Les confidences du buteur
Kwadwo Duah et les émotions de l'Euro: «Le plus grand moment de ma carrière»

C'est à Razgrad, au nord-est de la Bulgarie, que Blick rencontre Kwadwo Duah en ce jeudi matin. Le héros inattendu de l'Euro 2024 raconte ses souvenirs de cet été enchanté en Allemagne et explique pourquoi il veut franchir le prochain pas dans sa carrière cet été.
Publié: 11:45 heures
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Dernière mise à jour: 12:51 heures
Photo: TOTO MARTI
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Tim GuilleminResponsable du pôle Sport

Kwadwo Duah reçoit Blick à Razgrad, dans la tribune du centre d'entraînement de Ludogorets, à quelques centaines de mètres à l'extérieur de la ville. «On a tout ce qu'il faut ici», explique le Bernois de 28 ans en désignant la dizaine de terrains qui s'étendent devant nous. Une grande salle de musculation et de fitness est à disposition juste à côté de la cafétéria ouverte au public, qui fait aussi office de fan shop. Le propriétaire de Ludogorets, le puissant homme d'affaires Kiril Domuschiev, met les moyens pour faire de son club le plus riche de Bulgarie, et largement. Les résultats sur la scène nationale sont au rendez-vous, puisque les Aigles viennent de remporter leur quatorzième titre de champion consécutif, avec un but de Kwadwo Duah lors du match du titre, bien sûr. Mais en Europe, tout est plus compliqué, puisque la dernière participation à la phase de groupes de la Champions League a eu lieu en 2016. Depuis, Ludogorets est un habitué de l'Europa League et de la Conference League, ce qui est en dessous des attentes, mais conforme à la réalité.

La veille, au nord de la ville, Ludogorets a facilement battu le Botev Vratsa en demi-finales retour de la Coupe (2-0) avec notamment un but d'Antoine Baroan, arrivé cet hiver de Winterthour. Peu d'ambiance au stade, peu de monde aussi: la domination de Ludogorets lasse même ses propres supporters, qui ne se déplacent plus que pour les grandes affiches ou les matches européens. Le titre a facilement été remporté, avec quinze points d’avance sur le Levski Sofia, alors même que le championnat n’est pas encore terminé. La finale de la Coupe face au CSKA Sofia sera donc le seul moment fort de la fin de saison

Et Kwadwo Duah dans tout ça? Arrivé à l'été 2023 à Razgrad, où il vit près du stade avec sa compagne, l'attaquant suisse a enquillé les buts (25 en 72 matches), marqué les esprits sur la scène européenne, et gagné sa première sélection avec la Nati, où il a été l'un des héros inattendus de l'Euro 2024 avec ce but inoubliable face à la Hongrie, le premier de la compétition pour la Suisse. Interview avec le buteur bernois de Ludogorets, sous le soleil matinal de Razgrad, à l'heure du café, juste avant l'entraînement de lendemain de victoire.

Kwadwo, on a vu Ludogorets s'imposer encore facilement hier soir...
Oui, la finale de la Coupe est assurée, une avance confortable en championnat... Nous avons tout sous contrôle, disons-le ainsi. Mais la saison n'a pas été si facile.

Elle n'est pas terminée, surtout. Vous êtes la meilleure équipe de Bulgarie, et de loin, mais le CSKA en finale, ce ne sera pas forcément simple, sur un seul match.
Les matches contre eux sont toujours très chauds, très intenses, et ils donnent toujours tout pour nous battre. Même s'ils ne sont pas bien classés en championnat cette saison, on sait qu'il faudra être bons pour les battre ce jour-là, c'est clair.

Surtout que l'an dernier, vous avez perdu à la surprise générale contre le Botev Plovdiv en finale... Mais tu avais marqué, quand même.
Oui. Je n'ai encore jamais remporté de Coupe nationale, d'ailleurs. C'est un objectif pour le club et pour moi.

Bon, assez parlé des compétitions nationales: Ludogorets vit par et pour l'Europe. Cette saison, vous avez passé trois tours en Champions League, mais perdu contre Qarabag. Finalement, direction la phase de poules de l'Europa League, mais avec une 33e place sur 36. J'imagine que les dirigeants étaient déçus... Comment se manifeste leur pression?
Ici, l'objectif c'est toujours d'aller en Champions League. C'est clair, c'est défini, c'est comme ça chaque saison. On était déçus de jouer l'Europa League, c'est sûr, mais on l'a accepté et on voulait faire de notre mieux. On était encore plus déçus de la manière dont on y a joué, je t'assure. Et si tu n'es pas performant ici, tu le remarques vite. Oui, les dirigeants étaient mécontents, mais ce n'est pas négatif, au contraire. Ils te le disent en face, tu sais à quoi t'en tenir. Tu sens la pression venir de l'intérieur du club, ce qui est normal. Dans ce club, être champion chaque année ne suffit pas, c'est le passage obligé, on va dire.

