La plaquette, en grand, ne laisse que peu de place au doute: «Stade Madeleine Boll». Nous sommes bien arrivés à Granges, en Valais, terres de la pionnière du football féminin en Suisse. C'est sur ce terrain qu'elle a fait ses débuts. C'est aussi ici que nous la retrouvons, en compagnie de Jessica Riva, joueuse actuelle du FC Sion féminin et née 50 ans après Madeleine Boll.
Sur le terrain et avec le ballon de l'Euro 2025, les deux femmes de 71 et 21 ans s'échangent quelques passes en attendant que le photographe se mette en place. Forcément, le football fait partie des discussions. «L'histoire a commencé ici», lance d'emblée Madeleine Boll. Si c'est son père, Jean Boll, entrepreneur paysagiste qui a réalisé le terrain du FC Granges. «C'est aussi là derrière que j'ai joué avec un ballon pour la première fois», rappelle-t-elle en montrant, au bas de la Colline de Pintset, les maisons.
Si le choix du ballon rond a toujours été une évidence pour Madeleine Boll, Jessica Riva a d'abord été tentée par le ski. Logique, pour la native de La Tzoumaz. «C'est pourtant dans notre jardin, un peu en dévers, que j'ai mes premiers souvenirs liés au football, révèle-t-elle. J'étais avec mes frères et, durant 3-4 heures, je leur demandais de tirer dans ma direction puisque j'étais aux goals.» Pourtant, c'est en tant que joueuse de champ que la jeune Valaisanne a fait carrière. Tout comme Madeleine Boll.
Une licence… par erreur
Dans les années 60 et 70, son chemin pour se faire une place a toutefois été semé d'embûches. Talentueuse, la pionnière se fait repérer par le FC Sion et rejoint le club de la capitale. Rapidement, elle obtient sa licence. Deux mois plus trad, elle se la voit retirée. Pour se défendre, les instances invoquent une erreur initiale, la pratique du football étant réservée, selon leur règlement, aux personnes du sexe masculin. «Je n'avais que 12 ans et je ne comprenais pas ce qu'il m'arrivait», souligne Madeleine Boll.
Cette décision était un contraste fort avec la réalité que vivait la Valaisanne à ce moment-là. «À Granges, les garçons m'ont toujours acceptée… Surtout parce que je m'en sortais bien avec un ballon, sourit-elle. Ils ne se rendaient même pas compte que j'étais une fille.»
Par ses talents footballistiques, Jessica Riva a également été facilement acceptée. «Et j'étais plus grande que la moitié d'entre eux, donc j'avais de l'autorité et c'était facile d'être incluse, se souvient la Riddane. Le revers de la médaille, c'est que tu dois toujours être au top de ta forme sinon, on va plus facilement te charrier.»
En 50 ans, les mentalités ont certes évolué, mais des actes de misogynie ont aussi impacté la vie de Jessica Riva: «J'ai majoritairement été bien entourée même si, parfois, j'ai entendu des: 'Tu es une fille, pourquoi tu es sur un terrain?' Et une fois, je suis rentrée en pleurs à la maison car on ne m'avait pas laissée jouer à la récréation.»
Pour Madeleine Boll, les actes sexistes au sein de son équipe étaient limités. «Je venais de rejoindre le FC Sion et on faisait des tours de terrain lorsque, paf, j'ai reçu un ballon au visage, mime-t-elle. Un jeune m'a dit que c'était le métier qui rentrait. Ça aurait pu en rester là mais l'entraîneur l'a grondé.». Un geste apprécié par la joueuse.
Des anecdotes dans ce style, «Mado» en a plein: «On allait jouer contre les écoliers de Lausanne. Eux, ils voulaient rencontrer l'équipe 'où il y avait la fille'. Comme j'évoluais à l'aile gauche, l'arrière-droit se faisait chambrer quand je le passais.» Lors d'une autre rencontre, un portier a promis de rejoindre les ordres si la future internationale trouvait le fond de ses filets. «Évidemment, j'ai marqué, mais il n'est pas devenu moine», rigole-t-elle.
Les sacrifices de Jessica Riva…
Son talent et soutien de ses proches n'ont toutefois pas été suffisant, en 1965, pour que Madeleine Boll conserve sa licence. Les week-ends, elle doit désormais se rendre en Italie pour pouvoir pratiquer son sport officiellement. À Milan et malgré le train qu'elle doit prendre chaque dimanche matin, elle s'épanouit. «Je n'en ai pas un mauvais souvenir et je n'aime pas parler de sacrifices, souligne-t-elle. Après, c'est vrai que j'ai eu une jeunesse différente que mes amies. Mais à 17 ans, on ne peut pas se plaindre si on s'en va faire quelque chose qui nous passionne. Jouer à l'étranger, ce n'est pas rien.»
