Si par hasard vous vous trouviez dans la bourgade de Saint-Août (825 habitants, dans le département français de l’Indre) ce mercredi vers 14h, vous auriez pu croiser deux jeunes hommes à vélo chantant à tue-tête «Douce France», le classique de Charles Trenet. Et non, ce ne sont pas des locaux qui revenaient d’une sortie au fameux bar du Gallia ou de la Boulangerie de la Vallée Noire mais bien deux Romands… Des gamers, en plus.
Lucien «TheRabbin» Ding et Romain «Bozo» Gaspoz viennent respectivement de Genève et Lausanne. Les deux joueurs «Hearthstone» – un jeu en ligne qui consiste à battre son adversaire avec des cartes à collectionner – ont décidé de se rendre à la Gamers Assembly (GA) en vélo, à l’initiative de Lucien. Parti du bout du Léman vendredi dernier en direction de Poitiers, le valeureux duo devait rallier les plus de 600 kilomètres avant samedi.
«On est loin des stéréotypes»
«Ça fait six ans que je fais du cyclo-tourisme», explique l’instigateur du projet. On l’a donc compris, le vélo, Lucien aime ça. Ce moyen de locomotion fait même partie de son quotidien (et cela n’est qu’en partie dû au fait que le Genevois ne possède pas le permis de voiture): «Un de mes jobs est d’être livreur à vélo. J’en fais donc dix à quinze heures par semaine.»
Romain, de son côté, s’est remis intensément au sport depuis deux ans. Mais cela ne l’empêche pas de souffrir des jambes lorsqu’on l’a au bout du fil. «J’ai un peu mal mais, heureusement, j’ai une crème anti-inflammatoire», souffle le joueur du Lausanne Esports. «Je pense que c’est l’usure, il a de vieux genoux», entend-on rire de loin Lucien. L’ambiance est au moins au beau fixe dans le duo.
L’initiative des deux amis a toutefois de quoi surprendre. On est ici bien loin des clichés véhiculés par la société sur les gamers, qui passeraient leur temps devant leur ordi, à se nourrir exclusivement de chips et de Coca-Cola.
«Les joueurs 'Hearthstone' sont assez loin de ces stéréotypes de gros geeks dans leur cave», souligne Romain. «La communauté est plus mature, complète Lucien. D’ailleurs, un coéquipier de Romain fait énormément de trails.» Pour les deux joueurs, l’avantage de leur jeu est qu’il demande un investissement différent, qui leur permet de bouger à côté. «On n’a pas besoin de s’entraîner des heures et des heures pour acquérir des réflexes mécaniques», explique Lucien.
Car le jeu «Hearthstone» demande avant tout de la réflexion et non de la rapidité. «Même si des profils stéréotypés, on en croise lors des événements. Comme dans toutes les addictions, il y a des dérives mais ce n’est clairement pas la majorité», martèle celui qui se fait appeler «TheRabbin» en ligne.
La rencontre avec Marie-Annette
Mais revenons à nos vélos. Les deux compagnons avouent regarder beaucoup de streams sur leur jeu fétiche le soir, une fois posés dans leur tente. Car, problème pour eux, «Hearthstone» a fait sa mise à jour annuelle… mardi. À ce moment, Romain et Lucien étaient perdus au milieu de nulle part. Un désavantage à quelques jours d’une des compétitions les plus prestigieuses de France? «En termes de temps de jeu, oui, répond Lucien. Mais il y avait une partie théorique faisable au préalable. Et avec les streams, on suit ce que font les autres bons joueurs et on en discute.»
Finalement, ces 600 kilomètres à vélo sont peut-être le bon moyen pour débattre sur les tactiques entre les deux Romands. «Nos conversations fluctuent. Parfois, chacun vaque à ses pensées et parfois, on est côte à côte. Et on chante aussi pas mal», rigole le Genevois.
À 145 bornes de leur point d’arrivée, Romain et Lucien gardent le moral. «En plus, hier soir (ndlr: mardi soir), on a fait l’adorable rencontre de Marie-Annette», souffle Romain. Alors que le duo avait prévu de planter sa tente dans la forêt, cette dame rencontrée à Aldi leur a gentiment offert son jardin. «Mais c’est surtout le petit-déjeuner avec le café du matin qui a boosté Romain», rigole son compagnon. Et il en a bien eu besoin pour reprendre la route.
«Ma maman est infirmière»
Finalement, les deux compères ont atteint leur destination jeudi, en fin de journée. «On vient d’arriver à Poitiers 💪», envoie fièrement Romain sur WhatsApp, accompagné d’une courte vidéo. Après les félicitations usuelles, on leur souhaite un repos bien mérité. «Mon genou en a bien besoin haha», répond-il.
Au téléphone le lendemain, Romain partage toute sa douleur tandis que Lucien se remet difficilement de sa soirée passée à fêter son arrivée: «Maintenant, en plus d’avoir mal au corps, j’ai mal à la tête», ironise-t-il.
«Je boite mais ça va aller, rassure-t-il. Ma maman est infirmière et, quand on roulait encore, elle m’a dit que je pouvais continuer. Même si j’ai carburé aux anti-inflammatoires.» Le Lausannois confie également que, 20 minutes après notre appel de mercredi, il a lamentablement chuté. «J’ai flippé sur le moment mais plus de peur que de mal.»
Désormais, Lucien et Romain vont pouvoir se concentrer sur ce pour quoi ils sont à Poitiers: le tournoi «Hearthstone». Mais, finalement, leur week-end est déjà réussi. Et la phrase «L’important, ce n’est pas la destination, mais le voyage en lui-même» n’aura jamais été autant de mise.