De la Juventus à Billens
Serge Mobwete, le gosse qui avait séduit la Juventus

Serge Mobwete, gamin de Lausanne, a découvert l’univers d’un grand club à 12 ans, à la Juventus Turin, où il a rencontré Zinédine Zidane. Redevenu anonyme, il se retourne aujourd’hui, à 43 ans, sur ce chemin inabouti, qui ne l’a pas rendu malheureux pour autant.
Publié: 11.08.2024 à 09:49 heures
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Dernière mise à jour: 11.08.2024 à 12:15 heures
A 43 ans, Serge Mobwete est redevenu un homme heureux.
Photo: GABRIEL MONNET
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Tim GuilleminResponsable du pôle Sport

Serge Mobwete est un homme heureux aujourd’hui, apaisé. Entouré de l’amour de sa femme et de ses quatre filles, il joue au football pour le plaisir, à Billens, un petit village de la Glâne. Le terrain de foot est à quelques centaines de mètres de la maison familiale et celui qui travaille aujourd’hui dans l’immobilier apprécie de s’y rendre sans pression. «C’est le foot sympa, dans une équipe de village, de potes», glisse-t-il, sous le regard protecteur du Christ, lequel veille sur la maison depuis le dessus de la porte d’entrée. Les filles partent à l’école, le téléphone sonne pour la construction d’un immeuble, sa femme lui envoie un message. La vie, tout simplement.

Elle aurait pu être différente, toutefois, cette vie de famille. Les quatre filles de Serge Mobwete pourraient habiter à Dubaï ou profiter d’une piscine à débordement à Miami, être des influenceuses célèbres, surfer sur la notoriété de leur père. Car Serge Mobwete avait un don, gamin. Celui de très bien jouer au football. A 12 ans déjà, le garçon lausannois fait la une des journaux de sport en Italie, et même les organes de presse suisses, pas réputés pour s’emballer pour des enfants, écrivent à son sujet. L’Hebdo lui consacre une page entière. «La RAI avait envoyé une équipe de journalistes, avec caméra, à mon école!» se rappelle Serge Mobwete. Le gamin, arrivé à 7 ans de Kinshasa, est un phénomène convoité par toute l’Europe. Les listings le placent dans le top 10 des talents à suivre sur tout le continent.

«A 9 ou 10 ans, je marquais beaucoup de buts avec l’ES Malley. Mais tout a décollé lors d’un tournoi au Tessin, où je me suis fait repérer par les plus grands clubs», explique-t-il. Le vieux téléphone accroché au mur du domicile familial n’arrête pas de sonner. «Mon père devenait fou. Ça n’arrêtait pas. Il avait été footballeur au Zaïre, aujourd’hui le Congo, il connaissait un peu le monde du foot. Mais il n’était pas prêt à gérer ça. Il y avait le Bayern, la Juventus, Lens… Je ne peux même pas vous faire toute la liste. Un jour, Guy Roux, le mythique entraîneur d’Auxerre, est venu chez nous! Mon père hallucinait en lui servant le thé. C’était trop. J’étais juste un gosse.»

Le père, autant pour protéger son fiston que pour avoir la paix un moment, décide d’envoyer l’apprenti footballeur dans… un monastère! «Je n’ai pas eu un mot à dire», rigole Serge Mobwete, qui se retrouve donc à Venthône, en Valais. «Mon père voulait que je m’enlève le foot de la tête. J’ai passé une semaine à prier nuit et jour. Ces jours à l’isolement m’ont renforcé dans ma foi, j’ai aimé. Mais quand je suis rentré, le football a vite repris le dessus.»

Son frère Franklin était lui aussi un prodige, mais en athlétisme

Serge Mobwete a conservé une belle relation avec son petit frère, Franklin, qui avait lui aussi d’excellentes dispositions quand il était jeune, mais en athlétisme. Recordman d’Europe de saut en longueur en M14, avec un saut à 6,75 m, Franklin Mobwete n’a lui non plus jamais percé. «On s’est toujours soutenus mutuellement. Aujourd’hui, on travaille ensemble, on rit ensemble. On est heureux de ce que l’on a fait et reconnaissants l’un envers l’autre d’avoir toujours été soudés», dit Serge.