Grâce notamment à la précurseuse Madeleine Boll, Jessica Riva n'a pas eu besoin de passer par la case exil pour pouvoir taper dans un ballon dans son adolescence. «Comme tout sportif, il faut faire des sacrifices. Par exemple, quand je faisais ma formation sport-études en ski, je devais me lever à 5h30 pour filer à Orsières et je ne rentrais pas avant 21h.» La jeune Valaisanne prend la peine de remercier son entourage, qui l'a toujours soutenue.
… et les larmes de Madeleine Boll
Tout au long de sa courte mais belle carrière – elle a raccroché les crampons à 26 ans –, Madeleine Boll a forcément énormément de souvenirs. De la matière pour écrire un livre entier. Il y a, par exemple, le premier match de l'équipe de Suisse féminine lors d'un Mondial à Salerno, en Italie. «On y est allé, plein d'espoir, se souvient-elle. On a eu la malchance de tomber contre le pays hôte et les organisateurs s'étaient arrangés avec l'arbitre pour que l'Italie atteigne les demi-finales du tournoi.» Dégoûtées, les Suissesses décident de ne pas se rendre au Mexique pour l'édition suivante.
Quand elle raconte ces événements, Jessica Riva est suspendue à ses lèvres. Si elle n'a pas expérimenté de cas de triche, la joueuse du FC Sion féminin a également vécu des frustrations durant sa carrière. «Souvent, il y a des petites barrières qu'on nous met, appuie-t-elle. Comme le fait qu'on ne puisse pas jouer à Tourbillon (ndlr: le stade du FC Sion). Pour moi, on doit pouvoir évoluer dans ce type d'infrastructures, avoir notre propre terrain et ne pas être un club volatil.» Forcément, à côté d'elle, Madeleine Boll ne peut qu'approuver.
Avant de refermer l'album souvenirs et de se projeter sur l'avenir, la pionnière raconte une dernière anecdote qui l'émeut particulièrement. Ce qui, selon elle, est sa plus grande fierté. «La première Coupe de Suisse féminine a été gagnée par le FC Sion en 1976, débute Madeleine Boll. J'étais capitaine de l'équipe et, pourquoi est-ce que ça me touche beaucoup…» La Valaisanne s'arrête, des sanglots dans la voix. «Mon père était président de la Ligue féminine suisse de football et a donné son nom à ce trophée. Le fait qu'il me l'a remis et qu'on s'est fait de nombreuses embrassades. C'était tellement fabuleux.»
«Un Euro en Suisse, c'est extraordinaire»
Les larmes essuyées, Madeleine Boll et Jessica Riva se réjouissent de l'été qui arrive, forcément. Pour la première fois, l'Euro féminin va prendre ses quartiers en Suisse. Même si elle a toujours une belle patte gauche, Madeleine Boll ne sera pas sélectionnée par Pia Sundhage pour faire partie de l'équipe nationale. «Si j'étais encore joueuse, mon ambition serait d'être sur le terrain le 2 juillet, pour le premier match de la Nati, affirme-t-elle. On me demande souvent si j'ai des regrets. Non, mais pouvoir participer à un championnat d'Europe à la maison, c'est extraordinaire.»
Joueuse de deuxième division, Jessica Riva devra également suivre cet Euro depuis les stades ou la télévision. «Mais cette compétition va enfin permettre au football féminin d'être sous des projecteurs, surtout en Valais», souligne la jeune joueuse.
Si Madeleine Boll ne sera pas physiquement sur le terrain pour épauler Iman Beney et ses coéquipières, elle va quand même être mise en avant pour cette compétition. La mascotte, un Saint-Bernard, porte en effet le nom de «Maddli», en hommage à la Valaisanne. Après le stade du FC Granges, un autre honneur pour elle. Quant à Jessica Riva, se voit-elle dans 40 ans, avec le terrain d'Isérables à son nom et une mascotte à son effigie? «Je n'ai pas besoin de toute cette reconnaissance, répond-elle en souriant. J'ai juste besoin que les femmes soient vues.» Cet été en Suisse, ce souhait devrait se réaliser.