisit Toulouse.

«La facilité aurait été de quitter Toulouse après une année»

Et là, mauvaise surprise, il ne joue pas pendant toute une saison! «L'entraîneur, Alain Casanova, m'aimait bien. Mais il m'a prévenu tout de suite: 'La Suisse, c'est pas la France!'. Il m'a dit qu'il n'allait pas me faire de cadeaux. Mais ça tombe bien, je n'en attendais pas! Mais c'est vrai que j'ai vraiment galéré durant la première saison.» Il aperçoit à peine la couleur de l'herbe, mais, fidèle à son caractère, ne se décourage pas. «La facilité, ça aurait été de partir. Mais j'avais signé pour quatre ans, je ne voulais pas partir sur un échec et j'ai préféré me battre. Pendant l'été, je suis parti aux Etats-Unis et j'ai bossé physiquement, notamment avec William Niederhauser. J'ai aussi beaucoup échangé avec Patrick Müller, je lui ai posé des questions sur la France, sur ce que je devais faire pour réussir. Ses conseils ont été d'une grande aide pour moi.»

Face à Kylian Mbappé et Monaco en 2016.
Photo: AFP

En France, le niveau change, le rythme aussi, mais après sa préparation estivale personnelle, le nouveau François Moubandje est prêt. «J'étais devenu une machine. Le fait que Patrick Müller me dise que j'avais toutes les qualités pour réussir, ça m'a fait du bien. J'ai travaillé sans relâche. En fait, ma mentalité à ce moment-là, c'était de ne pas laisser le choix à l'entraîneur. Je voulais être tellement fort que ça devienne une évidence pour lui de me mettre titulaire.» Le pari réussit: la deuxième saison de François Moubandje à Toulouse est excellente et il ne sort plus de l'équipe. Au total, il dispute 147 matches pour le TFC.

Le Dinamo Zagreb, ce très grand club

Le prochain palier s'appelle Dinamo Zagreb, où il veut briller en Europe. «Le choix, je ne le regrette pas. Le Dinamo est un club immense, très bien structuré, avec un centre de formation de haut niveau. C'est le PSG des Balkans! Il n'y a qu'à voir la liste des joueurs qui sortent de son académie. Je ne m'y suis pas imposé, pour diverses raisons, notamment des blessures. Je venais à Zagreb pour jouer la Champions League. J'avais d'autres possibilités, comme l'Atletico Madrid ou la Real Sociedad, mais qui tardait à vendre Theo Hernandez... Ca traînait un peu, j'ai choisi le Dinamo.» Suivront des prêts enrichissants en Turquie, à Alanya et Göztepe, où il prend énormément de plaisir et engrange de l'expérience de vie. «J'ai aimé partout où je suis passé. Même si Zagreb a été compliqué sportivement, j'en garde un bon souvenir, j'ai énormément appris.»

L'aventure au Dinamo Zagreb, ici en Islande lors d'un match de qualification à la Champions League en 2021.
Photo: DUKAS

Son retour en Suisse, à Sion, n'est pas concluant, et c'est donc là qu'il choisit d'arrêter sa carrière et son joli tour d'Europe, ponctué de rencontres et d'amour pour le jeu. Et, bien sûr, en parallèle de ce périple, au coeur même de tout, se trouve la Nati.

L'inoubliable appel de Vladimir Petkovic

L'équipe de Suisse, justement, il la découvre grâce à ses bonnes performances à Toulouse. «J'avais déjà porté le maillot des M21, je n'arrivais pas en territoire inconnu, mais c'est vrai que quand Vladimir Petkovic m'a appelé, c'était une émotion très forte. L'équipe de Suisse, c'est le Graal, vraiment! Je me rappelle, je ne l'ai pas reconnu tout de suite, je n'y croyais pas au début. Mais il a été top, il a insisté un peu (rires). Il a fait l'effort de parler en français, une langue qu'il maîtrisait mal, et on s'est compris. Il m'a dit qu'il me voulait dans l'équipe pour mettre un peu de concurrence à Ricardo Rodriguez. Bon, dix ans plus tard, j'ai arrêté le foot et Ritchie est toujours titulaire!», rigole le Genevois, qui atteindra le joli total de 21 sélections, la première ayant eu lieu en novembre 2014 contre la Lituanie (4-0).

Photo: TOTO MARTI

«J'aurais pu apporter plus, sans doute, mais il y avait un sacré client à ma place. Je n'ai aucun regret. J'ai fait mon chemin et j'en suis fier. J'ai joué trois grandes compétitions, l'Euro 2016, la Coupe du monde 2018 et la Ligue des Nations, à chaque fois comme remplaçant, mais j'étais là. J'ai passé de très bons moments avec la Nati.» Aurait-il pu choisir le Cameroun, le pays où il est né? A-t-il hésité, d'ailleurs? «Quand j'étais gamin, mes modèles étaient Roger Milla, Samuel Eto'o... Les Lions indomptables, c'est quelque chose! Mais le choix était évident pour moi. Le football, je l'ai appris en Suisse. Je retournais régulièrement au Cameroun pour les vacances, mais la Suisse m'a appelé et je n'ai pas hésité un seul moment», assure-t-il.

Une académie qui porte son nom au Cameroun

La suite du chemin est déjà tracée pour le désormais retraité du football, dont une académie porte déjà le nom, à Douala, au Cameroun. La «Moubandje Academy» accueille des jeunes au quotidien et leur apprend le dur, mais beau, métier de footballeur.

«Cette académie existe depuis trois ans, mais elle porte mon nom depuis cet hiver. Je m'implique beaucoup, c'est un projet qui me tient à coeur.» Il s'apprêt également à en lancer une à Toulouse, mais dans un format un peu différent. «Là, ce sera uniquement pour les vacances, ce seront des stages», précise-t-il, indiquant, pourquoi pas, vouloir étendre son concept à Genève et ailleurs en Suisse romande.

«On cherche le bon lieu, on n'est pas pressés, mais c'est un projet qui me tient à coeur. J'ai envie de montrer aux jeunes qu'il y a plein de possibilités dans le monde du foot. Oui, on peut devenir joueur, j'en suis un exemple vivant. Mais il y a plein de possibilités au tour: physio, entraîneur, un job dans la communication... François Moubandje a trouvé sa voie tout seul, et c'est fort de son expérience qu'il veut aider la génération suivante à construire son chemin. Généreux et altruiste, sur le terrain comme dans la vie.

Vous avez trouvé une erreur? Signalez-la