Lisa Cherifi, autrice romande
«Les enfants ne veulent plus d'histoires pleines de clichés»

Dans son premier ouvrage, «Fabuleuses», Lisa Cherifi raconte l'histoire de quatre figures féminines au destin extraordinaire. Pour financer son impression, «les éditions demain» lancent un crowdfunding. Objectif: publier le livre en automne 2021. Interview.
Publié: 12.08.2021 à 17:01 heures
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Dernière mise à jour: 14.08.2021 à 09:35 heures
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Valentina San MartinJournaliste Blick

En novembre 2020, Lisa Cherifi, autrice, créé «Les éditions demain». Le projet est pour elle un moyen de prendre les armes pour promouvoir une littérature jeunesse dénuée de toutes discriminations. Aujourd'hui, la responsable en bibliothèque scolaire en Suisse romande, se lance dans l'écriture avec son premier ouvrage pour enfants illustré: «Fabuleuses». Le livre retrace les aventures de quatre femmes qui ont changé l'Histoire.

Vous êtes fondatrice des «éditions demain» et autrice des «Fabuleuses». D’où vous vient cet intérêt pour une littérature jeunesse dénuée de toute discrimination?
J’ai toujours eu une sensibilité pour l’analyse des discriminations dans la littérature jeunesse. J’avais d’ailleurs choisi ce thème pour mon Bachelor lorsque j’étudiais à Dijon. En fait, il existe de nombreux ouvrages dans cette veine en France. Je suis arrivée en Suisse en 2016 et c'est en emploi en 2019 que j’ai remarqué que l’offre était restreinte. Pourtant, beaucoup de parents et même des enfants sont à la recherche de livres ou d’animations qui abordent la question. C’est là que je me suis dit qu’il fallait que je me lance là-dedans. C’est donc tout naturellement que j’ai créé ma maison d’édition et que je souhaite aujourd’hui publier mon premier ouvrage.

En quelques mots, de quoi parle «Fabuleuses»?
«Fabuleuses», c’est l’histoire des quatre femmes qui ont marqué l’Histoire. Mais attention, je ne voulais pas discriminer les hommes. Je voulais parler de femmes exceptionnelles qui ont été soutenues par des hommes féministes. A travers ce livre, je veux montrer qu’on peut marcher main dans la main et qu’ensemble tout est possible.

Qui apparaît donc dans «Fabuleuses»?
Il y a Malala Yousafzai, Pakistanaise qui s’est battue pour que les petites filles puissent accéder à l’éducation. Elle a notamment été accompagnée par son père qui l’a soutenue dans son combat. Il y a aussi Frida Kahlo, Mexicaine qui a bouleversé l’histoire de l’art grâce à son don et qui a été mise en lumière et soutenue par son compagnon Diego Rivera. Emmeline Pankhurst, également, qui a lutté pour le droit de vote des femmes en Angleterre. Elle a eu la chance d’être épaulée par son mari, Richard Pankhurst, homme féministe avant l’heure. Et finalement Eleanor Roosevelt, femme de Franklin Roosevelt, qui a totalement redéfini le rôle de Première dame des Etats-Unis en mettant en place la «Déclaration universelle des droits de l’Homme».

Pourquoi ces quatre figures en particulier?
Je voulais faire appel à des figures diverses. Je voulais des âges différents, des époques différentes, des cultures différentes et des classes sociales différentes. Malala Yousafzai représente d’ailleurs bien cette diversité: elle est musulmane et elle porte le voile. Et puis, j’avoue avoir un amour particulier pour Eleanor Roosevelt (rires). Quand j’étais enfant, ma mère avait imprimé la «Déclaration universelle des droits de l’Homme» et chaque soir elle nous lisait un article. Eleanor Roosevelt est un personnage avec lequel j’ai grandi.

Justement, est-ce que la figure de Malala Yousafzai, femme musulmane voilée, s’est avérée être un problème pour certains?
Comme j’ai étudié en France et que je vis aujourd’hui en Suisse, j’ai décidé de communiquer le projet du livre «Fabuleuses» dans les deux pays. Il s’avère que je n’ai pas eu de souci en Suisse. En France, en revanche, le personnage de Malala, qui apparaît en couverture de l’ouvrage, a posé problème.

Quel genre de problèmes?
J’ai expliqué mon projet à un attaché de presse en France. Ce monsieur a beaucoup travaillé avec l’Education Nationale et s’est montré très enthousiaste. Il allait prendre son téléphone pour faire jouer certains de ses contacts jusqu’au moment où je lui ai montré la couverture du livre. Il m’a dit qu’il fallait la changer et qu’on ne pouvait pas montrer Malala voilée. J’avais deux choix: lui retirer son voile ou rien. Mais c’était hors de question. Il s’agit de la plus jeune lauréate du prix Nobel de la paix. Elle s’est exprimée devant le monde entier avec son sari et son foulard. Pour moi, c’est un manque de respect de la faire dessiner sans son voile.

