Festival La Belle Nuit
«On n'a pas attendu #MeToo pour prendre nos responsabilités»

Mains baladeuses ou drague lourde, les soirées en boîte sont l'un des théâtres du harcèlement sexiste. Tanja Luca, l'une des seules femmes patronne de club, nous explique ce qu'elle entreprend pour que l'on se sente bien dans son établissement.
Publié: 25.09.2021 à 11:44 heures
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Dernière mise à jour: 25.09.2021 à 21:19 heures
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Valentina San MartinJournaliste Blick

«J’aimerais que toutes les femmes se sentent plus en sécurité en boîte», lance Tanja Luca, patronne du Hype Club à Lausanne. D’entrée de jeu, la jeune femme au caractère bien trempé est claire: la sécurité de ses clients lui tient à cœur et surtout celle de la gent féminine. On n’en attendait pas moins de l’une des rares femmes patronnes de boîte de Suisse romande. Partenaire de La Belle Nuit, la trentenaire nous explique ses démarches pour que sa clientèle – soit quelque 850 personnes par soirée – passe un bon moment.

Le festival invite d’ailleurs les femmes de tous horizons à s’exprimer sur ces questions samedi après-midi lors de l’enregistrement live du podcast L’Inconfortable au D! Club.

Rendre les boîtes plus safe

Servir des cocktails colorés sur du Drake, du Lil Nas X ou du Megan Thee Stallion, on a connu pire comme travail. Oui, sauf que le domaine de la nuit est un peu plus exigeant que cela. «Certes, les boîtes de nuit sont des lieux festifs mais les professionnels ont beaucoup de responsabilités», explique Tanja Luca. Si les barmen, les DJ ou les videurs sont là pour que tout le monde profite de la soirée, ils s’efforcent aussi de faire le maximum pour que les fêtards soient en sécurité. «Au club, nous avons une charte mise en place par La Belle Nuit qui énumère nos engagements mais aussi les comportements à adopter par les clients pour que tout se déroule pour le mieux. On y rappelle par exemple qu’aucun type de harcèlement n’est accepté et que la drogue déposée dans un verre à l’insu d’une cliente est pénalement répréhensible». En plus d’être affichée un peu partout dans le Hype Club, elle trône à l’entrée de la boîte, histoire de rappeler les bons comportements à adopter à chaque personne qui pose le pied dans les lieux.

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La charte est affichée dans plusieurs établissements lausannois.
Photo: La Belle Nuit

Les discothèques lausannoises se contentent-elles simplement d’un morceau de papier (au mieux plastifié) pour garantir la sécurité de la clientèle? «Pas du tout», rétorque Tanja Luca. «Nous discutons avec notre personnel et les formons à agir de la meilleure manière possible». Ainsi, les agents du Hype tournent parfois vers les toilettes. Quant aux barmen, ils sont encouragés à être très attentifs lors de leur service. Elle détaille: «On laisse donc traîner quelques regards pour vérifier que personne ne mette une substance nocive dans certains verres et on refuse de servir les individus déjà trop alcoolisés.»

«En fait, la charte est une manière d’avoir une réflexion collective sur les potentiels dangers en boîte de nuit. Mais cela fait longtemps que nous sommes vigilants», précise la patronne avant d’ajouter: «Je suis une femme et je sais ce que c’est que d’être une femme en boîte. Et puis, d’après moi, la plupart des violences se déroulent dans la sphère privée plutôt que dans les discothèques».

Quant à savoir si ce sont les vagues militantes comme #MeToo ou la Grève des Femmes qui ont poussé le monde de la nuit à prendre soin de sa clientèle féminine, la réponse de la jeune trentenaire est catégorique: «Nous n’avons pas attendu la vague #MeToo pour prendre nos responsabilités. Ces problématiques existent depuis longtemps et nous y avons toujours été attentifs».

Le harcèlement ou non: un concept propre à chacune

Malgré tout, le harcèlement n’est pas un concept objectif qui va de soi. «C’est propre à la sensibilité de chacune», note Tanja Luca. «Si certaines peuvent se sentir importunées par la drague lourde, d’autres n’y verront pas de problème. D’après moi, la limite se trouve au moment de dire 'non'. Si après un refus, un homme insiste, là on passe de l’autre côté».

Alors, comment punir un acte jugé différemment selon les personnalités? «Tant qu’il n’y a pas de violence ou aucun geste déplacé, on se contente d’avertir. Si la personne persiste, elle sort. On peut également bannir des gens sur une durée délimitée ou pour toujours, mais seulement dans des cas graves».

Le Hype a d’ailleurs été le théâtre d’une scène particulièrement violente récemment. Un jeune homme a frappé sa compagne au visage. La police est venue sur place et même si elle doutait au départ, la victime a été encouragée à déposer une plainte. L’homme a quant à lui été emmené par les forces de l’ordre. Il n’est pas près de revenir sur les lieux du délit.

Une problématique vaste

En dépit de tous les efforts fournis par les bars et discothèques, difficile de faire de la prévention et d’inciter à l’échange dans ces lieux destinés à l’amusement. «C’est bruyant, il fait sombre et les gens sont alcoolisés. C’est donc compliqué d’entamer une discussion en cas de problème».

Mais le harcèlement va bien au-delà des night-clubs. «Il s’agit surtout d’un problème de société qui est partout, à commencer par la rue. Ces maux ne sont pas spécifiques au monde de la nuit. Nous y sommes toutefois attentifs et nous efforçons d’avoir la meilleure gestion possible dans nos établissements. Et pour être honnête, en tant que maman, je préférerais savoir ma fille en boîte, dans un lieu où il y a un cadre, plutôt que livrée à elle-même dans la rue».

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