Dominique Blanc garde le mystère sur la suite, alors qu’il entame ses dernières semaines en tant que président de l’ASF. Son successeur a déjà été désigné en la personne de Peter Knabel et le Vaudois a obtenu de continuer son mandat jusqu’à la fin de l’Euro féminin, dont la finale aura lieu le 27 juillet à Bâle. Ce jour-là, il remettra la Coupe à la capitaine de l’équipe vainqueure pour sa dernière sortie officielle et, ensuite, il s’éloignera gentiment de sa fonction, afin d’entrer de plain-pied dans sa nouvelle vie.
«Il y a deux mots que je ne connais pas: travail et retraite», sourit-il. Non, il ne va pas rester inactif, loin de là, mais souhaite continuer à mettre ses compétences à disposition de qui en voudra. «J’ai de l’expérience, de l’envie, et un certain savoir-faire. Ces atouts sont précieux. Mais pour l’heure, je suis concentré à fond sur l’ASF, jusqu’au tout dernier jour, surtout avec cet Euro à domicile à organiser et à parfaitement réussir», assure le Vaudois, lequel est resté un entrepreneur dans l’âme.
Mais avant de penser à la suite, le président de l’ASF a encore des dossiers à boucler, dont celui de la «Maison du football suisse», qui devrait voir le jour dans les années à venir. Il reste Payerne et Thoune en course et la ville de l’Oberland bernois pourrait bien l’emporter. Le dossier est à bout touchant et, enfin, le football suisse aura son chez lui. «Aujourd’hui, nous sommes un peu les nomades du football», image-t-il, en faisant référence au fait que la Nati doit aller de ville en ville à chaque rassemblement.
Un tout nouveau centre pour le football suisse
Evidemment, le fait de se déplacer et de changer constamment permet aux jeunes Saint-Gallois et aux jeunes Genevois d’avoir une chance de voir leurs joueurs préférés une fois de temps en temps, mais tout centraliser à Thoune, à l’image de ce qui se fait presque partout ailleurs en Europe présente de sérieux avantages. Le nouveau centre national du football comportera plusieurs terrains, des bureaux, un hôtel ouvert au public- quand les Nati n’y seront pas - et tout le confort nécessaire pour des joueurs de haut niveau. «Nous nous sommes inspirés de ce qui se fait ailleurs et nous aurons un outil à la pointe», assure Dominique Blanc, très confiant quant à une issue positive.
Voilà donc déjà un héritage concret que laissera l’ancien président de l’ACVF au football suisse, mais il ne s’agit de loin pas du seul. «Mon bilan? C’est aux autres de le tirer», répond-il, très franc. Tout de même: qu’a-t-il fait de bien à ses yeux? Et où sont les axes d’amélioration? Qu’aurait-il pu mieux gérer?
«Evolution plutôt que révolution»
«La première chose, c’est qu’il faut regarder la situation de départ. Je suis lucide et je l’ai toujours été: le football suisse ne m’a pas attendu pour bien fonctionner. Quand j’ai été élu, en 2019, mon slogan était ‘Evolution plutôt que révolution’. Ce qui veut tout dire! Je pense que dans ces six ans, nous avons avancé, sans tout chambouler. La partie la plus visible, bien sûr, concerne l’équipe nationale A.»
La Nati, donc, laquelle reste sur deux quarts de finale consécutifs dans un Euro, une performance à apprécier. Le peuple suisse a vibré en 2021 lors de la victoire face à la France à Bucarest, et en 2024 à Berlin contre l’Italie. «Je n’en suis pas le premier responsable, bien sûr. Mais en tant que président, j’ai été le garant, avec l’équipe que j’ai composée autour de moi, du fait que cette équipe ait pu évoluer dans de bonnes conditions, propices à la performance sportive.»
Il n’est ainsi pas inutile de rappeler la situation au sortir de la Coupe du monde en Russie, avec un climat délétère à l’interne, pointé du doigt par le fameux rapport Heusler. «Il fallait faire de l’ordre. C’était ma responsabilité, je l’ai assumée. Le 'Russian Gate’ avait laissé des traces profondes, il fallait faire le ménage.»
La mesure la plus spectaculaire et immédiate a été la création d’un département des équipes nationales, dirigé par Pierluigi Tami. «Ce poste n’existait pas. Il y avait un délégué aux équipes nationales, dont Claudio Sulser a été le dernier représentant, à un taux de 30 %. Mais nous avons créé un véritable département des équipes nationales, avec une vision claire. D’un côté, faire de la performance avec les équipes nationales A et de M15 à M21. De l’autre, un département technique pour faire de la formation. C’était la première grande décision, qui porte ses fruits aujourd’hui.»
Une meilleure communication
Et la deuxième? «Améliorer la communication, en nommant Adrian Arnold à la tête de ce département. Nous voulions faire de l’ASF une marque, être présent sur les réseaux sociaux, conquérir un public plus jeune, ne pas laisser filer cette nouvelle génération qui consomme l’information de manière différente que la nôtre. Aujourd’hui, nous sommes passés de deux personnes + un consultant en 2019 à 13 personnes équivalent plein temps dans ce département de la communication.»
Le départ surprise de Vladimir Petkovic
La Nati s’est qualifiée avec Vladimir Petkovic pour l’Euro 2021, mais le départ surprise du coach en direction de Bordeaux a pris tout le monde de court. «Dans l’avion qui nous ramène de Bucarest, il nous dit ‘Je reste’. Je pars en vacances l’esprit tranquille, mais Vlado, un grand monsieur que je respecte beaucoup, change d’avis. J’étais en train de faire de la randonnée en Bretagne, quand Pierluigi Tami m’appelle et m’annonce la nouvelle. Je me revois, assis sur un rocher face à l’océan, trouver un compromis avec Vlado pour le laisser partir. Mais il a fallu trouver un successeur très rapidement puisque les qualifications à la Coupe du monde arrivaient immédiatement. Pierluigi me dit tout de suite qu’il a une liste de 19 noms.»
