Même si beaucoup de gens ne le savent pas encore, le championnat d'Europe de football débute ce vendredi soir (21h). Au stade olympique de Rome, l'Italie affronte la Turquie, deux adversaires de la Suisse - qui joue samedi après-midi - dans le groupe A.
De l'autre côté de la frontière
Cet «Euro 2020», qui a été repoussé d'une année, pandémie oblige, se dispute dans 11 villes réparties sur le continent. Il s'agit de la 16e édition d'une compétition trop souvent appelée, à tort, «Eurofoot». De la ville de Genève au «12h45», la dérive est encore généralisée. Même Blick a furtivement laissé passer ce terme avant que les censeurs n'interviennent.
Mais d'où vient ce néologisme barbare? Ne reculant devant rien, Blick a mis ses plus fins limiers sur l'affaire afin de remonter jusqu'aux origines du mal.
Les prémices de notre enquête nous mènent d'entrée de l'autre côté de la frontière. «Eurofoot? Cela doit sûrement venir des Français qui avaient organisé l'Euro 1984. Ils adorent baptiser les choses et événements ou leur accoler un sigle», nous aiguille Philippe Dubath, grande plume du journalisme sportif romand à «24 Heures», aujourd'hui retraité. Après une brève recherche sur internet, les occurrences du terme sont pourtant moins nombreuses chez nos voisins tricolores qu'en Suisse. Étonnant?
Inspiré par l'«Eurotunnel»?
Une première impression confirmée par le journaliste de «L'Équipe», Stéphane Kohler: «La dénomination me semble totalement inusitée à l’intérieur des frontières françaises. Nous nous contentons en effet de 'l’Euro' ou de 'Championnat d’Europe'.» Jamais avare de bon mot, le Parisien, fervent défenseur de l'utilisation juste des termes, ajoute que les Espagnols parlent «d'Eurocopa». Une précision intéressante mais qui ne nous permet pas vraiment d'avancer.
Premier enseignement donc, «l'Eurofoot» serait une spécialité romande, pour ainsi dire, à l'image de la panosse et du carac. L'historien du sport Philippe Vonnard va nous mettre sur la bonne piste. «Dans le sillage de la construction européenne, qui prend de l’importance dans les années 70 et 80, l’utilisation du terme «Euro» se répand aussi. Pour le tunnel sous la Manche, on parle notamment d’«Eurotunnel». On pourrait imaginer que des journalistes sportifs s’en sont inspirés pour parler d’«Eurofoot».»
Encore la faute des médias
Le «coupable» sera ainsi à chercher parmi nos propres confrères. Une fois passée la déception suscitée par cette trahison, notre enquête reprend. Nous fouillons dans les archives de la presse, grâce à l'excellent site de référence scriptorium, de la Bibliothèque universitaire de Lausanne. Et là, eurêka!
«La Tribune de Lausanne», qui deviendra quelques semaines plus tard «Le Matin», annonce en grandes pompes, dans son édition du 8 janvier 1984, l'arrivée deux jours plus tard de sa nouvelle rubrique sur le foot européen. Une innovation médiatique qui, comme vous l'aurez désormais compris, est intitulée «Eurofoot».
«C'était une idée de la rédaction football, qui était alors dirigée par Raymond Pittet, se souvient Bernard Morel, jeune journaliste à l'époque dans la tour Edipresse de Lausanne. Le but était de mieux couvrir les championnats étrangers de nos pages.»
Le championnat d'Europe 1984, organisé par la France et remporté par les Bleus de Michel Platini, a connu un vif succès populaire. L'euphorie estivale pourrait ainsi expliquer cette regrettable glissade lexicale et l'utilisation du terme «Eurofoot» pour parler de la compétition. De nombreux médias ont suivi la tendance dès les qualifications pour l'édition suivante. À ce jour, la base de données SMD, qui regroupe les articles parus en Suisse, établit la présence avérée de plus de 3600 textes pollués.
Une baisse visible
Une dérive qui est, fort heureusement, sur le déclin. Selon «Google Trends», l'apogée de cette mode se situe aux alentours de 2008. Juste après la fin de la tecktonik. Coïncidence? Toujours est-il que le terme est en train de tomber en désuétude. Nous espérons vivement que cet article permettra d'accélérer cette tendance.
Toujours est-il qu'à l'orée de cet Euro, nous aurons d'autres chats à fouetter. En effet, faut-il parler d'«Euro 2020» ou d'«Euro 2021»? Nous avons un mois pour mettre fin à ce nouveau débat qui, espérons-le, sera moins pénible et long que celui de l'Eurofoot.