La campagne d'Europa League, ici face à Ludogorets, n'a pas été de bonne qualité.
Photo: AFP

Il y a de super joueurs ici, on l'a encore vu hier soir. Jakub Piotrowski, Caio Vidal, Aguibou Kamara... Il y a du lourd sur le terrain. Mais on sent un esprit d'équipe qui pourrait être amélioré. Est-ce difficile de créer un collectif?
Ce n'est pas facile, parce que nous venons tous d'horizons différents. Mais attention, on s'entend bien, on peut vraiment le dire. Ce qui est plus difficile, pour te répondre clairement, ce n'est pas de trouver le bon état d'esprit, mais d'avoir une continuité. Nous changeons beaucoup d'entraîneur, que ça aille bien ou non, tu sais qu'il va partir à un moment ou à un autre. C'est plus difficile d'avoir une ligne directrice claire, que chacun connaisse vraiment son rôle et ce qu'il doit faire. C'est pour cette raison que chaque année représente un nouveau départ pour nous, en quelque sorte. Nous devons recréer une unité et on le voit parfois sur le terrain.

En ce qui te concerne, tu marques des buts, tes statistiques sont bonnes, tu joues l'Europe. Tu marques même en Europe (5 buts). Si l'on regarde globalement, depuis ton arrivée, tu as de quoi être satisfait sur le plan personnel, non? Surtout, Ludogorets t'a permis d'être sélectionné avec la Nati, ce que tes performances avec Nürnberg, Saint-Gall et YB, les autres clubs où tu as beaucoup marqué, ne t'avaient pas permis de faire.
Oui, globalement, je suis satisfait sur le plan footballistique. Tu as raison, j'ai pu être appelé avec la Nati et y jouer quelques matches et j'en suis reconnaissant à tout le monde. Mais je ne m'en cache pas: de mon côté, je suis prêt à passer à l'étape suivante cet été, je veux découvrir quelque chose de nouveau. A la fin de la saison, je chercherai à en parler avec les responsables du club. On en a parlé l’été dernier déjà et tous les détails n’étaient pas réunis. Maintenant, j'espère que cet été, ce sera bon.

Le problème, c'est que Ludogorets veut jouer la Champions League à tout prix. Et que donc ils attendent la fin des qualifications pour laisser éventuellement partir les bons joueurs, dont toi. Et après c'est trop tard pour les clubs qui étaient intéressés... C'est ce qui t'est arrivé l'été dernier, après l'Euro, non?
Exactement. Il y a eu des intérêts l'été dernier, tu as raison, mais c'est justement en plein pendant la période décisive où tu joues les matches qui peuvent t'amener en Champions League. Mais cet été, tout le monde est averti: mon objectif est de bien jouer jusqu'à la fin de la saison, de tout donner, de gagner deux titres et ensuite de trouver une solution.

Photo: TOTO MARTI

Tu as été blessé en ce début d'année, mais maintenant tu es en pleine forme. Tu marques de nouveau, tu es bien, non?
Oui, maintenant tout va bien. J'ai eu des problèmes pendant tout le premier tour, qui n'ont jamais disparu. Je jouais, je marquais quelques buts, mais ça n'allait pas mieux. Mais il y avait une bonne raison: après l'Euro, je n'ai pas eu de vacances, j'ai dû reprendre tout de suite pour jouer ces fameux matches de qualification, qui sont vitaux ici. Le corps l'a certainement ressenti et j'ai eu de petits problèmes tout au long du premier tour et c'est aussi pour cela que je me suis blessé au début de l'année. La fracture de fatigue est dûe au fait que mon corps était surchargé, tout simplement. Maintenant, j'ai vraiment pris le temps de soigner cette blessure et maintenant je suis à 100% et cela se voit sur le terrain.

Tu as été la surprise de l'été dernier: déjà en étant convoqué par Murat Yakin, puis en étant titulaire contre la Hongrie lors du premier match. Et en plus, tu marques le 1-0! Cela s'appelle un été de rêve, non?
Oh oui, c'était vraiment un bel été. Avoir pu le vivre, c'est... comment te dire? Oui, un rêve d'été, tu peux le dire. J'ai toujours voulu jouer avec la Nati. Toujours. Je voulais avoir une chance, un jour, j'en rêvais. Alors, quand je l'ai eue, je me suis dit: «Ne la laisse pas filer. Saisis-la à fond». C'était mon désir le plus grand. Et le fait que ça ait si bien marché pour moi, c'était mieux que n'importe quelle sensation. On aurait pu penser que c'était difficile à mon âge, mais je n'ai jamais lâché. Tous les efforts payaient enfin.

Est-ce que tu peux me décrire ton ressenti quand tu marques ce 1-0 contre la Hongrie? J'étais dans la tribune et mon premier réflexe, c'était de regarder le juge de ligne pour le hors-jeu. Et toi?
J'étais convaincu qu'il n'y avait pas hors-jeu, je t'assure! J'étais conscient de ma position, je savais que le but était valable, mais le petit moment d'incertitude était un peu dur à vivre, oui (rires). Mais quand le but a été confirmé, j'ai vécu l'un des plus grands moments de ma carrière, sinon le plus grand. L'explosion de joie des fans, marquer le 1-0 pour la Suisse à l'Euro... En tant que footballeur, tu travailles pour ces succès et quand ils se réalisent, tu as le droit d'en être fier. Donc oui, dans ma carrière, jusqu'à aujourd'hui, c'est probablement le plus grand moment.