Parmi ces 19 profils, celui de Murat Yakin, et le fait d’avoir osé faire de l’entraîneur du FC Schaffhouse le nouveau sélectionneur national reste encore aujourd’hui une grande fierté pour Dominique Blanc.
«Tout à fait. Personne n’avait misé sur lui au départ. Mais il nous a amenés à la Coupe du monde au Qatar en devançant l’Italie, un petit miracle, puis en quarts de finale de l’Euro . Je suis très fier de ce choix, que j’ai effectué finalement sur proposition de Pierluigi Tami et que j’ai validé avec plaisir. Nous avons convaincu la Commission ad hoc et le Comité central».
Murat Yakin a dû se remettre en question
Le président reconnaît-il toutefois des turbulences lors des qualifications «ratées mais réussies» pour l’Euro 2024? «Oui, bien sûr. Nous nous sommes posés des questions. Pierluigi Tami a proposé diverses pistes pour continuer, sans être définitif ni dans un sens ni dans l’autre. Nous en avons parlé ouvertement avec Murat Yakin, lequel nous a convaincus avec un plan clair, très bien préparé, et des axes d’amélioration qu’il a respecté. Nous lui avons demandé d’évoluer et il l’a fait. J’ai un grand principe: tu ne juges pas les gens sur leurs erreurs, mais sur leur capacité à rebondir et à les corriger. Murat l’a fait.» Avec, comme conséquence, l’Euro 2024 très réussi. Ne pas avoir cédé à la pression populaire en écartant Murat Yakin est à mettre au crédit de Dominique Blanc à ce moment-là.
Si la Nati A va bien, les perspectives d’avenir sont un peu plus inquiétantes en ce qui concerne la relève. Dominique Blanc ne le nie pas, bien au contraire. «En Suisse, nous avons l’ADN de la formation, dans tous les domaines, et dans le football aussi. Jusqu’à 18 ans, je pense que la formation suisse fait partie des top 5 ou 7 dans le monde. La pré-formation est très bien organisée dans les clubs, la formation aussi. Mais après, au niveau de la post-formation, je dirais dès l’âge de 17 ans, on a un gros défi à relever : on a beaucoup de talents, mais ils n’ont pas de place pour s’exprimer.»
Alors, que faire? «Nous avons élaboré des solutions, que l’on ne peut pas encore dévoiler.» Augmenter le nombre d’équipes en Super League et en Challenge League? Intégrer des équipes M21 en Challenge League? «Il existe plusieurs pistes de réflexion.»
L’idée est que les jeunes Suisses restent le plus possible au pays, jouent régulièrement et progressent avant de rallier l’étranger, même si le contre-exemple récent de Johan Manzambi, appelé en équipe de Suisse à 19 ans après avoir quitté très tôt Servette pour Freiburg, vient montrer que tous les chemins mènent à la Nati. «Oui, il y a des joueurs comme lui, comme Johann Djourou à l’époque aussi. Mais le but ne peut pas être que nos meilleurs talents quittent la Suisse à 16 ans», affirme avec force Dominique Blanc.
Plus de vestiaires, plus de terrains
Parmi les autres priorités du futur ex-président de l’ASF, un chantier loin d’être terminé, et que Peter Knabel devra faire avancer: celui des infrastructures.
«Aujourd’hui, en raison de la très forte croissance du nombre de licenciées et de licenciés ,il y a trop de footballeuses et de footballeurs qui ne peuvent pas intégrer un club alors qu’ils en ont envie. Il y a deux problèmes: un manque d’entraîneurs, qui est toutefois le moins problématique et est en train de se régler grâce à nos efforts, et un manque de terrains et de vestiaires, qui est de loin le plus embêtant aujourd’hui. On ne peut pas se permettre de laisser des enfants dehors!» Alors, que faire ? «Augmenter le nombre de synthétiques, trouver des synergies avec les écoles pour les vestiaires, trouver de la place…»
Mais comment? Dominique Blanc cite l’exemple du Lancy FC, l’un des plus grands clubs de Suisse en termes de licenciés et qui ne sait «plus où mettre les gamins», pour parler en bon français. Alors, cette solution miracle ? «Une innovation technologique, des terrains en hauteur, sur une passerelle surplombant le train. Je suis sérieux, ce projet est en bonne voie.» Mais la problématique restera bien réelle, dans les villages comme dans les villes.
Si les défis sont encore nombreux pour le football suisse, Dominique Blanc a eu droit à une grande satisfaction durant son mandat, celle de l’octroi de l’organisation de l’Euro 2025 à la Suisse. «Une grande joie. Nous ne partions pas favoris, mais nous l’avons obtenu, ce qui prouve aussi à quel point notre pays est apprécié au sein des instances», explique celui qui a toujours voulu ouvrir la porte aux femmes dans le football, notamment en intégrant deux d’entre elles au comité central de l’ASF, dont Christelle Luisier, présidente du Conseil d’État vaudois.
Alors voilà, il sera bientôt l’heure pour Dominique Blanc de se retourner sur ses six ans de président, en se demandant quel héritage il aura laissé. Avec lui, c’est sûr, la Nati s’est toujours qualifiée pour les phases finales des grands tournois. Peter Knabel espère très fort pouvoir en dire autant, lui dont le mandat débutera avec les très périlleuses qualifications pour la Coupe du monde 2026. Ce n’est pas le président qui joue, d’accord, mais c’est tout de même lui qui donne l’impulsion depuis le sommet et transmet de la sérénité, ce que Dominique Blanc a toujours su faire.