Il a analysé des centaines de matches de football féminin. Il a analysé des centaines de matches de football masculin. Jacques Lacharme sait de quoi il parle: «Établir des comparaisons après la défaite des Suissesses contre les M15 du FC Lucerne n'a aucune pertinence», assure l'analyste vidéo du Servette FC, qui a œuvré pendant plusieurs années pour l'équipe féminine grenat.
Même si le score frappe, il ne surprend pas le spécialiste. Il arrive régulièrement que des équipes féminines, même parmi les plus grandes (Lyon, Barcelone, la sélection américaine), reçoivent des leçons de la part de jeunes formations masculines. «Il y a, déjà à cet âge, d'importantes différences physiologiques qui se répercutent au niveau de la vitesse et de la puissance, précise Jacques Lacharme. Ils tirent plus fort, ils sautent plus haut.» À partir de la puberté, les garçons développent une masse musculaire plus importante, ce qui leur permet d’évoluer à une intensité supérieure, a expliqué Hans-Jürgen Tritschoks, spécialiste en sciences du sport à Cologne, au «Welt». Comparaison n’est pas raison.
Les explications de Pia Sundhage
Cet écart n'a rien à voir avec le niveau footballistique des Suissesses. «Je suis sûr que si on prend une équipe masculine espoirs de basket de 15 ans, elle gagne aussi face à des femmes», rajoute Jacques Lacharme. Celui qui possède un diplôme d'entraîneur UEFA B souligne par ailleurs que les jeunes Lucernois ne sont pas des juniors lambdas, mais qu'ils bénéficient déjà d'un encadrement très structuré depuis plusieurs années.
Le contexte du match n'a également pas été pris en compte lors du «bad buzz» suscité par cette rencontre censée - avec énormément de naïveté - rester secrète. Les Suissesses préparent le Championnat d'Europe et sortaient de deux semaines de préparation physique très intenses, ont utilisé 26 joueuses et n'ont pas disputé cette rencontre avec l'objectif d'obtenir un résultat. «Affronter des jeunes hommes, plus rapides, c'est bien pour s'entraîner à jouer sous pression», a notamment expliqué Pia Sundhage jeudi en conférence de presse. Des situations de jeu qui permettent d'apprendre et de bien se préparer en vue de l'Euro.
L'autre raison de la tenue de ce match non-officiel s'inscrit dans le travail de la condition physique. «De ce point de vue, nous avons atteint nos objectifs, nous avons continué à travailler et courir malgré la fatigue, a estimé la Suédoise. Je pourrai montrer des passages à la vidéo, qui pourront faire progresser l'équipe. Le résultat contre des jeunes hommes est anecdotique.»
Investir dans la formation
En plus des questions physiologiques, un autre point renforce les différences entre hommes et femmes: la formation. Les investissements mis pour faire progresser les jeunes talents sont beaucoup plus élevés chez les mecs, même s’il y a eu des gros avancements ces dernières années. «Lorsque les petites filles seront formées comme les garçons, l'écart va se réduire», affirme Jacque Lacharme. Sans disparaître, bien évidemment.
Il ne faut pas oublier que le football féminin a, en Europe, de nombreuses années de retard par rapport à celui des hommes. Par exemple, en 1921, «la fédération anglaise de football avait décidé d’interdire aux clubs, aux arbitres et aux dirigeants de soutenir le football féminin», rapportent Luc Arrondel et Richard Duhautois dans leur ouvrage intitulé «Comme les garçons? L’économie du football féminin” (2020, Editions Rue d’Ulm). Des considérations d’orde politiques et sociales, liées à la vision de la femme de l’époque, expliquent aussi pourquoi, «le foot féminin reste embryonnaire dans toute l’Europe jusqu’au milieu des années 60», ajoutent les auteurs. Un retard qui n’est pas prêt d’être rattrapé.
Tactiquement au point
«Regarder le foot masculin comme le foot féminin est une erreur», conclut Jacques Lacharme. Les athlètes masculins ont beaucoup plus de force, de puissance. Il y a peut-être aussi moins d’erreurs, notamment au niveau des gardiens. «Mais l’aspect tactique est très bon, parfois même au-dessus de ce qui se fait chez les hommes», assure l’analyste vidéo, en se référant notamment au Servette FCCF de José Barcala auteur d’un doublé en 2024. Concernant le niveau technique, la différence, elle n’est pas marquée, ajoute le spécialiste.
Quoi qu’il en soit, on verra, durant cet Euro 2025, des matches intéressants, des beaux buts, des jolis gestes, du spectacle et du suspense. Comme on assistera aussi, comme dans n’importe quel tournoi de football, à des parties ennuyeuses et insipides. Un petit message à ceux qui se plaignent d’avance: poussez plutôt pour que le paquet soit mis sur la formation, afin que le football féminin puisse encore améliorer son développement et continuer à grandir.