Le 1-0 contre la Hongrie, un moment inoubliable.
Photo: keystone-sda.ch

As-tu reçu des nouvelles de Murat Yakin depuis l'Euro? Tu as encore été appelé en septembre, mais plus depuis.
Non, pas jusqu'à présent. Mais il n'avait aucune raison de m'appeler. J'ai eu une année difficile, avec ces petites blessures, puis la grosse. Je n'étais pas en forme. Maintenant, je suis de retour et je me remets à jouer et à marquer. Je n'ai plus de douleurs, ce qui est différent de l'après-Euro. Maintenant, c'est clair: j'espère bien finir la saison, faire de bonnes performances et être à nouveau un sujet de discussion pour l'équipe nationale.

En juin aura lieu la tournée américaine de la Nati. Tu serais prêt à partir plus tard en vacances encore une fois, non?
Oui, bien sûr, si tout se passe bien. Je ne revendique bien sûr rien. J'ai retrouvé la forme et maintenant, je veux montrer par mes performances que l'on peut compter sur moi. Ensuite, nous verrons bien.

Tu as parlé avant de la prochaine étape à franchir pour toi. Ludogorets a certes déçu cette saison, mais reste une équipe de niveau Europa League. Quelle pourrait être la prochaine étape pour toi? Un grand championnat? Une top équipe d'un championnat intermédiaire? La Suisse, peut-être?
Je suis ouvert à tout. Déjà, j'ai deux ans de contrat encore et il faudra trouver une solution avec Ludogorets, mais je suis confiant et, de nouveau, tout le monde au club est averti qu'il s'agit de mon désir. L'été dernier, j'ai eu quelques offres intéressantes de l'étranger. La Super League, pourquoi pas? Il faudrait que tout colle. Mais ce n'est pas encore l'heure d'y penser: je veux bien finir la saison avec Ludogorets, tout gagner et marquer des buts, c'est la priorité absolue.

Photo: keystone-sda.ch

Est-ce un rêve pour toi de jouer en Angleterre, le pays où tu es né? Même en Championship comme Isaac Schmidt ou Michael Frey, pourquoi pas?
Avant, c'était un rêve. Depuis, au fil de ma carrière, je me dis que ce serait bien d'y arriver, mais je sais aussi rester réaliste. La Premier League, aujourd'hui, me semble inaccessible, mais c'est vrai que le Championship pourrait être plus abordable. Mais bien sûr que si ça marchait un jour pour moi, ce serait vraiment top. Tu sais, je suis arrivé à un âge où je ne peux pas faire de plans sur dix ans. J'essaie de profiter du football et d'être le meilleur possible. Arrivera ce qui arrivera.

Es-tu un grand fan de football? Tu regardes tout?
Oh oui, beaucoup, surtout la Premier League et le football suisse. Je suis très au courant de ce qui se passe en Super League.

Penses-tu que le FC Bâle sera champion? Ou Servette et YB ont encore une chance?
Avec la forme actuelle, il est évident que si Bâle continue à jouer comme ça, avec un Shaq à ce niveau, alors le FCB sera champion. Mais j'espère bien sûr que ce sera YB! Il reste quelques matches, on verra bien.

Photo: TOTO MARTI

Nous avons parlé de la manière dont tu t'es développé côté football ici. Mais pour le reste? Voilà deux ans que tu es en Bulgarie, est-ce que la culture du pays t'intéresse? C'est une aventure tout de même bien différente de tes précédentes étapes. Tu comprends quelques mots, tu as pu visiter un peu le pays, même si Razgrad est un peu loin de tout?
Je dois être honnête: je m'intéresse à ce qui se passe autour de moi, mais c'est impossible de se rendre compte de tout ce qui se passe dans le pays. Nous nous entraînons tous les jours, nous passons énormément de temps les uns avec les autres, donc du temps, au final, tu n'en a pas tant que ça. Et il y a tellement d'étrangers dans l'équipe que tu n'as aucune obligation d'apprendre le bulgare. Je connais quelques mots, bien sûr, mais la langue principale dans le club est l'anglais. Et nous avons trois ou quatre traducteurs pour nous aider.

Lors des dernières trêves internationales, tu as eu un peu de temps libre. En as-tu profité pour revenir en Suisse?
Oui, dès que je le peux. La Suisse, c'est vraiment mon pays. Ma famille y est, c'est mon point d'ancrage. Dernièrement, j'y ai même effectué une partie de ma rééducation pour mon tibia, et j'en ai profité pour aller voir quelques matches. Tous les deux mois, quand il y a une trêve, j'essaie d'y aller quand j'ai le temps.


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