Serge Mobwete a conservé une belle relation avec son petit frère, Franklin, qui avait lui aussi d’excellentes dispositions quand il était jeune, mais en athlétisme. Recordman d’Europe de saut en longueur en M14, avec un saut à 6,75 m, Franklin Mobwete n’a lui non plus jamais percé. «On s’est toujours soutenus mutuellement. Aujourd’hui, on travaille ensemble, on rit ensemble. On est heureux de ce que l’on a fait et reconnaissants l’un envers l’autre d’avoir toujours été soudés», dit Serge.

Le papa comprend alors qu’il n’y a rien à faire, simplement accompagner du mieux possible son enfant et essayer de profiter du don que Dieu lui a offert. «Et là, ensemble, on fait le choix de la Juventus, à 12 ans. Mais ce n’était pas un contrat fixe, simplement des stages. J’allais à Turin, je revenais. Je dormais à l’hôtel, personne ne parlait français. Ce n’était pas évident, même au niveau du football. Ce n’est pas la même chose d’être la star de l’équipe à Malley et d’être un parmi cent à Turin...» Il y fait toutefois des rencontres inoubliables. «J’avais dit à la RAI que j’admirais Roberto Baggio. Le premier jour, c’est lui qui m’a accueilli. J’étais comme dans un rêve.» Autre souvenir marquant, le jour où Didier Deschamps et Zinédine Zidane, les stars françaises de la Juve, ont compris que ce petit qui mangeait pas loin d’eux à la cantine était francophone. «Ils ont été super. Zidane m’a même donné ses chaussures! J’avais des pieds d’enfant, je ne pouvais pas les mettre, mais je n’ai pas dit non!»

Le fil se rompt toutefois petit à petit avec la Juventus. «Je ne progressais pas assez rapidement pour eux, sans doute. A 15 ans, j’ai commencé une école de commerce et j’ai été appelé en première équipe du Lausanne-Sport par l’entraîneur Georges Bregy, qui voulait voir comment je me débrouillais avec les adultes. La Juventus disait qu’ils gardaient un œil sur moi. C’était sans doute vrai, mais dans les faits, c’était fini.» Les débuts avec Lausanne sont flamboyants. Un but contre Servette, un autre contre Sion. La réputation du «petit Mobwete», comme l’appellent les journaux vaudois, grandit encore. Mais il ne franchit pas le cap. Et déjà, à 18 ans, à l’âge où d’autres entament à peine leur carrière, voilà la sienne qui commence à décliner.

Un orphelinat à Pointe-Noire, l’autre à Kinshasa

Serge Mobwete a conservé un lien fort avec le pays où il est né. «Mon frère, qui est prêtre et qui vit entre le Congo et la France, m’a dit que j’avais une vie différente des autres, même si je ne suis pas devenu riche, et que la vie, c’était aussi faire des sacrifices, donner. J’ai toujours eu cette envie en tête et nous avons décidé d’agir pour les enfants. On a commencé avec des ballons et des jeux de maillots que j’avais récupérés au Lausanne-Sport. Les enfants étaient tout contents, mais j’avais envie de passer à la vitesse supérieure.» L’idée de créer un orphelinat a été émise et, malgré l’ampleur de la tâche, les Mobwete ont foncé.

«Mon frère l’a construit, on l’a financé depuis la Suisse. Il y en a deux aujourd’hui, un à Pointe-Noire, au Congo-Brazzaville, d’où vient ma femme. Et l’autre chez moi, à Kinshasa. Au total, ce sont 47 enfants qui y sont en ce moment. Ce sont des enfants qui sont abandonnés, qui n’ont rien. On leur apporte de l’éducation, à manger, un toit. Le grand-père de ma femme a également joué un rôle important, il a beaucoup aidé mon frère à faire évoluer l’orphelinat. C’est une belle réussite, dont je suis fier.»

Serge Mobwete a conservé un lien fort avec le pays où il est né. «Mon frère, qui est prêtre et qui vit entre le Congo et la France, m’a dit que j’avais une vie différente des autres, même si je ne suis pas devenu riche, et que la vie, c’était aussi faire des sacrifices, donner. J’ai toujours eu cette envie en tête et nous avons décidé d’agir pour les enfants. On a commencé avec des ballons et des jeux de maillots que j’avais récupérés au Lausanne-Sport. Les enfants étaient tout contents, mais j’avais envie de passer à la vitesse supérieure.» L’idée de créer un orphelinat a été émise et, malgré l’ampleur de la tâche, les Mobwete ont foncé.