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Malala est-elle le seul personnage qui a été remis en cause?
Oh non! Une institution du canton de Vaud m’a reproché d’avoir choisi Frida Kahlo, qui a été trompée par Diego Rivera à plusieurs reprises. On a également critiqué le fait d’avoir choisi des femmes mariées comme Emmeline Pankhurst ou Eleanor Roosevelt. Toutefois, l’adultère, le libertinage ou le mariage n’empêchent pas d’être une femme influente! On m’a demandé de changer ça si je voulais être financée. J’ai refusé. C’est pour cette raison que j’ai lancé un crowdfunding. Parce qu’à la base, nous aurions eu assez d’argent pour lancer le projet.

Le cliché en 2021 est donc un concept subjectif…
Totalement. Chacun a sa vision de ce qui est tolérable ou non. Maintenant que j’ai moi-même écrit un livre, je me rends compte à quel point il est difficile de faire les choses de la meilleure manière possible. Même si on part avec de bonnes intentions, c’est très difficile de satisfaire tout le monde.

Un simple conte a-t-il vraiment un impact sur un enfant?
Disons qu’il y a plein de jeunes filles qui ne se reconnaissent plus dans les histoires qu’on leur raconte. Elles ne se s’identifient plus à la princesse qui a besoin d’être sauvée. Cependant, une chose en entraînant une autre, ces petites ont l’impression que pour réussir, elles doivent se transformer en garçons. Le message qu’on envoie à ces enfants c’est: «Soit tu es forte mais tu es un garçon manqué, soit tu es fragile et tu es une fille». Or, on peut tout à fait être une fille, une vraie, et être courageuse.

Avez-vous remarqué une sorte de ras-le-bol de la part des élèves concernant certaines histoires remplies de stéréotypes?
J’ai eu une sorte de déclic lorsque j’animais un atelier dans une classe d’enfants âgés entre 3 et 4 ans. Je voulais les surprendre en leur lisant l’histoire d’un prince et d’une princesse où les rôles étaient totalement inversés: c’était à la princesse de sauver le prince. Mais avant même de pouvoir commencer ma lecture, une petite fille m’a dit: «Non, non! J’en ai marre. Je veux une histoire sur le foot!» Il y a eu un effet boule de neige, toute la classe s’est opposée à la lecture de cette histoire. J’ai insisté pour qu’ils me laissent la lire jusqu’à la fin. Finalement, ils ont adoré. Aujourd’hui, on fait face à une nouvelle génération qui ne veut plus être bercée dans des clichés et on ne peut pas l’ignorer. D’autant plus que c’est une demande qui vient de leur part.

Durant des siècles, les contes ont présenté une jeune demoiselle devant être sauvée et un prince conquérant. Cette vision n’est-elle pas déjà trop ancrée pour tenter de changer la donne?
Je ne sais pas à quel moment les écrits d’aujourd’hui auront un impact dans la société future. Mais dans tous les cas, il est déjà trop tard pour commencer. Donc autant y aller maintenant. Certes, il faudra encore attendre des années avant que les rôles féminins soient complètement redéfinis, mais il faut s’y mettre dès maintenant.

Dans votre vidéo de promotion vous dites: «Différences sociales, handicap, racisme, homophobie, grossophobie, quand j’entends ces mots, beaucoup d’images me viennent en tête, parfois même des souvenirs car certaines me parlent plus que d’autres»… Avez-vous expérimenté ces discriminations?
Tout à fait. Je suis issue d’une famille modeste et j’ai expérimenté beaucoup de discriminations en lien avec mon appartenance sociale quand j’étais enfant. Pour tout vous dire, même si le but du premier livre des «éditions demain» est de redéfinir le rôle féminin, il ne s’agit pas que de féminisme. Le but de ma maison d’édition, c’est de tenter de venir à bout de toutes formes de discriminations.

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Qu’en est-il des enfants d’une autre époque, qui pour certains, ont intégré et parfois même apprécié ces clichés? Sont-ils des causes perdues? Sommes-nous des causes perdues?
Je ne pense pas. Je suis la première à avoir apprécié les contes «Disney», par exemple. Mais on ne s’est jamais rendu compte que ces histoires étaient très, voire trop, stéréotypées. Pour nous, c’était normal. Nous ne sommes pas une génération perdue. Néanmoins, il nous a fallu déconstruire plein de schémas de pensée. Sauf que les choses ont changé: la plus jeune génération a assisté à la Grève des femmes ou à la vague #MeToo. Les enfants d’aujourd’hui connaissent une autre réalité et leurs parents leur inculquent d’autres valeurs.

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