On ignore si Breel Embolo sait qui est Leopold Kielholz, mais les deux hommes ont quelques points communs: tous deux ont commencé le football à Bâle et sont des buteurs en série. Et tous deux ont joué dans le championnat de France, à Monaco et à Rennes pour l'un, au Stade de Reims pour l'autre. Et pourtant: près d'un siècle sépare ces deux avant-centre.
Leopold Kielholz, qui avait la particularité de jouer avec des lunettes de protection, a inscrit 12 buts en 17 sélections avec la Nati entre 1933 et 1938 et, alors qu'il jouait au Servette FC, a établi un record qui tient jusqu'à aujourd'hui: il a marqué lors de six matches consécutifs sous le maillot de l'équipe de Suisse. Breel Embolo, buteur en mars contre le Luxembourg, en juin face au Mexique et aux Etats-Unis et en septembre contre le Kosovo et la Slovénie, peut toutefois le rattraper dans trente jours en Suède, et même le dépasser quatre jours plus tard à Ljubljana.
Décédé en 1980, à l'âge de 68 ans, son glorieux aîné ne sera pas là pour l'applaudir et poser pour la photo souvenir, et il aurait pu rappeler à son potentiel successeur que lui avait marqué contre de grandes nations du jeu: l'Italie, la France, l'Autriche et la Tchécoslovaquie en match amical, les Pays-Bas et la Tchécoslovaquie en huitièmes et en quarts de finale de la Coupe du monde 1934, ce qui a une certaine allure, il faut bien l'avouer.
Si ce record-là n'est pas encore égalé, la Suisse en a battu un autre, collectif celui-ci: la Nati a inscrit au moins trois buts lors de ses cinq dernières rencontres, ce qui représente une première dans l’histoire de l’équipe nationale. Il existe des explications objectives à ce phénomène réjouissant.
Une efficacité retrouvée
«C'est difficile de travailler l'efficacité offensive avec l'équipe de Suisse, on a trop peu de temps à disposition. Mais c'est vrai que c'était un thème qui me travaillait», assure Murat Yakin. Le coach et son staff ont étudié les chiffres, qui venaient confirmer l'impression générale: la Suisse se créait des occasions, mais ne parvenait pas à «mettre au fond». La recette de Murat Yakin? «Déjà, demander aux joueurs de se responsabiliser là-dessus dans leur travail au quotidien, en club, mais aussi adapter un peu notre style de jeu», explique le technicien.
En clair? «Peut-être amener un peu plus de verticalité, plus de diversité aussi dans nos attaques», détaille-t-il. Lors des qualifications pour l'Euro 2024, la Suisse avait buté sur des défenses regroupées, tournant en rond avant de se faire frapper en contre. Le contraste est saisissant avec les deux matches contre le Kosovo et la Slovénie, très bien maîtrisés. «On a fait mal à l'adversaire et je suis très content pour nos attaquants», enchaîne Murat Yakin. Ruben Vargas (deux assists), Breel Embolo (trois buts) et Dan Ndoye (deux assists, un but) sortent en effet de ces deux matches avec des statistiques appréciables.
Des défenseurs qui marquent
Si les attaquants suisses trouvent facilement le chemin du but en 2025, ce rassemblement de septembre a prouvé que les défenseurs savaient eux aussi où se trouvait la cage adverse. Mieux: tant face au Kosovo que contre la Slovénie, l'ouverture du score a été inscrite sur un corner tiré par Ruben Vargas sur la tête de Manuel Akanji, puis sur celle de Nico Elvedi. «Nous sommes performants sur coup de pied arrêté, c'est réjouissant», a commenté Murat Yakin, lequel avait à chaque fois insisté sur la nécessité de marquer en premier dans ces deux parties. Le sélectionneur, pour avoir disputé de nombreux matches-pièges de la sorte lorsqu'il était défenseur central avec la Nati, sait mieux que quiconque qu'il est très compliqué de revenir au score face à un adversaire regroupé en défense.
Manuel Akanji et Nico Elvedi ont marqué de la tête, mais Silvan Widmer s'est retrouvé seul face au but kosovar à la suite d'une action des plus classiques et a pu marquer le 3-0. Les latéraux suisses sont offensifs, même en jouant à quatre derrière, et cet aspect-là est également positif.
Des adversaires complaisants
Il faut bien le dire: la Suisse n'a affronté aucun cador mondial en cette année 2025, même si le Mexique est une sélection d'un bon niveau. Il est plus simple de marquer trois buts aux Etats-Unis et au Luxembourg qu'à la France ou à l'Espagne, c'est une évidence, et la bonne série offensive de la Suisse doit également être analysée sous cet aspect. Il n'empêche: la Nati a parfois galéré contre des nations moins cotées, et Murat Yakin n'a pas manqué de le relever. «Le Kosovo bat la Suède trois jours après avoir perdu 4-0 contre nous. Ils ont montré une réaction, mais cela veut aussi dire qu'on les a empêchés de développer leur jeu contre nous.» Tout en trouvant la faille à plusieurs reprises.
Un état d'esprit très positif
Ce groupe-là vit bien, c'est une évidence. Une preuve? Lorsque Breel Embolo marque le 2-0 lundi, il se précipite immédiatement vers son pote Denis Zakaria, lequel est cantonné au banc de touche. Le Genevois aimerait jouer plus, c'est une certitude, mais il ne laisse rien paraître de sa frustration et Murat Yakin a tenu des propos très élogieux à son égard en conférence de presse. Le sélectionneur a su construire un groupe homogène, n'hésitant pas à recadrer les comportements inappropriés.
L'éviction de Noah Okafor en est une preuve: très capricieux durant l'Euro 2024, l'attaquant a été puni par le coach. La Suisse a une hiérarchie très claire avec, en pointe de la pyramide, le leader Granit Xhaka. Quand lui est à fond, avec Manuel Akanji en lieutenant, le reste du groupe suit.
Les deux hommes sont en mission: ils veulent absolument participer à la Coupe du monde, qui pourrait être la dernière du milieu de terrain de 32 ans. Et ils montrent la voie. Cela influe sur la dynamique du groupe tout entier, y compris sur les attaquants.
Des automatismes impressionnants
La Suisse n'a pas les meilleurs attaquants du monde, c'est un fait, et même dans son groupe de qualifications, elle n'est pas la mieux lotie sur le plan individuel. Viktor Gyökeres, Alexander Isak, Vedat Muriqi et Benjamin Sesko sont des grands noms du football européen, mais ils n'ont pas derrière eux une machine aussi bien huilée que celle de la Nati.
La plus belle preuve? Le 3-0 contre la Slovénie, avec cette magnifique action de football conclue par un centre de Remo Freuler et un appel au premier poteau de Dan Ndoye. Le fait que la Suisse joue avec la même composition d'équipe valide les choix de Murat Yakin, notament en ce qui concerne la qualité de jeu.
«Il y avait peu d'arguments pour changer l'équipe entre les deux matches. Bien sûr qu'il faut la concurrence positive, mais nous avons vu lors de ces deux matches que l'équipe avait du vécu et des automatismes. Nous pouvons être dominants. Surtout, j'estime que ces deux victoires montrent que nous avons bien travaillé en mars au Portugal et en juin aux Etats-Unis. Nous avons travaillé tactiquement, nous avons progressé», a analysé le sélectionneur lundi soir. Les faits lui donnent raison: les deux stages ont permis de travailler dans l'ombre et d'en récolter les fruits en pleine lumière.