«Mon frère l’a construit, on l’a financé depuis la Suisse. Il y en a deux aujourd’hui, un à Pointe-Noire, au Congo-Brazzaville, d’où vient ma femme. Et l’autre chez moi, à Kinshasa. Au total, ce sont 47 enfants qui y sont en ce moment. Ce sont des enfants qui sont abandonnés, qui n’ont rien. On leur apporte de l’éducation, à manger, un toit. Le grand-père de ma femme a également joué un rôle important, il a beaucoup aidé mon frère à faire évoluer l’orphelinat. C’est une belle réussite, dont je suis fier.»

«On m’a dit que j’étais trop petit. Pourtant j’étais puissant, rapide, j’aurais pu me développer.» Il part alors, à 20 ans, à Yverdon, en première division, où il a une nouvelle occasion de faire décoller sa carrière. «Et là, ce sont les blessures qui me freinent. J’ai notamment raté la finale de la Coupe de Suisse. J’en ai pleuré.» La liste de ses clubs par la suite parle d’elle-même. Echallens, Espagnol Lausanne, Valmont, Dardania, Echichens, LUC-Dorigny, Lutry, Forward Morges, Saint-Sulpice, Malley et Billens. «J’étais dans le déni, je me disais encore que j’allais pouvoir reprendre le fil de ma carrière, que mon talent n’était pas parti. Je vivais de petits contrats de footballeur, 500 francs par mois, de petits boulots, du chômage… Dans ces moments-là, tu survis comme tu peux et tu te dis que tu vas choper un gros contrat si tu es bon. Mais c’était une illusion.»

A quel âge a-t-il compris que c’était fini? «A 27 ans. Là, j’ai dit stop. J’ai trouvé un boulot d’éducateur social, qui m’a beaucoup plu et que j’ai pratiqué dix ans. Le football est devenu secondaire. Mais je ne suis pas en colère contre ce monde. J’ai vécu de bons moments, je me suis fait des amis, j’ai grandi en tant qu’homme. Mon père ne m’a jamais jugé parce que j’avais échoué. Je me suis plutôt déçu moi-même. Pour dire la vérité, je n’ai qu’un seul regret. Il s’appelle Lucien Favre.»

Un seul regret: Lucien Favre

Les routes du célèbre entraîneur et celle du gamin prodige se croisent en effet très tôt. «Il avait repéré mon talent, comme les autres, mais, contrairement aux autres, il avait vu mes lacunes. Il venait me chercher chez moi et on travaillait, pied gauche, pied droit. Il avait bien compris qu’autour de moi les gens voulaient profiter du vide pour s’incruster. Alors il m’a proposé de le suivre, mais, pour cela, je devais accepter de lui faire confiance à 100% et de me couper de mon entourage. J’étais convaincu à fond, mais mon père ne l’était pas. Il a dit non. Avec le recul, je regrette. Si Lucien Favre m’avait façonné comme il l’a fait avec d’autres, j’aurais pu surmonter les écueils. Parce que la vérité, c’est que j’avais du talent, mais je n’avais pas toutes les armes pour devenir professionnel. Je n’avais pas le bon entourage, pas les bons conseillers, pas le bon agent. Et je me suis perdu en route. Avec Lucien Favre, peut-être que je serais resté sur le bon chemin.»

Pour se couper un peu de ce monde cruel du football, Serge Mobwete a fréquemment eu besoin de se changer les idées et l’une de ces coupures a changé sa vie. En bien, cette fois. En 2005, un de ses frères, qui est prêtre, lui propose d’aller à Rome pour se reposer un peu. «J’avais 24 ans, j’étais déjà sur la pente descendante. Je ne sais pas pourquoi il me parle de l’Italie, il me dit qu’il connaît du monde là-bas. J’y vais. J’y rencontre ma femme, originaire du Congo-Brazzaville. Le coup de foudre. On se donne une année pour se marier. Je me dis qu’une année c’est peu, mais on tente le coup. Aujourd’hui, nous en sommes à dix-neuf ans de mariage. Ma vie, c’est elle. Ma vie, c’est mes quatre filles.» Et le terrain de foot du FC Billens, à quelques centaines de mètres, plutôt que les grands stades européens. La vie, toute simple. Toute belle. L’amour plutôt que la gloire.

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